Composés pour piano seul, les extraits des albums Pianoscope et Inscape ont été écoutés plus de 29 millions de fois sur les plateformes d'écoute en continu. Pendant deux semaines consécutives après sa sortie au début d'octobre, le deuxième opus d'Alexandra Stréliski a occupé la première place des ventes sur le marché québécois.

Comment peut-on interpréter ce succès populaire pour le moins atypique?

«Mon équipe et moi nous en étonnons encore, répond humblement la pianiste et compositrice. Il y a d'abord une connexion du coeur, j'ose croire. Je pense avoir rejoint les gens dans leurs émotions, sûrement dans leurs références musicales. Les émotions transmises par de la musique atonale, ça marcherait pas mal moins!»

Aussi accessible soit-elle, la redécouverte de la musique instrumentale est un facteur important, pose la principale intéressée. D'où cette déferlante de pianistes qui se posent sur des millions de listes d'écoute - Chilly Gonzalez, Agnes Obel, Nils Frahm, Jean-Michel Blais et tant d'autres... 

«Le grand public avait perdu contact avec les émotions que génère la musique classique, car cette musique a été longtemps associée à l'élitisme et la rigidité.» 

«Je ne l'affirme pas avec totale certitude, mais j'ai l'impression que des émotions dormantes se réveillent à l'écoute de ma musique, estime-t-elle. Cette expérience-là renaît. Ma musique est un peu comme du pop classique. Si c'est de la musique du passé? Je ne crois pas... et je m'en câlice un peu.»

«Romantique dans l'âme»

Née d'une mère québécoise et d'un père français aux lointaines origines polonaises, Alexandra Stréliski a commencé le piano à 6 ans. Préadolescente, elle composait déjà des mélodies et des harmonies.

«C'est la manière dont je m'exprime, mais j'ai eu un parcours assez classique; j'ai étudié le piano à McGill et à l'Université de Montréal. Je n'étais pas une excellente lectrice de partitions, ce n'est pas naturel chez moi. Ce n'est pas comme ça que je vis la musique, c'est beaucoup plus fondé sur l'improvisation et la spontanéité. Je compose à partir d'une émotion avant que se précise la forme musicale.»

La musicienne de 33 ans se dit «romantique dans l'âme».

«J'aime Chopin, Liszt, Brahms, Tchaïkovski, Rachmaninov, mais aussi la musique impressionniste de Ravel, Satie ou Debussy, ou encore celle des compositeurs de musiques de films - John Williams, Michael Nyman, Philip Glass, Hans Zimmer, Alexandre Desplat, etc. J'ai joué tous les compositeurs classiques, j'ai plutôt choisi de composer.»

À l'université, toutefois, elle a choisi de ne pas étudier la composition.

«Je ne voulais pas faire un trip cérébral. Pour moi, la création est quelque chose d'instinctif, de spontané, d'immédiat. Il n'y a aucune distanciation entre le concept et l'émotion.»

Alexandra Stréliski ne fait pas dans la complexité, la simplicité musicale est pour elle un choix. «Il est important pour moi d'offrir une musique accessible. Il y a toujours ce côté de moi en réaction à l'académisme de la musique classique. Lorsqu'il y a trop de complexité, d'ailleurs, tu peux perdre le contact avec l'émotion. Bien sûr, les auditeurs érudits sont plus aptes à ressentir des émotions lorsque la musique est complexe, mais la plupart des gens... non.»

Au terme d'un premier cycle universitaire, elle en a eu marre. Elle a néanmoins été repérée par des professionnels de la pub qui lui ont demandé de composer des trames sonores. Sa carrière de musicienne a ainsi démarré.

«J'ai fait ça pendant trois années, puis j'ai enregistré Pianoscope en 2010. C'est alors que j'ai travaillé au studio La Majeur, coin Bleury et René-Lévesque; j'y gérais le département de musique originale en postproduction, je traitais toutes les demandes de nos clients - dont plusieurs agences de pub. J'encadrais aussi le travail des compositeurs et je créais aussi de la musique pour nos clients. J'ai aussi dirigé des ensembles, j'ai vécu toutes sortes d'expériences de composition et d'enregistrement.»

Introspection et maturité

Entre-temps, le cinéaste Jean-Marc Vallée a découvert Pianoscope et en a greffé certaines pièces à ses oeuvres: Prélude dans Dallas Buyers ClubLe départ dans DemolitionBourrasques dans la télésérie Big Little Lies. Pendant que Pianoscope faisait son chemin, la vie suivait un cours difficile du côté d'Alexandra. En 2015, elle a cessé toute activité musicale destinée à la pub ou à l'audiovisuel.

«Je sentais que ma vie était à côté de moi. Mon corps a lâché, j'ai vécu deux années de grande fragilité.»

Elle a joué Pianoscope quelques fois en public, puis s'est retirée dans ses terres pour traverser l'épreuve de l'épuisement professionnel. De cette longue et douloureuse introspection est né l'opus Inscape.

«J'ai alors fait le choix de vivre ma carrière de musicienne. Aujourd'hui, je suis bien, mieux que jamais.»

«L'évolution musicale de mon nouvel album se trouve dans la maturité émotionnelle. Les formes y sont un peu plus développées, chaque pièce est un univers en soi alors que Pianoscope me semble offrir plusieurs pièces en une seule», indique-t-elle.

Alexandra Stréliski s'apprête à tourner partout au pays et partout dans le monde où Inscape trouve preneurs. Elle compte rester solo, ne rien ajouter jusqu'au bout de ce cycle créatif.

«Mon propre jeu est la clé, je ne suis pas sûre que ça passerait si je n'étais pas l'interprète de ma musique. J'ai le sentiment que beaucoup de force se dégage d'une proposition solo pour piano. C'est ce que je ressens pour l'instant. Ceci étant dit, j'aimerais vraiment travailler avec un orchestre ou un choeur. Mes prochains projets pourraient être plus élaborés.»

Ainsi se répand et se répandra l'émotion Stréliski.

Photo Olivier PontBriand, La Presse

La pianiste et compositrice Alexandra Stréliksi s'apprête à tourner partout au pays et dans le monde à la suite de la sortie de son deuxième album, Inscape.