Ses clips ont été vus plus de 200 millions de fois sur YouTube. Sorti à la mi-septembre, son troisième album, Dans la légende, a explosé sur Spotify, ce qui lui a valu d'être certifié disque d'or en trois jours et de détrôner Céline Dion au sommet des palmarès.

Gros buzz, dites-vous? C'est peu dire. Inconnu il y a à peine un an et demi, le duo rap PNL est en train de devenir un phénomène qui touche toutes les strates de la société française.

«Aujourd'hui, PNL, c'est presque devenu pop, résume Mehdi Maizi, journaliste à la radio rap OKLM. Ils font aussi bien la couverture de Libération que celle des médias rap spécialisés. On les entend dans des lieux très branchés de Paris où on n'entend normalement pas du rap quand on va faire du shopping le samedi après-midi...»

Le plus étonnant est que ce succès a été obtenu sans l'appui d'une maison de disques et sans que le groupe accorde la moindre entrevue!

Farouchement indépendants, les frères NOS et Ademo font leur propre promotion sur les réseaux sociaux et déclinent toute demande d'entrevues des médias. Seule la revue américaine The Fader, qui lui consacre la couverture de son dernier numéro, a eu accès au duo... à la condition de ne publier aucune citation!

Le son d'une génération

Plusieurs facteurs expliquent le succès de PNL, à commencer par ce style aigre-doux, qui mélange «instrus» planantes et textes durs mais vibrants. «Une proposition novatrice, peu habituelle dans le rap français», fait valoir Mehdi Maizi.

Adeptes du «cloud rap» - sous-genre du hip-hop qui s'appuie sur des plages musicales hypnotiques quasi narcotiques -, NOS et Ademo parlent de la vie dans la cité (ils viennent des Tarterêts, banlieue parisienne réputée assez chaude), de dope, de fric, mais aussi d'échecs, d'espoirs déçus, de famille et de misère sociale...

Alors que d'autres rappeurs abordent les mêmes thèmes en jouant les durs, les deux frangins le font sans triomphalisme, avec un supplément d'émotion et de profondeur inhabituel dans le milieu. Le tout livré dans un langage crypté gavé d'onomatopées entêtantes et des mélodies filtrées à l'Auto-Tune, une «gimmick» qui est devenue leur marque de commerce.

Certains ont associé leur mélancolie au «spleen du dealer», souligne Genono Maestro, collaborateur à VICE. Mehdi Maizi, lui, y voit surtout l'expression d'une mélancolie propre à notre époque.

«On est dans une génération qui ne croit plus vraiment à rien et je crois que PNL cristallise ce côté désenchanté. Ils ont réussi à mettre des mots sur les sentiments d'une génération un peu déprimée.»

Pas étonnant que la chanson Le monde ou rien ait été reprise comme slogan du mouvement de protestation Nuit debout, qui a mobilisé une partie de la jeunesse française le printemps dernier. Cela démontre non seulement la résonance de PNL, mais aussi sa capacité à fédérer en dehors du hip-hop.

Des clips différents

Là aussi, PNL se démarque. «C'est une nouvelle proposition esthétique», résume Mehdi Maizi. Si le propos est d'un réalisme parfois cru, beaucoup de leurs clips incitent à l'évasion par leur côté atmosphérique.

Certaines vidéos ont été tournées dans leur cité, d'autres dans des endroits aussi improbables que la Namibie, l'Islande ou les Baléares. La même formule revient chaque fois: vues de haut filmées par des drones, longs plans au ralenti, acteurs récurrents issus de leur quartier, de leur clan.

De tous, on retiendra surtout le clip du Monde ou rien (2015), où le duo se met en scène dans la cité de Scampia, en banlieue de Naples, foyer de la tristement célèbre mafia napolitaine. Tour de force ? Peut-être avaient-ils des contacts, suggère Maestro. «On sait qu'on ne peut pas tourner là-bas sans avoir une certaine autorisation, certaines relations ou une certaine méthode d'approche.»

Pour PNL, ce morceau de bravoure signale le début de la mise en orbite du duo. «Avant ce clip, c'est un groupe prometteur suivi par une poignée de passionnés, souligne Mehdi Maizi. Après, ça devient un phénomène de la musique française.»

Le mystère PNL

Que sait-on de NOS et d'Ademo? Pas grand-chose, en vérité. Les deux frères cultivent une aura de mystère par leur refus systématique de donner des entrevues - y compris à La Presse, dont la requête est restée sans réponse. «Il y a beaucoup de conjectures et de fantasmes», souligne Mehdi en parlant des nombreux articles qui ont été écrits sur le duo.

Difficile de savoir quelle est la part de stratégie dans cette attitude. Mais la tactique a déjà souri à d'autres artistes français comme Mylène Farmer et Daft Punk.

Selon toute vraisemblance, les deux frères ont choisi le silence pour éviter d'avoir à s'épancher sur leurs origines. On croit savoir qu'ils sont mi-corses, mi-algériens, que l'un d'eux aurait fait un séjour en prison et qu'ils ont commencé leurs carrières de rappeurs séparément. Une hypothèse circule sur le Net selon laquelle les deux frères - dont les vrais noms sont Tarik et Nabil Andrieux - seraient les fils de René Andrieux, mafieux notoire de la cité des Tarterêts.

Ce mystère se confirme aussi sur scène, où le duo brille par sa rareté. Il n'a donné que trois concerts l'été dernier, dont un au Festival de jazz de Montreux.

Encore surpris de ce coup de filet, le responsable de la programmation, Mathieu Monnier, parle de «deux mecs extrêmement perfectionnistes» mais encore «très amateurs» dans leur approche de la scène. 

Un amateurisme qui s'expliquerait, croit-il, par leur «refus catégorique de s'entourer de professionnels du business», le duo préférant se fier à sa garde rapprochée.

«Ils n'ont pas l'habitude des grosses machines et ont assez peu d'idées de la façon dont ça fonctionne. C'est à la fois leur force et leur faiblesse.»

Un avant et un après

Feu de paille ou lame de fond ? Chose certaine, il est clair, selon Mehdi Maizi, qu'il y aura «un avant et un après PNL», le duo faisant déjà sentir son empreinte sur la nouvelle génération du rap français. «Ils ont prouvé qu'on pouvait tout faire en autarcie. Ils vont contribuer à changer les mentalités», croit Genono Maestro, de Vice.

Leur plus gros défi sera de «s'inscrire dans la durée», ajoute le journaliste. Dans un milieu où tout passe très vite, PNL devra trouver les moyens d'éviter de se perdre en chemin.

«Musicalement, ils ont tenu une recette, conclut Mehdi Maizi. Est-ce qu'un jour ils vont réussir à se renouveler? Et s'ils ne le font pas, est-ce que le public va se lasser, surtout dans le rap où on n'est pas l'attraction principale pendant 10 ans? Ce sera intéressant à voir.»