«Je suis vivant!», s'exclame de sa voix de canard John Lydon quand on lui demande comment il se porte. Plutôt qu'un simple constat, c'est le cri de joie d'un homme qui a mené la vie la plus imprévisible qu'on puisse imaginer. Entretien avec la voix des Sex Pistols, qui revient à Montréal avec son groupe Public Image Ltd.

C'est son allure et son attitude rebelle qui ont propulsé John Lydon comme chanteur, très atypique, des Sex Pistols, le groupe qui a provoqué, un peu malgré lui, le big bang punk du milieu des années 70. Les Pistols n'ont fait qu'un album - Never Mind the Bollocks, mais quel album coup de poing! - et Johnny Rotten, baptisé ainsi à cause de sa mauvaise dentition, a été viré du groupe et dépouillé de son nom d'artiste.

Redevenu John Lydon, il a formé Public Image Ltd., un groupe miné par la dissension et dont les membres jouaient constamment à la chaise musicale. Le PiL qu'on verra à La Tulipe samedi soir est le seul de la longue histoire du groupe à avoir enregistré deux albums de suite sans changement de personnel.

«Si PiL n'a jamais été un groupe permanent auparavant, c'était toujours à cause du manque d'argent, explique au téléphone le très volubile Lydon. Impossible de garder des gens impliqués dans un projet quand ils peuvent faire beaucoup plus d'argent ailleurs. J'ai financé PiL de ma propre poche pendant des années.»

PiL n'a pas donné signe de vie pendant la majeure partie des années 2000. Lydon est alors devenu une vedette d'émission de téléréalité qui batifolait avec des insectes, des gorilles ou des requins. Mais c'est en enregistrant des pubs télévisées pour une marque de beurre britannique que cet Anglais installé aux États-Unis depuis 30 ans a amassé suffisamment d'argent pour relancer PiL en toute indépendance de son ancien label, tout en contribuant à la relance spectaculaire de l'industrie laitière britannique.

«Avec cette pub, je suis devenu quelqu'un de très puissant, capable de manipuler et qu'on ne pouvait plus embêter plutôt qu'un chanteur rock démodé. Ainsi va la vie», affirme-t-il.

On est loin du Johnny Rotten qui pourfendait les valeurs conservatrices anglaises dans les hymnes God Save the Queen et Anarchy in the U.K.

Un sexagénaire en colère

L'an dernier, Lydon a publié La rage est mon énergie, une brique qui, plutôt que de continuer sur la lancée de sa première autobiographie parue il y a 20 ans, remonte jusqu'à la méningite qui, à 7 ans, l'a plongé dans un profond coma et lui a chipé sa mémoire pendant quatre longues années.

La chanson I'm Not Satisfied, sur le nouvel album au titre délicieusement ironique de PiL (What the World Needs Now...), est moins le cri du coeur de l'ex-jeune homme en colère qui aura bientôt 60 ans qu'un rappel douloureux de cette perte de mémoire qui a marqué sa vie à jamais.

«C'est la chose la plus brutale qui puisse arriver et ç'a laissé des traces, mais d'une manière positive, dit Lydon. C'est ce qui m'a gardé en vie. Je ne m'apitoie pas sur mon sort; au contraire, je vois vraiment ça comme une récompense.

«Je remercie la nature d'avoir essayé de m'effacer de la surface de la Terre et de m'avoir du même coup donné la possibilité de survivre et de devenir une meilleure personne.»

Comme l'indique le titre de ses mémoires, Lydon a toujours carburé à la colère. Pourtant, derrière l'image de provocateur dont il a fait sa marque de commerce, on découvre dans ce livre un homme sensible qui refuse évidemment de rentrer dans le rang, un homme intraitable, certes, mais dont la pensée sociale et politique porte plutôt à gauche et qui vénère davantage Gandhi que les hérauts de l'anarchisme.

Le slogan «no future», indissociable du punk, a été mal interprété, affirme-t-il. Loin d'être un message nihiliste, c'était plutôt une incitation à se grouiller le cul et à agir.

Tant qu'à citer des passages du grand livre du rock, je lui demande comment il a réagi quand il a entendu Neil Young chanter, dans My My, Hey Hey (Out of the Blue): «This is the story of a Johnny Rotten/It's better to burn out than it is to rust.» («C'est l'histoire de Johnny Rotten/Il vaut mieux s'éteindre que de rouiller.»)

Lydon échappe un rire sarcastique, puis il dit: «On a essayé de communiquer avec lui, mais ses agents sont allés jusqu'à nier qu'il savait qui j'étais. Ce qui, quand on y repense, était probablement une bonne réponse. Il est tout de même curieux que cette chanson ait permis à Neil Young de relancer sa carrière. Johnny Rotten peut faire de bonnes choses, même de façon indirecte...»

Fini, les Sex Pistols

Dans son livre, Lydon raconte qu'il s'est extirpé du punk avant que ça ne devienne une caricature ou une religion. «Dans le plus pur esprit du punk, j'ai tout arrêté», ajoute-t-il au téléphone.

Pourquoi alors avoir reformé les Sex Pistols le temps d'une tournée en 1996 puis, sporadiquement, dans les années 2000, au risque de ternir leur mythe? «Au contraire, je me disais que ça apporterait un peu de respect à quelque chose qui était déjà terni par l'industrie artisanale construite autour des Sex Pistols», répond Lydon.

«Toutes les sottises qui se faisaient passer pour du punk méritaient un bon coup de pied au cul, et la meilleure façon de le faire était de présenter la vraie affaire.»

L'opération n'a pas été concluante, mais Lydon ajoute qu'il voulait également faire renaître entre les quatre membres d'origine des Pistols une amitié qui s'était perdue alors qu'ils propageaient leur vision de la musique dans le monde.

«Mais on a continué un peu trop longtemps et on a fini par se détester, ajoute-t-il. Il a fallu des années pour réparer les pots cassés, mais aujourd'hui, lentement mais sûrement, nous commençons à communiquer de façon beaucoup plus amicale.»

Faut-il s'attendre à d'autres retrouvailles des Sex Pistols à l'occasion de leur 40e anniversaire en 2016?

Lydon-le-futé devine la question avant même qu'on ait fini de la lui poser: «Absolument pas! C'est terminé.»

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À La Tulipe le 14 novembre.