Émancipée et toujours revendicatrice, la grande dame du Wassoulou revient nous interpeller sur le calvaire existentiel de son pays, la souffrance des femmes, mais aussi de l’amour !

Depuis 1989, avec sa poignante chanson Magnoumako de son premier album Moussolou qui dénonçait le sort réservé aux femmes africaines (mariages arrangés, mutilations génitales, polygamie), Oumou Sangaré a fatalement la cause féministe à cœur.

« La chanson est toujours d’actualité, c’est notre réalité quotidienne, avoue-t-elle au cours de son entretien avec La Presse. Tant que les conditions des femmes n’auront pas changé à 100 % ce sera un combat, mais au moins, on note une amélioration. »

La reine africaine sera au MTelus dimanche, après une longue absence de 13 ans.

Les gens sont super sympas chez vous, c’est surtout ça qui m’impressionne. On y parle le français : les Québécois sont cool ! J’ai même songé à m’y acheter une maison !

Oumou Sangaré

En pleine tournée, l’icône africaine de 56 ans s’est récemment accordé deux jours de repos dans sa petite maison de Baltimore, son pied-à-terre d’Amérique, résidence où ont été écrites les onze chansons de Timbuktu, son neuvième disque qui est paru en 2022.

« J’organise le festival Colossal depuis sept ans dans la région du Wassoulou [336 villages recensés, à cheval sur trois pays] qui dure trois jours et attire 460 000 personnes. C’est de plus en plus difficile de gérer sa croissance, surtout que ça se passe dans la brousse ! »

« Après le festival, j’ai besoin d’un répit et j’évite la France, tout le monde me connaît là-bas ! Donc je suis venue me cacher [dans la région de] New York pendant deux semaines. » C’était en 2020 en pleine pandémie.

L’artiste réussit à convaincre Mamadou Doumbia, guitariste qui a joué avec Salif Keita, joueur de kora et de kole n’goni, cette harpe de l’Afrique de l’Ouest, de traverser l’Atlantique pendant le confinement avec la mission claire de peaufiner ses nouvelles chansons. Une palette de compositions qui comptent parmi ses plus belles chantées en langue bambara ; le jeu croisé des voix est hypnotisant.

« C’est surtout l’occasion de parler positivement de la culture de mon pays. Il n’y a pas que la guerre et la famine. Vous savez, la souffrance inspire beaucoup. J’étais trois mois sans rien faire, je m’ennuyais, j’étais nostalgique de mon pays, surtout avec le chaos qui régnait au pays, il y avait la guerre… »

La voix incandescente d’Oumou Sangaré fleurit au milieu des guitares et autres instruments traditionnels venus du fond des âges, ses chansons douces et venimeuses ne sont pas des ritournelles édulcorées, elles sont plutôt motivées par la fusion de ce monde global.

Delgrès, le blues en renfort

Oumou Sangaré a vu juste en recrutant le Français originaire de la Guadeloupe Pascal Danaë (Peter Gabriel, Youssou N’Dour, Skye Edwards de Morcheeba), du trio blues caribéen Delgrès formé en 2016, trio qui a fait escale à Nuits d’Afrique, justement, en juillet de l’an dernier.

« Les sons émanant des Caraïbes sont un mélange de sonorités africaines. Intégrer Pascal dans ce projet a été salutaire, la connexion s’est faite tout de suite ! »

Puisqu’un océan les séparait, la collaboration a pu être possible grâce aux échanges assistés de WeTransfer : les maquettes étaient retournées à Sangaré et Mamadou embellies de guitare Dobro.

PHOTO HOLLY WHITTAKER, FOURNIE PAR NUITS D’AFRIQUE

La chanteuse et compositrice Oumou Sangaré

Le blues est important pour nous, Maliens, puisqu’il a voyagé avant de prendre racine aux États-Unis. C’est Ali Farka Touré qui disait : moi, je ne fais pas de blues, je joue simplement la musique traditionnelle de mon pays. Il faut faire partie de l’évolution, mais en faisant attention de préserver sa propre culture.

Oumou Sangaré

Sur Timbuktu, le blues apporte une consistance plus charnelle, une intensité vibrante. On aime ici brouiller les repères de guitares obsédantes.

Bien qu’elle ait été élevée au rang de commandeur de l’Ordre national du Mali et d’officier de l’Ordre des Arts et des Lettres de la République française, en plus d’avoir obtenu quelques sélections aux Grammy – et d’avoir comme fans Beyoncé et Jay-Z –, la diva des musiques mandingues reste les deux pieds bien sur terre.

« C’est le résultat de beaucoup d’efforts et de travail, il faut aimer ce que l’on fait et représenter dignement la culture de son pays. Et bien sûr, c’est un bonheur que d’être connue. Beyoncé, elle apprécie ma voix et ma façon de chanter. Venant de quelqu’un qui a une autre culture que moi et est une grande star mondiale de surcroît, ça fait plaisir. Elle et Jay-Z ont carrément repris ma chanson Diarabi Nene en créant un échantillon [pour la chanson Mood for Eva]. »

Accompagnée des sept mêmes musiciens français et maliens qui figurent sur l’album Mogoya (2017), Oumou Sangaré a hâte de monter sur les planches montréalaises.

« Le meilleur moment de ma vie de tous les jours, c’est quand je suis sur la scène. Tu ne veux pas décevoir le public, tout le monde dans le groupe a le trac, le trac ne finira jamais. Pour y remédier un peu, on fait une prière ensemble juste avant. »

Oumou Sangaré sera au MTelus le 21 avril dans le cadre du festival Nuits d’Afrique.

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