A-t-on le souvenir d’avoir été aussi chamboulé à l’opéra ? Enigma, d’Éric-Emmanuel Schmitt et Patrick Burgan, dont c’était la première dimanche après-midi à l’Opéra de Montréal, vise dans le mille.

Schmitt est un des auteurs francophones les plus appréciés, tant pour son théâtre que pour ses romans au verbe aiguisé et à l’humanité généreuse. Il allait presque de soi que l’œuvre de cet amoureux de la musique classique (il en a écrit des tonnes sur le sujet) fasse l’objet d’une transposition lyrique. Ses populaires Variations énigmatiques, un huis clos masculin traduit dans près d’une trentaine de langues depuis sa création en 1996 par Alain Delon et Francis Huster, étaient le candidat tout désigné.

Musique efficace

L’intrigue est a priori simplissime : Erik Larsen (le ténor Jean-Michel Richer) se rend chez le Prix Nobel de littérature Abel Znorko (le ténor Antoine Bélanger) pour l’interviewer pour un journal de province. On apprend toutefois peu à peu que les deux hommes sont intimement liés par une femme, aussi insaisissable que le thème des Variations Enigma d’Elgar, qui ont donné à la pièce son nom.

Comme d’habitude, les répliques de Schmitt sont d’une efficacité chirurgicale. Et la pièce réserve plusieurs révélations percutantes (en particulier dans le second acte). Même quand on pense avoir découvert le pot aux roses, le dramaturge a encore deux ou trois uppercuts dans sa manche.

  • Le chef Daniel Kawka...

    PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

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  • ... et ses musiciens

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Qu’est-ce que la musique apporte vraiment à l’œuvre ? Le compositeur français Patrick Burgan, formé à l’avant-garde spectrale française (il fut l’élève de Gérard Grisey et de Tristan Murail), nous fournit une éloquente réponse.

Sans rien enlever à la version purement théâtrale, que nous avons eu la chance de voir il y a une douzaine d’années, la musique de Burgan, d’une accessible complexité (on est quand même dans quelque chose de généralement tout à fait tonal), décuple le potentiel expressif du livret (réalisé par Schmitt).

Si le prélude, introduit par deux coups de boutoir, se révèle gonflé de dissonances, on aura droit à d’autres passages beaucoup plus économes, notamment au second acte, avec le long solo aux couleurs debussystes de Richer.

On entend évidemment – comment passer à côté ? – les fameuses Variations Enigma, mais aussi une citation du Tristan de Wagner. Le chant, lui, épouse un style parlando qui nous garde au cœur du drame, même si les passages plus lyriques ne manquent pas.

L’équipe artistique est, à l’exception de l’orchestre I Musici (augmenté de plusieurs surnuméraires) et d’une douzaine de choristes féminines maison, essentiellement celle de la création à l’Opéra de Metz à l’automne 2022. En plus de Bélanger et de Richer, le chef Daniel Kawka, le metteur en scène Paul-Émile Fourny et le scénographe et éclairagiste Patrick Méeüs ont la charge de matérialiser le drame.

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Les ténors Jean-Michel Richer et Antoine Bélanger dans Enigma, présenté à l’Opéra de Montréal

La scène

Le dispositif scénique qui habille la scène du Théâtre Maisonneuve est aussi simple que l’intrigue : deux cubes lumineux emboîtés obliquement qui symbolisent la maison de l’écrivain et circonscrivent idéalement le lieu du drame.

Les deux ténors s’y meuvent pendant deux heures, un exploit sur le plan de l’endurance vocale et mnémotechnique. L’interprétation de Richer est tout à fait honorable, même si on l’a annoncé indisposé.

Malgré quelques toux et « craquouillages », le ténor a somme toute négocié le tout très professionnellement. Mais l’avalement de certaines voyelles (les « i » et les « é » en particulier) reste un défaut qu’il corrigerait avec grand profit.

La voix plus brillante d’Antoine Bélanger crée un contraste bienvenu. Hormis quelques aigus serrés et un timbre qui gagnerait à s’arrondir, le ténor endosse son rôle avec une grande assurance.

Une autre œuvre contemporaine à mettre au chapitre des bons coups de l’Opéra de Montréal.

Les 9, 11 et 13 avril, à 19 h 30, au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts

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