À 24 ans, il est parti pour la gloire. Ses trois spectacles montréalais sont des évènements. Kingfish nous balance la sauce blues avec l’assurance du bon vieux guerrier avec des solos d’une constante intensité.

Ses riffs hargneux laissent des entailles considérables.

Pour une fois, pas besoin d’accrocher un exemplaire du Living Blues ou du Blues Magazine pour s’en faire une idée.

L’attaque est féroce, ça rappelle le Buddy Guy d’I Smell A Rat. De toute évidence, on n’est pas dans un congrès de jovialistes ; avec autant de déceptions sentimentales exprimées et le masque de souffrance affiché, on en plein dans la fosse à purin.

Quand on l’écoute en entrevue, pas déprimant pour deux sous, il n’est manifestement pas du genre à vouloir prendre son bain avec son grille-pain.

Le guitariste imprime des sensations, avec le sentiment tourmenté qui jaillit de ses cordes, il mise sur des mélodies rudimentaires et de pugnacité directe.

On y adhère franchement avec le même gros plaisir. Voilà un musicien qui vous remue corps et âme avec sa façon si personnelle d’épaissir le bon vieux blues d’électricité lourde.

Au sujet des quelques covers qu’il offre, il précise : « Hey Joe, tu ne veux pas manquer de respect envers la version d’origine, mais en même temps, tu ne veux pas la reproduire note pour note non plus. »

En première partie des Rolling Stones à Hyde Park à Londres en juillet dernier, Kingfish a plusieurs collaborations à son actif, entre autres avec le rappeur du Mississippi Big K. R. I. T. Tous ses amis d’enfance ont embrassé le hip-hop tandis que lui, il a aussi participé à onze spectacles du groupe indé Vampire Weekend.

Extrait d’Another Life Goes By

Au moins deux festivals de blues d’importance au Québec ne peuvent plus se le payer, le prix a grimpé en flèche, c’est le syndrome Gary Clark Jr, quoique, la folie frénétique qui agitait les amateurs à propos de ce dernier s’est calmée.

Joe Bonamassa qui remplit des Wilfrid-Pelletier et des moitiés de Centre Bell est dans cette ligue, c’est la loi universelle du marché.

Son premier disque, Kingfish, est paru en 2019. Sans attendre, Billboard le consacre prodige blues. En 2020 il gagne cinq Blues Music Awards. Il a remporté le Grammy du meilleur album blues contemporain pour son disque 662 (l’indicatif régional de l’État).

Extrait de My Dog & Me

Le Mississippi, État providence

Le PNB du Mississippi, c’est le blues. Et ils sont nombreux les locaux du hood à être passés par le Québec. Jack Johnson, the oil man (qui livrait du mazout le jour), à Roosevelt Booba Barnes, roi des juke joints en passant par le R. L. Burnside avec ses blues aux charpentes rudimentaires. Alvin Youngblood Hart en solo, Mr. Sipp et ses spectacles captivants…

On pourrait penser que les musiciens de blues du mythique État, de par leurs moyens de bouts de ficelle proviennent tous de l’école « de la chaîne de trottoir » comme les anciens. Eh bien, non.

« J’ai tout appris au Delta Blues Museum par leur programme Arts & Education à Clarksdale, Mississippi. Des apprentis de 5 à 65 ans peuvent apprendre l’instrument de musique de leur choix », confiait-il en sortie de scène lors du gigantisme Byron Bay Blues Fest en Australie l’année dernière.

Atteint du syndrome d’Asperger, le bluesman de 24 ans a tout pour lui, il baigne dans le blues depuis qu’il est tout petit, comme Obélix avec sa bonhomie, sa physionomie et son enveloppe corporelle, sauf qu’au lieu de lancer des menhirs, il donne au suivant.

Les joyaux à polir sont encadrés, soutenus. Lui-même fait encore un peu de mentorat avec les plus jeunes.

Il peut, par exemple, incorporer quelques mesures de reggae au beau milieu d’une chanson, à la manière d’un Eric Gales, une sommité du manche qui ne peut hélas venir ici à cause d’un dossier non conforme.

Le fabricant de guitares Fender vient tout juste de lancer le modèle Kingfish Signature Telecaster Deluxe.

Extrait de Long Distance Woman

On pourra la voir et l’entendre, on l’espère sur Long Distance Woman, un morceau méchant du vendredi soir qui atteint le plexus ou alors dans la tourmente de Empty Promises, au beau milieu du plaidoyer, trois minutes accrocheuses, imparables. Kingfish offre des titres sous haute tension.

Il adore déambuler dans la foule, comme l’a toujours fait Buddy Guy. Ça renforce la communion, mettons. Ce sera essentiellement ça : juste du bœuf, pas de sauce. Pour lui comme pour nous, l’essentiel est donc sauf. C’est sans prétention, mais quelle fraîcheur !

« Après le spectacle, c’est le temps de relaxer, le temps de faire la fête ! »

Dans toute l’ivresse de son ascension, l’enfant terrible du blues a un effectif enfin stabilisé. Un loup affamé ?

S’il n’est pas au haut de la hiérarchie, il est un sérieux postulant.

29 juin, 21 h et 23 h Scène Rogers, Le Parterre. Et le 30 juin, 19 h 30, Salle Wilfrid-Pelletier, Place des Arts