Guitariste doué et réalisateur sensible, Joe Grass est moins connu du grand public, mais il s’est bâti une solide réputation dans le milieu musical québécois. Portrait d’un musicien qui aime créer des mondes.

Joe Grass a travaillé avec de nombreux artistes depuis 20 ans, de Lhasa de Sela à Elisapie en passant par Marie-Pierre Arthur et Patrick Watson. Le très sollicité guitariste mène aussi depuis tout ce temps une carrière d’auteur-compositeur-interprète et lance vendredi Falcon’s Heart, album qui puise autant dans les racines de la musique country-folk que dans son intérêt pour les textures contemporaines.

« Je voulais écrire des chansons vraiment simples, sans jugement. Comme les vieilles affaires country que j’aime, du George Jones, tous ces gens morts qui n’intéressent pas mes amis », nous explique Joe Grass en souriant, attablé dans un petit café au cœur du Mile End, où il a son studio.

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« Mais c’est dur de rester simple, ajoute-t-il. Il y a deux parts de moi dans ce projet : celle qui voulait faire des chansons belles et simples et concises, et l’autre qui voulait déconstruire, faire des collages de plein d’affaires, de l’électronique, du contemporain, du classique, des mondes plus abstraits, et mettre ça ensemble. »

En fait, pour Joe Grass, tout est une question d’équilibre : dans son travail avec les autres, par exemple, l’objectif est de « créer un monde » à partir du sien et celui de l’artiste avec qui il collabore. « Là, c’est moi qui crée un monde à partir de deux parties de moi. »

Mais la recherche de l’équilibre ne signifie pas pour autant la quête de la perfection. Au contraire.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Joe Grass

C’est le fun de laisser une couple d’affaires débalancées. Tout est débalancé dans la vie, tu as juste à te promener en ville, avec les cônes orange partout !

Joe Grass

Il laisse d’ailleurs une large place à l’impro en studio, et a invité pour cette raison des musiciens issus de la scène free jazz à se joindre à lui, question d’ajouter leur palette aux couleurs de l’album.

C’est le secret de Joe Grass en fait, savoir jusqu’où aller loin – parce que « le danger c’est aussi d’en faire trop » –, rester ouvert aux suggestions et aux imprévus. C’est beaucoup de cette manière qu’il a travaillé avec son trio de de base formé de musiciens amis, Robbie Kuster à la batterie, François Lafontaine aux claviers et Mishka Stein à la basse.

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« Par exemple Guadalupe, j’ai donné comme indication à Robbie et François quelque chose comme “dust in a psychedelic desert et vous marchez avec des cowboys boots.” Ils ont compris tout de suite.» Ce qui le réjouit, c’est que le résultat ne ressemble pas tant à ce qu’il imaginait, mais qu’il est plutôt la création d’un nouveau monde auquel il n’avait même pas pensé.

C’est ça qui est merveilleux. C’est l’aventure. Les surprises, c’est plus excitant que ce que tu avais conceptualisé. Des musiciens qui mettent ensemble leurs idées, ce sera toujours plus intéressant que juste ma vision.

Joe Grass

Pour cet album poétique et apaisant qui évoque l’imprévisibilité de la vie – « J’ai appris qu’il faut accepter certains manques de certitude » –, Joe Grass privilégie aussi une écriture qui est plus vectrice de sensations et d’émotions qu’orientée vers un propos précis. « C’est plus ouvrir des antennes autour et en moi », explique-t-il, en espérant que les gens qui écoutent puissent s’y projeter.

« Mais ce que j’avais en tête en écrivant la chanson, ce qui se passait à ce moment-là, personne n’a besoin de le savoir ! »

Réputation

Originaire du Nouveau-Brunswick, Joe Grass est d’abord venu à Montréal au début des années 2000 pour étudier. « Les premiers étés, je retournais travailler au carwash ou au zoo à Moncton. Après j’ai commencé ma carrière solo, j’ai joué dans les bars, j’ai rencontré des musiciens. J’ai commencé à me construire une communauté, et je me suis dit c’est quand même cool. »

Bref il n’est jamais reparti, et non seulement il a installé sa vie et son travail ici, mais il s’est aussi bâti au cours des années une réputation plus qu’enviable de musicien de studio et de scène, ainsi que de réalisateur. Quand on lui souligne à quel point les gens veulent travailler avec lui, il rougit un peu.

J’ai eu la chance de faire partie de projets que beaucoup de monde a entendu, et auxquels je crois. Je suis très reconnaissant de ça. Oui la réputation, mais en même temps, il faut créer quelque chose de nouveau, évoluer. Il ne faut pas s’asseoir là-dessus, travailler comme on a toujours travaillé.

Joe Grass

Joe Grass espère bien entendu pouvoir emmener Falcon’s Heart sur scène. Son projet solo, qu’il mène depuis 2005 en parallèle avec le reste, n’est qu’une autre facette de lui, « une autre façon d’approcher des chansons ». Mais ce nouvel album aux « couleurs différentes » pour lui, il y croit profondément… tout en restant critique bien sûr, ce qui cadre avec son attitude réellement humble.

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« Il n’y a pas un moment où je me dis : je suis à 100 % convaincu que c’est mon meilleur projet. C’est juste mon plus récent, et j’ai appris des choses dans le processus. J’en suis fier et j’ai hâte de le jouer live, mais il faut que le monde aime ça en premier ! Je serais heureux que le monde l’écoute. »

Falcon’s Heart

Folk

Falcon’s Heart

Joe Grass

Simone Records
Disponible vendredi

Joe Grass vu par…

Elisapie

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Elisapie Isaac

« Je n’ai jamais vu quelqu’un aussi dévoué à son instrument. Il a l’air d’un musicien brut, naturel, mais non, il travaille tout le temps ! Il y a quelque chose qui a cliqué musicalement entre nous sur The Ballad of the Runaway Girl, c’est pour ça que je retravaille avec lui. On est différents, je parle beaucoup, surtout si je suis émotive, mais il m’a appris à avoir confiance, que si on ne triche pas, on va arriver où on doit arriver. Cet album a changé ma vie, parce que Joe me permettait de sauter et de faire face à mes peurs. Et il est discret alors qu’il pourrait être tellement show off. Mais jamais. It’s all about the music. »

Patrick Watson

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Patrick Watson

« Si Lhasa lui a demandé de jouer avec elle à l’époque, c’est pour sa sensibilité et son écoute. Joe a joué sur Close to Paradise et j’ai beaucoup travaillé avec lui. Il est talentueux à l’extrême. J’aime sa façon de jouer de la pedal steel, qui est un instrument très country, mais il lui a ouvert un son presque néo-classique. Il peut jouer n’importe quoi, du banjo, de la mandoline, dans tous les styles. Il aurait pu être un Nashville session musician, ce qui est un compliment, parce qu’à Nashville, tous les musiciens jouent comme des dieux. »

Marie-Pierre Arthur

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Marie-Pierre Arthur

« J’ai appelé Joe à la dernière minute pendant ma tournée en 2009, pour remplacer mon guitariste. Et j’ai capoté ben raide ! Ç’a été lui jusqu’à la fin, et depuis ce temps-là, il est toujours dans les parages. Il a l’air tranquille comme ça, mais il ne l’est pas tant. Il peut jouer du rock avec beaucoup de poils, ou être dans l’extrême tendresse, ou aller loin dans le sophistiqué. Il est très doué et connaisseur, capable d’être nono aussi. C’est ce qui me fascine, parce que c’est rare, tout ça dans la même personne. »