À l’occasion des 25 ans de la mort de Nick Auf der Maur, sa fille Melissa raconte le rôle essentiel qu’a joué son père au moment où elle hésitait à accepter une invitation à auditionner pour le poste de bassiste dans Hole.

Melissa Auf der Maur se voyait passer toute sa vie à Montréal. « J’étais très heureuse », s’est-elle remémoré récemment lors d’un généreux entretien téléphonique. « J’étudiais à Concordia [en photo], je jouais avec mon groupe [Tinker], je n’avais pas vraiment l’ambition de partir à la conquête du monde. »

Lorsque Billy Corgan, avec qui elle avait amorcé une relation épistolaire après la visite des Smashing Pumpkins aux Foufounes électriques en 1991, lui propose de se rendre à Seattle et d’auditionner pour la formation Hole, la jeune femme de 22 ans répond merci, mais non merci.

« Et c’est mon père qui m’a dit : “Tu devrais y repenser. Rappelle le Big Pumpkin et dis-lui que tu as changé d’idée” », racontait la musicienne, à quelques jours des 25 ans de la mort de son paternel, Nick, survenue le 7 avril 1998. Big Pumpkin ? L’auteur de ces lignes s’esclaffe. « Oui, c’est comme ça qu’il l’appelait ! Ça, c’est mon père tout craché. »

Conseiller municipal, reporter vedette à The Gazette, pilier des bars de la rue Crescent, intime des gros bonnets comme des désargentés, Nick Auf der Maur est surtout le plus grand chroniqueur montréalais à ne pas porter le nom Pierre Foglia. Un évènement à sa mémoire se tiendra vendredi en fin d’après-midi chez Winnie’s, au centre-ville, autour de plusieurs vodka-canneberge, son poison de prédilection.

PHOTO JEAN-YVES LÉTOURNEAU, ARCHIVES LA PRESSE

Nick Auf der Maur, alors conseiller municipal pour le Rassemblement des citoyens de Montréal, le 22 janvier 1975

La réaction de mon père témoigne d’à quel point mes parents étaient cool. À leurs yeux, Courtney Love n’était pas cette junkie dangereuse que bien des gens voyaient, mais une femme influente et intrépide avec qui j’avais soudainement l’occasion de voyager partout et d’accomplir quelque chose d’extraordinaire.

Melissa Auf der Maur

Même s’il n’avait rien d’un amateur de rock, contrairement à la mère de Melissa, la traductrice Linda Gaboriau, c’est Nick Auf der Maur qui a offert à sa fille sa première basse, une Esquire achetée chez York Music, un cadeau pour ses 21 ans. « J’étais allée le voir sur Crescent », se souvient celle qui était alors DJ au Bifteck, « il avait sorti l’argent de son portefeuille et j’étais retournée directement au magasin. »

Renouer avec la jeune femme en elle

En 2010, Melissa Auf der Maur fondait avec son mari, le réalisateur Tony Stone, la Basilica Hudson, un centre d’art et de diffusion sis dans la vallée de l’Hudson. À ce projet chronophage s’en ajoutait à la même époque un autre, encore plus prenant, celui de la parentalité : leur fille River a maintenant 11 ans.

Mais Melissa, la musicienne ? « C’est un des grands mystères de ma vie », souffle la femme de 51 ans dont le plus récent album, Out of Our Minds, date de 2010. « Je ne souhaitais pas conjuguer maternité et tournée et je sentais que j’étais allée au bout de mon rêve avec la musique, que je devais prendre un pas de recul. Je voulais recréer ici tout ce que j’aimais du Montréal des années 1990, un lieu réellement alternatif, différent, loin de la merde de Ticketmaster et des majors. »

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Melissa Auf der Maur, sur scène avec les Smashing Pumpkins, au Spectrum en mars 2000

Et toutes ces années plus tard ? « Mon corps est vraiment triste, confie-t-elle. Mon esprit et mon âme sont très confus quant à ma décision d’arrêter de jouer de la musique. »

C’est pendant la pandémie que Melissa Auf der Maur a mesuré pour la première fois la profondeur du vide que creuse en elle cette absence. « Ma basse et la magie de la création commençaient à me manquer », souligne celle qui planche en ce moment sur l’écriture de son autobiographie ainsi que sur un projet musical conjoint.

Mon livre, c’est une manière de m’engager envers moi-même à renouer avec la musicienne que je suis. Je veux retrouver la fille qui s’enfermait des heures dans sa chambre à apprendre des lignes de basse. La fille de 21 ans en moi est ma nouvelle professeure. Je dois passer plus de temps avec elle.

Melissa Auf der Maur

Réhabiliter Courtney

En plus de vouloir « honorer la musique qui a changé [sa] vie », Melissa Auf der Maur espère avec son livre contribuer à réhabiliter sa camarade Courtney Love, une des figures les plus clivantes de l’histoire du rock, que papa Nick a déjà lui-même défendue. En 1996, le Montréalais est monté sur la scène du Théâtre Rialto afin d’interrompre une conférence tenue par les journalistes Max Wallace et Ian Halperin, deux des principaux propagateurs de la thèse du meurtre de Kurt Cobain par sa veuve.

« Même dans ses moments les plus difficiles, même au pire de ses problèmes de dépendance, j’ai toujours soutenu Courtney, parce que le double standard dont elle était victime était si évident et brutal », regrette celle qui lui parle encore régulièrement, bien qu’une réunion de Hole ne soit pas sur la table, Madame Love ayant en aversion toute forme de nostalgie. « Je la voyais s’autodétruire pendant qu’on lui lançait des balles de fusil sur scène et qu’on la traitait de meurtrière. »

En 2019, alors que le magazine Kerrang ! soulignait les 25 ans de la mort de Cobain, Melissa signait dans ses pages une lettre s’élevant contre la déification du leader de Nirvana. « Kurt Cobain était brillant, il a changé ma vie et ma génération, précise-t-elle au bout du fil, mais dans quel genre de culture c’est celui qui abandonne son épouse et sa fille qui devient le héros de l’histoire ? »

IMAGE TIRÉE D’UNE VIDÉO

Melissa Auf der Maur et Courtney Love lors d’un hommage à cette dernière, en 2018

Courtney a offert au monde un cadeau de colère et de beauté dont on ne saisit pas encore l’importance. Elle n’était pas toujours polie, mais qui a changé le monde en étant poli ?

Melissa Auf der Maur

La revanche des timides

Quelqu’un a récemment demandé à Melissa Auf der Maur si, comme le veut la légende, elle a bel et bien fait ses devoirs scolaires, avec son père, sur le comptoir de ses bars préférés. « Ce n’est pas faux, rigole-t-elle, mais pour moi, ça n’avait rien de grave. » Si elle assure avoir adopté une conception plus orthodoxe de la parentalité, elle retient de son père ses efforts déployés afin de lui insuffler une confiance qui lui échappait, à une époque où elle souffrait d’une douloureuse timidité.

PHOTO DENIS COURVILLE, ARCHIVES LA PRESSE

Melissa Auf der Maur, devant la ruelle portant le nom de son père, en avril 1999

Un jour, mon père m’a murmuré à l’oreille : « Les plus silencieux auront davantage à dire plus tard. » Et ça m’avait fait comprendre qu’être observatrice, c’est aussi une forme d’intelligence et de pouvoir.

Melissa Auf der Maur

« Je me souviens aussi qu’un soir d’élection, poursuit-elle, la voix chargée, je lui avais demandé pourquoi il investissait tout ce temps, alors qu’il risquait de perdre et d’être déçu. Il m’avait répondu : “Parce que je ne fais pas confiance à ces trous-du-cul.” »

La leçon n’était évidemment pas que politique. « Ce qu’il voulait me dire, c’est que ta vie, c’est à toi de la prendre en main. C’est à toi de vivre ta propre aventure. »