Sa tournée rétrospective 40 printemps s’est terminée il y a moins d’un an, et voilà que Paul Piché reprend la route pour souligner le 35anniversaire de son album Sur le chemin des incendies. Il ne faut pas se fier aux apparences : le chanteur ne veut pas se limiter à gérer son patrimoine.

De la reconnaissance. C’est ce qui se lisait sur le visage de Paul Piché lorsqu’il est apparu au milieu des spectateurs lors du premier concert de la tournée qu’il consacre à son disque Sur le chemin des incendies, le 4 février, à la salle Pauline-Julien du cégep Gérald-Godin, dans l’ouest de l’île de Montréal. « Merci, merci tellement », répétait le chanteur, en allant rejoindre ses musiciens sur les planches.

Cette entrée n’est pas la première scène du spectacle. Celui-ci avait commencé quelques minutes plus tôt avec la diffusion d’une vidéo dans laquelle il rappelait les tâtonnements qui ont donné naissance aux chansons Un château de sable et Je lègue à la mer : le doute devant un texte peut-être trop philosophique, dissipé seulement lorsque Rick Haworth a trouvé sur son instrument un motif qui a inspiré tout le monde.

Sur le chemin des incendies, c’est beaucoup ça, assure Paul Piché : un disque d’instinct, conçu dans un esprit de liberté et d’exploration.

Quand j’ai commencé à faire des chansons, je ne connaissais pas la musique plus que ça : je jouais de la guitare et je chantais dans les bars ou les fêtes politiques.

Paul Piché

« Rendu à Nouvelles d’Europe, j’étais impliqué. Je voulais essayer des affaires, poursuit-il, lors d’une entrevue en coulisses, après le spectacle. Arrivé à Sur le chemin des incendies, j’avais l’impression d’être allé à l’université des arrangements. Je savais comment ça marchait. C’est le premier de mes disques que j’ai réalisé. »

  • Paul Piché s’est présenté à son public en se glissant parmi lui, le 4 février, à la salle Pauline-Julien, lors du concert inaugural de sa tournée consacrée au disque Sur le chemin des incendies.

    PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

    Paul Piché s’est présenté à son public en se glissant parmi lui, le 4 février, à la salle Pauline-Julien, lors du concert inaugural de sa tournée consacrée au disque Sur le chemin des incendies.

  • Sur le chemin des incendies est traversé par l’angoisse, la mort et le sentiment de perte, mais sur scène, les chansons ont quelque chose d’étonnamment lumineux.

    PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

    Sur le chemin des incendies est traversé par l’angoisse, la mort et le sentiment de perte, mais sur scène, les chansons ont quelque chose d’étonnamment lumineux.

  • Tour à tour sautillant, souriant, méditatif et grave, le bassiste Mario Légaré, complice de Paul Piché depuis des décennies, est une espèce de livre ouvert sur scène. Son jeu est toujours d’une sensibilité exceptionnelle.

    PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

    Tour à tour sautillant, souriant, méditatif et grave, le bassiste Mario Légaré, complice de Paul Piché depuis des décennies, est une espèce de livre ouvert sur scène. Son jeu est toujours d’une sensibilité exceptionnelle.

  • Rick Haworth est un peu l’alter ego de Paul Piché, celui avec qui les idées se transforment en chansons. Émotion contenue, humour, mélodies imparables, c’est aussi un musicien immensément expressif.

    PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

    Rick Haworth est un peu l’alter ego de Paul Piché, celui avec qui les idées se transforment en chansons. Émotion contenue, humour, mélodies imparables, c’est aussi un musicien immensément expressif.

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Élan poétique

Paul Piché avait déjà commencé à s’éloigner de la formule chansonnier de ses débuts sur Nouvelles d’Europe (1984). Ce qui a vraiment changé au disque suivant, c’est toutefois son écriture : d’un style direct, volontiers politique (Réjean Pesant, Quand je perdrai mes chaînes), il a glissé vers une approche plus poétique. « J’ai commencé à écrire sans me demander de quoi je parlais. Je suivais les mots, résume-t-il. Même chose pour la composition et les arrangements : on a suivi l’émotion. »

Il a raconté sur scène que lorsqu’il a commencé à écrire J’appelle, il croyait parler de lui. Le loup blessé de la chanson, c’est un peu lui, c’est vrai : le chanteur traversait à cette époque une période de bouleversements personnels dont témoignent notamment Car je t’aime et Le temps d’aimer, où il est clairement question de rupture. Mais ce loup est aussi – voire surtout – un animal qui constate la détérioration de son habitat. « L’eau qui ruisselle après la pluie, n’a plus le même goût », dit la chanson, créée à une époque où on parlait tous les jours des pluies acides.

Un château de sable évoque entre les lignes la fragilité du français et par extension le projet d’indépendance.

C’était off de chanter en français [en 1988]. Surtout en québécois. En français de France, c’était déjà moins pire. On vivait encore sur l’échec du référendum de 1980.

Paul Piché

Sur le chemin des incendies a pourtant connu un succès gigantesque. Six de ses neuf chansons ont été des extraits radio. Et il fait partie des disques qui, avec Celle qui va de Marjo (1986), Un trou dans les nuages de Michel Rivard (1987) et Journée d’Amérique de Richard Séguin (1988), ont redonné un élan à la musique québécoise.

Ombre et lumière

Ce n’est pas le côté engagé de Sur le chemin des incendies qu’on a remarqué à l’époque. Non plus sa gravité d’ensemble – il est question de la mort, du passage du temps, d’échec amoureux – qui en a fait un grand disque. Sa force tient justement à son côté fuyant : le contraste entre la grisaille du propos et les mélodies accrocheuses, ses pulsations atypiques et immensément vivantes, ses jeux d’ombre et de lumière.

Plus de trois décennies plus tard, en écoutant Paul Piché le rejouer en entier sur scène – dans des versions heureusement expurgées des claviers douteux des années 1980 –, on en goûte mieux la profondeur. Et on redécouvre des morceaux restés dans l’ombre des succès radio comme Étrange et, surtout, la dramatique La haine, qui fut l’un des moments forts du concert inaugural de la tournée.

Bien sûr, entendre un homme adulte évoquer des désirs inavouables et chanter « Ne dit pas à ta mère/Que tu m’as rencontré » (Sur ma peau) crée une dissonance cognitive en 2023. Même si Paul Piché précise sur scène que la chanson parle de son adolescence. Bien sûr, comme tout soir de première, le concert présenté à la salle Pauline-Julien au début de février était un peu croche et a sans doute été resserré depuis.

Or, ce spectacle né d’une idée lancée à Paul Piché par Nicolas Houle, directeur de la programmation du Palais Montcalm, à Québec, est surtout un moment lumineux. Qui tient autant aux chansons qu’à la complicité palpable entre le chanteur et ses musiciens, dont trois étaient de la tournée Sur le chemin des incendies, il y a plus de 30 ans : l’épatant Pierre Hébert à la batterie, le pince-sans-rire Rick Haworth à la guitare et le sensible Mario Légaré à la basse.

« Refaire ce disque avec les mêmes personnes, c’est ça qui est fort, se réjouissait Paul Piché, après le spectacle. Ils ne sont pas juste habiles, ce sont de grands artistes. »

Retravailler avec eux a donné l’envie au chanteur de replonger dans la création. « Je ne veux pas trop rester dans le passé, dit-il. Et j’ai de nouvelles chansons. » Il en fait une, d’ailleurs, dans ce spectacle. Une nouvelle flamme s’est allumée sur le chemin des incendies.

Au Théâtre Outremont vendredi, à 20 h, et en tournée au Québec jusqu’au 24 mai, à Sherbrooke

Consultez le site de l’artiste pour connaître les dates de spectacle