Bruce Springsteen en est-il à cette phase de sa carrière où une légende du rock enregistre des reprises afin de pallier son manque d’imagination, un chemin souvent calamiteux dans lequel se sont engouffrés tant de ses compères, d’Aerosmith à Rod Stewart aux Ramones ? Heureusement que non. Only the Strong Survive respire la joie, pas le désespoir.

Créé au début de la pandémie chez lui au New Jersey avec son fidèle réalisateur de la dernière décennie, Ron Aniello, qui joue de presque tous les instruments, ce 21album du Patron n’a rien d’une entreprise vulgairement mercantile, ne serait-ce que parce que les titres choisis parmi le riche catalogue soul ne sont pas des évidences. Someday We’ll Be Together (1961) des Supremes est sans doute le plus connu du lot.

Bruce Springsteen n’est donc pas du tout en voie de se sylvaincossettiser. Ses fans savent bien, de toute façon, qu’il a toujours aimé ponctuer ses spectacles d’interprétations finement choisies, lui permettant d’offrir un éclairage sur ses influences. Jersey Girl du clochard céleste Tom Waits, Trapped du reggaeman Jimmy Cliff et Dream Baby Dream des esthètes punks Suicide ont longtemps été des faits saillants de ses performances marathons.

Projet manifestement aiguillé par le simple bonheur de chanter des mélodies qui lui font du bien, cette collection de douillets refrains dorés souffre cependant de cette absence de raison précise d’exister. Disque parfaitement agréable, auquel il est difficile de reprocher quoi que ce soit outre des arrangements parfois stériles, Only the Strong Survive est aussi un disque parfaitement facultatif. D’autant plus qu’en reproduisant presque à l’identique ces chansons principalement empruntées à la décennie 1960, le chanteur de 73 ans n’offre que peu de raisons d’écouter ses versions, plutôt que les originales. We Shall Overcome : The Seeger Sessions (2006), le vivifiant mais oubliable hommage du rockeur américain à l’icône folk Pete Seeger, est ce dont cet album se rapproche le plus dans sa discographie.

Ce n’est sans doute pas un hasard si les deux moments les plus mémorables parmi ces 15 pièces datent des années 1980 : Nightshift, enregistrée en 1985 par les Commodores, et When She Was My Girl, popularisée par les Four Tops en 1981. Springsteen a toujours été le plus mélomane des musiciens et seul lui pouvait dénicher de pareilles pépites dans les recoins mal-aimés de l’œuvre de ces deux grands groupes.

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Only the Strong Survive

Soul

Only the Strong Survive

Bruce Springsteen

Columbia

6/10