Prenez un gâteau sorti du four. Par la magie du « demixage », extrayez tous ses ingrédients un à un : la farine, les œufs, l’eau, la levure, le sucre, la vanille. Puis refaites un autre gâteau, en changeant un peu les proportions, pour que le résultat soit encore plus goûteux.

Voilà ce qu’a réalisé l’ingénieur Giles Martin, avec cette nouvelle version remixée de l’album Revolver des Beatles, classique absolu de l’année 1966.

On aurait pu craindre que cette énième réédition ne soit qu’une autre astuce pour presser le citron des Fab Four. Mais il y a ici une vraie valeur ajoutée : le fils de George Martin (producteur historique des Beatles) a en effet eu accès à la technologie informatique utilisée par le réalisateur Peter Jackson pour le documentaire Get Back, sorti l’an dernier.

Ce procédé révolutionnaire permet de retourner aux « mix » originaux et d’en isoler tous les instruments. Ceux-ci étaient pour la plupart « pris en pain » à cause des limites techniques de l’époque, qui obligeait à tout fusionner (bouncing) pour gagner de l’espace sur les consoles à quatre pistes.

Bref, voici que soudainement, chaque riff de guitare, chaque ligne de basse, chaque punch de batterie possède sa piste individuelle, ouvrant un nouveau spectre de possibilités en matière de (re)production.

PHOTO FOURNIE PAR PARLOPHONE/UNIVERSAL

Les Beatles en studio

Giles Martin est resté fidèle au disque de 1966. Forcément. Mais il injecte un nouveau souffle à ce chef-d’œuvre du rock psychédélique, qui contient des perles comme Taxman, Eleanor Rigby et l’incontournable Tomorow Never Knows.

On vous épargne les comparaisons avec les versions mono et audio d’origine, ainsi que les détails sur tel effet sonore ou telle guitare à l’envers. Un tas de geeks des Beatles s’en chargent déjà sur YouTube et c’est d’ailleurs très amusant.

Disons simplement qu’un nouvel espace sonore vient de s’ouvrir, et que toutes les chansons « respirent » mieux, pour ne pas dire qu’elles sont « canon », même si les puristes préféreront sans doute le Revolver original, ce qui se conçoit parfaitement.

Du pot à l’acide

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Album qui fait le pont entre Rubber Soul (1965) et Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band (1967), Revolver marque le passage des Fab Four à l’âge adulte.

Comme c’est le cas pour toutes les rééditions des Beatles depuis Sgt. Pepper’s en 2017, ce Revolver 2.0 vient en plusieurs configurations.

Pour l’expérience totale, on suggérera toutefois le coffret de cinq CD (ou quatre vinyles), qui inclut aussi le remix du 45 tours Paperback Writer/Rain, un gros bouquin avec photos et texte signé Questlove (du groupe rap The Roots) ainsi qu’une flopée de chutes de studio, qui nous remettent dans l’ambiance et aident à mieux cerner le processus créatif de l’album.

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Pour l’expérience totale, notre journaliste suggère le coffret de cinq CD ou de quatre vinyles.

On pense à George et à sa démo de Love You To à la guitare sèche (sans les instruments indiens). À John et à Paul, qui se paient un immense fou rire sur And Your Bird Can Sing. À cette version de Rain jouée à 200 km/h (pour être ensuite ralentie). Ou à Paul et George Martin, causant vibrato pour le quatuor à cordes d’Eleanor Rigby.

On pense aussi – et surtout – à la version embryonnaire de Yellow Submarine chantée par Lennon, qui confirme une fois pour toutes son apport fondamental à cette chanson. Précisons que ce premier jet, plutôt mélancolique (In the town where I was born/No one cared/No one cared), n’a rien à voir avec la comptine pour enfants que l’on connaît… et qu’on n’est plus capable de supporter.

Pour certains, Revolver serait le meilleur album des Beatles. Ça se discute. Mais c’est un disque fondamental dans le parcours du groupe.

D’abord, c’est ici qu’émergent distinctement les personnalités de chacun. Lennon l’acide, Paul l’harmonieux, George l’existentiel, Ringo le rigolo. Une tendance qui va s’accentuer dans les années à venir, jusqu’à l’implosion finale.

  • John Lennon

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    John Lennon

  • Paul McCartney

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    Paul McCartney

  • George Harrison

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    George Harrison

  • Ringo Starr

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    Ringo Starr

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C’est aussi sur Revolver que les Beatles deviennent un vrai groupe de studio, avide d’innover et d’expérimenter. C’est la passerelle entre Rubber Soul (1965) et Sgt. Pepper’s (1967), entre l’enfance et l’âge adulte, entre le pot et le LSD. Il y a encore des chansons d’amour (Here, There and Everywhere), mais aussi des morceaux politiques (Taxman), sociaux (Eleanor Rigby), oniriques (I’m Only Sleeping) et même métaphysiques (électrisante Tomorrow Never Knows).

Incroyable, quand on y pense. Trois ans plus tôt, ces garçons enregistraient Please Please Me, habillés en petits costumes gris. Les voici complètement gelés, avec des chemises à fleurs, à reproduire des sons de moines tibétains sur le sommet d’une montagne.

On en connaît peu qui évoluent aussi bien en aussi peu de temps.

Revolver (remix 2022)

Revolver (remix 2022)

The Beatles

Parlophone/Universal

9/10