Depuis que la radio satellite SiriusXM a changé la programmation de certaines chaînes francophones et retiré celle de CBC Radio 3, des artistes dont les chansons ont été retirées ont vu leurs revenus considérablement chuter. Dans les cercles musicaux plus alternatifs, c’est une véritable onde de choc partout au pays, mais aussi un examen de conscience : pourquoi dépendre à ce point des redevances d’une entreprise privée ? Explications.

« C’est le dernier chèque qui va directement dans nos poches, donc c’est brutal, lance Marie-Hélène L. Delorme, dont le nom d’artiste est Foxtrott. Je connais des gens qui ne pourront plus gagner leur vie avec la musique… Si l’impact est si grand, c’est signe que l’industrie va mal. »

Même son de cloche du côté de Marilyne Lacombe de la maison de disques Mothland, qui prévoit une chute de revenus de 25 à 40 %. « Il y a des artistes qui vivent juste de SiriusXM. Ça n’a pas de bon sens que tout tienne à ce fil. »

Ce « fil », ce sont les redevances généreuses de SiriusXM qui permettent carrément à des artistes et des maisons de disques de survivre.

Il faut savoir que les lois canadiennes et américaines obligent SiriusXM à remettre un pourcentage précis de leurs revenus. Aux États-Unis, où on compte environ 35 millions d’abonnés, c’est 15,5 % de 8 milliards de revenus (en 2020), alors qu’au Canada, où on comptait 2,7 millions d’abonnés en 2017 (selon un document du CRTC), c’est 4 %.

Ainsi, quand la chanson d’un artiste se fait entendre sur l’une des chaînes de SiriusXM aux États-Unis, ce qu’on appelle le droit voisin représente une somme très importante, soit environ 20 $ US pour l’interprète et 25 $ US pour le producteur (sans égard au nombre d’auditeurs de la chaîne).

Depuis le 30 septembre dernier, ce n’est plus ICI Musique de Radio-Canada qui programme deux des trois chaînes musicales francophones de SiriusXM, alors que celle de CBC Radio3 (au contenu émergent et alternatif) a été remplacée il y a quelques jours sans préavis par la chaîne hip-hop Mixtape : North. La programmation a été rapatriée à l’interne, ce qui explique le remaniement des chansons en rotation.

« Notre contrat avec Radio-Canada venait à terme récemment et nous avons profité de l’expertise de l’équipe de programmation de SiriusXM pour mettre à jour une partie de la programmation de nos chaînes », a indiqué SiriusXM dans un communiqué.

Du jour au lendemain, des artistes dont les chansons jouaient sur CBC Radio 3 ont perdu des redevances de SiriusXM qui pouvaient aller jusqu’à plusieurs centaines de dollars chaque semaine.

C’est le cas de Foxtrott, dont le double extrait The Motion/Looking for Love se faisait entendre presque chaque jour sur CBC Radio 3. « La chaîne couvre vraiment large en termes de genre et de musique canadienne non commerciale. C’est la scène canadienne au complet qui va souffrir de son retrait. »

Julien Manaud de Lisbon Lux Records craint même que certaines maisons de disques anglophones ne doivent cesser leurs activités. Il souligne que des formations francophones comme Le Couleur et Paupière sont aussi en rotation sur la chaîne de CBC Radio 3.

À court terme, l’impact est gigantesque et horrible. Pour certains de mes artistes anglos, c’était pratiquement la seule source de revenus avec les subventions.

Julien Manaud, de Lisbon Lux Records

SiriusXM fait valoir que la chaîne The Verge « offre toujours le meilleur de la musique indépendante et alternative canadienne, incluant plusieurs des artistes qu’on peut entendre sur CBC Radio 3 ». L’entreprise a ajouté que CBC Radio 3 demeure disponible sur les plateformes de Radio-Canada. SiriusXM assure poursuivre son engagement à soutenir la scène musicale canadienne. « Nous continuons de respecter et de surpasser nos conditions de licence du CRTC. »

« Ce sont les aléas d’une programmation au même titre qu’une station comme Énergie qui devient rock », illustre Sébastien Charest, gestionnaire de droits pour quelque 500 artistes québécois.

Si ce dernier croit que « la diversité restera au rendez-vous des chaînes de SiriusXM », il souligne que les redevances payantes de SiriusXM aux États-Unis n’aident pas au développement d’une carrière puisqu’elles ne tiennent pas compte du nombre d’auditeurs (et que peu d’Américains somme toute écoutent les chaînes francophones).

Un examen de conscience

Foxtrott insiste sur un point : ce n’est pas normal qu’autant d’artistes québécois et canadiens dépendent d’« Américains qui écoutent de la musique dans leur auto ».

« On parle d’une compagnie privée qui a fait un choix éditorial, renchérit Marilyne Lacombe. Ce n’est pas la faute à SiriusXM si les artistes vivent sur le bras d’une seule compagnie. »

Les redevances trop généreuses de SiriusXM créent un « débalancement », fait valoir Jacynthe Plamondon-Émond de l’agence InTempo Musique et Hook Records. « C’est une bulle artificielle. »

Une bulle sur laquelle l’industrie musicale québécoise n’a aucun contrôle puisque « c’est de l’argent qui entre des États-Unis ».

Imagine si les redevances étaient liées aux cotes d’écoute. C’est trop précaire de se fier sur une seule source de revenus.

Jacynthe Plamondon-Émond, de l’agence InTempo Musique et Hook Records

Alors qu’on se désole des changements de programmation de SiriusXM, Jacynthe Plamondon-Émond voudrait plutôt qu’on réfléchisse aux maigres redevances des services d’écoute en ligne ou de Stingray, par exemple.

Pour sa part, Foxtrott – qui se considère chanceuse de pouvoir diversifier ses revenus avec de la musique sur commande pour le cinéma, par exemple –, s’en fait pour l’avenir de la scène musicale plus alternative. « La musique va devenir un sport pour les enfants de riches. »

Julien Manaud convient que les redevances de SiriusXM sont un « cadeau du ciel » sur lequel il ne faudrait pas autant compter. N’empêche, « il y a une déprime générale post-pandémique et c’est le coup de hache de trop », conclut-il.

Les trois nouvelles chaînes musicales francophones de SiriusXM sont Influence Franco (pop et hip-hop) Attitude Franco (vouée au rock dans un sens large) et Les Racines musicales (consacrée aux genres country et folk). SiriusXM rappelle que les artistes peuvent soumettre de la musique à l’équipe de programmation.

Les redevances de SiriusXM sont si payantes qu’une entreprise québécoise offre aux artistes de s’assurer qu’ils reçoivent le montant exact de redevances.

Lisez « Le Robin des bois des artistes francophones » Consultez la plateforme de soumission de musique de SiriusXM