Grâce aux redevances de la radio satellite SiriusXM, de nombreux artistes vivent de leur musique et encore mieux avec la plateforme ShineX, créée par Guillaume Drouin. Or, SiriusXM renouvellera à partir de ce vendredi la programmation de ses trois chaînes musicales francophones. Portrait de la situation.

« Je n’avais rien à perdre, raconte l’auteur-compositeur-interprète Éric Goulet. C’est comme si quelqu’un m’avait dit : il y a un trésor enfoui au fond du lac et, si je le trouve, je te donne de l’argent et j’en prends une part. »

Ce n’est qu’au printemps dernier que le vétéran de la scène musicale québécoise a entendu parler de ShineX. Et c’est grâce à la plateforme créée par Guillaume Drouin qu’il a pu voir apparaître des dizaines de milliers de dollars grâce à des redevances de la radio satellite SiriusXM non réclamées aux États-Unis. « C’était une belle surprise, disons. »

Dans le cas d’Éric Goulet, ShineX a exceptionnellement pu remonter aussi loin qu’en 2012. « C’est comme si j’avais engagé un détective privé », illustre celui qui a un vaste catalogue comme artiste solo, mais aussi avec les groupes Possession simple et Les Chiens. « Une partie des redevances est partagée », précise-t-il.

« De l’argent qui dort »

Récemment, en faisant des analyses, ShineX a remarqué par exemple qu’il y avait une somme non réclamée de quelque 800 000 dollars américains pour 300 artistes et maisons de disques canadiens (pour des chansons anglophones) pour une période de quatre mois en 2020.

Le mot se passe, mais j’apprends encore à des gens qu’ils ont des dizaines de milliers de dollars qui dorment aux États-Unis.

Guillaume Drouin, fondateur de la société ShineX

Plusieurs maisons de disques ont fait appel à ses services au cours des derniers mois, dont Cult Nation (Charlotte Cardin) et Bravo (Cœur de pirate). « Je ne savais pas que ShineX pouvait aussi nous aider avec des redevances manquantes. Leur système marche très bien. Ce sont parfois des sommes énormes pour les artistes », indique Kyria Kilakos, directrice d’Indica Records.

Alors qu’il était planificateur financier et qu’il s’occupait des redevances du chanteur de son ancien groupe, Casabon, Guillaume Drouin a constaté que le système de redevances était plutôt opaque, notamment celui – très payant – de la radio satellite SiriusXM.

« J’ai imaginé une plateforme où les musiciens pouvaient juste taper leur nom et voir leurs chansons qui jouent sur SiriusXM en temps réel avec combien de redevances cela a généré. »

Pour Guillaume Drouin, la clé est la « transparence ».

Épaulé par un programmateur qui informatise ses idées, Guillaume Drouin a donc créé la plateforme ShineX, que des artistes peuvent utiliser pour une vingtaine de dollars par mois ou pour d’autres services. « Il y a énormément d’artistes qui peuvent vivre de la musique à cause de SiriusXM. Et pour des labels, ce sont des revenus qui leur permettent d’exister. C’est gros », fait-il valoir.

Les droits voisins

La semaine dernière, des auteurs-compositeurs francophones ont réclamé deux millions de dollars à la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SOCAN) pour ce qu’ils considèrent comme une erreur dans le modèle de redistribution des redevances radio.

« Nous, on s’occupe juste des droits voisins, alors que la SOCAN s’occupe du droit d’auteur », expose Guillaume Drouin, en précisant que le droit voisin rémunère son interprète et le propriétaire de l’enregistrement. Quand une chanson joue sur une station du réseau SiriusXM en territoire américain, le droit voisin représente une somme très importante, soit environ 20 $US pour l’interprète et 25 $US pour le producteur (peu importe le nombre d’auditeurs de la chaîne).

« Pour un artiste qui s’autoproduit, c’est 45 $US du spin », résume Guillaume Drouin.

C’est beaucoup plus payant que sur SiriusXM au Canada. Et d’après le calcul de Guillaume Drouin, c’est 11 000 fois plus payant que Spotify.

Pourquoi les redevances des radios satellites sont-elles si élevées ? Selon les lois canadienne et américaine, SiriusXM est obligé de remettre un pourcentage précis de ses revenus. Aux États-Unis, où on compte environ 35 millions d’abonnés, c’est 15,5 % de 8 milliards de revenus (en 2020). Au Canada, on comptait 2,7 millions d’abonnés en 2017 (selon un document du CRTC), mais les redevances exigées sont d’environ 4 % (et elles peuvent aussi servir de commandites d’évènements).

Il faut aussi préciser que SiriusXM remet une redevance chaque fois qu’une chanson est jouée et non selon une moyenne, comme le font les radios commerciales.

Répertorier les erreurs

Beaucoup d’artistes et maisons de disques font appel directement à SoundExchange (société de gestion de droits collectifs numériques américaine) pour récolter les redevances américaines de SiriusXM. Au Québec, d’autres le font plutôt avec la SOPROQ (producteurs) et ARTISTI (interprètes).

Il arrive souvent qu’une erreur soit faite dans les redevances ou qu’une chanson ne soit pas répertoriée, souligne Éric Goulet.

PHOTO HUGO-SEBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Éric Goulet dans son ancien studio, dans le quartier Rosemont.

Pour les artistes francophones, il peut y avoir une erreur de nom juste pour un accent aigu.

Éric Goulet

« L’avantage avec notre plateforme, c’est que les gens peuvent vérifier que c’est le bon montant, fait valoir Guillaume Drouin. Comme on piste tout en temps réel et que les redevances sont habituellement versées dans un délai de trois à quatre mois, c’est aussi un outil de planification financière », ajoute-t-il.

Changement de programmation

Sirius XM compte des dizaines de chaînes musicales, dont trois francophones. À partir de vendredi, ce n’est plus ICI Musique qui se chargera de la station de pop francophone et de celle de country-rock francophone. SiriusXM est en train d’engager un programmateur qui s’ajoutera à celui déjà en poste.

Ce dernier, Marc-André Pilon, nous apprend qu’Influence Franco deviendra la chaîne pop et hip-hop. Attitude Franco sera vouée au rock – dans un sens large –, alors que Les Racines musicales sera consacrée aux genres country, folk, trad et « roots ». « Il y aura une plus grande place pour les artistes autochtones », annonce-t-il.

Vu les redevances généreuses de SiriusXM, Marc-André Pilon s’avère aussi sollicité qu’on peut se l’imaginer. « J’interagis beaucoup avec les agences de promotion. »

Il se fait toutefois rassurant pour les artistes : la programmation des trois chaînes musicales francophones de SiriusXM ne changera pas du tout au tout.

Selon nos informations, des artistes et labels sont néanmoins sur le qui-vive.

Pour sa part, Guillaume Drouin assure que ShineX notera immédiatement si une chanson quitte une chaîne ou y fait son entrée. Il se fait aussi rassurant pour l’avenir de SiriusXM et de son système de redevances. Les revenus sont en croissance aux États-Unis et le prochain renouvellement de la licence avec SoundExchange est en 2027. Au Canada, elle est en 2024 avec le CRTC.

Guillaume Drouin, qui gère ShineX de sa maison de l’île d’Orléans, va par ailleurs commencer à faire des affaires aux États-Unis. « L’expertise que j’ai et le data sont uniques au monde », assure le Robin des bois des musiciens qui tournent sur SiriusXM.