Dans Des grands instants de lucidité, le journaliste Olivier Boisvert-Magnen explore en profondeur le processus créatif de Jean Leloup. Un parcours exhaustif en dix albums, auquel le principal intéressé n’a pas participé, mais qui offre un éclairage fascinant sur le personnage.

Le projet

PHOTO LUC-SIMON PERREAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Jean Leloup en spectacle en 1990

C’est l’éditeur de la maison Les Malins, Marc-André Audet, qui a proposé au journaliste Olivier Boisvert-Magnen d’écrire un livre sur Jean Leloup. Le projet était de faire une biographie, mais devant le silence du chanteur à ses demandes répétées d’entrevue, il a dû changer son angle. « J’ai décidé de commencer avec le début de sa carrière musicale, son premier contact avec le public lors de sa victoire au Festival international de la chanson de Granby en 1983. » C’est ainsi qu’est née l’idée d’un genre de musicographie hyper fouillée, dans laquelle la naissance de chaque album est l’objet d’un long reportage, pratiquement chanson par chanson. Pour ce faire, Olivier Boisvert-Magnen a parlé à des dizaines de collaborateurs de Leloup, ceux de la première heure comme les plus récents. Ils alimentent un récit qui régalera les geeks de musique qui aiment bien savoir quel type de micro a été utilisé pour une chanson ou comment une autre a été mixée. À travers tous ces détails se dessinent pourtant les contours du créateur autant que de l’homme. « J’ai appris à le découvrir plus, dans ses doutes et ses remises en question et aussi dans ses moments de génie et de folie. On comprend son humanité, c’est quoi, être un artiste. »

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

L’auteur Olivier Boisvert-Magnen signe le livre Des grands instants de lucidité

Le portrait

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Jean Leclerc annonçant la fin de Jean Leloup en 2005.

« Il y a des anecdotes personnelles dans lesquelles je n’ai pas voulu rentrer, sauf si elles étaient utiles pour comprendre un évènement ou une chanson », explique Olivier Boisvert-Magnen. La famille et les relations amoureuses sont effleurées, tout comme la bipolarité et les dépendances. Mais comme la création et la vie sont pour Jean Leloup intimement liées, les récits entourant les albums et les tournées, souvent épiques, révèlent autant ses forces que ses faiblesses. On y voit un éternel insatisfait qui aime travailler dans le chaos et qui craint comme la peste de se faire avaler par le système. Et on y découvre un artiste aussi exaltant, rassembleur et stimulant qu’exigeant et imprévisible, qui demande à ceux qui travaillent avec lui une disponibilité absolue et qui a la fâcheuse habitude d’abandonner les gens en chemin. « Il y a aussi des histoires de fidélité, mais c’est vrai qu’il y a comme un leitmotiv. Il fait de la musique avec quelqu’un pendant un temps. Puis, il pogne un nouveau trip, il entre en studio ou il part en tournée, et la personne disparaît de sa vie. » Des ruptures douloureuses, mais que la plupart lui ont pardonnées parce que le chanteur les a fait sortir de leur zone de confort et a changé leur vie. « J’ai voulu leur témoignage parce qu’ils font partie intégrante de son œuvre. Et ça brise un peu le mythe de l’auteur-compositeur-interprète. »

La musique

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Jean Leloup lors d’une séance photo en 2008

En choisissant une analyse album par album, le journaliste ne pensait pas que le filon serait si riche. « Il était toujours en réaction à son précédent album. Chacun est un univers musical, poétique parfois, même si des thèmes reviennent. Et chacun est teinté de rencontres musicales différentes. Je ne croyais pas que c’était à ce point. » Mais s’il se nourrit des autres, Leloup a aussi « une profondeur » à laquelle il revient toujours. « Son essence, c’est toujours la même : un gars avec sa ‟guit”. » L’auteur a demandé à des artistes de tous les horizons de témoigner de l’influence qu’il a eue sur eux, de Klô Pelgag à Loud en passant par Dumas. C’est d’ailleurs Hubert Lenoir – non, ce n’est pas un choix innocent – qui signe la préface. « Il a transcendé les générations et les styles musicaux », observe Olivier Boisvert-Magnen. Comment l’explique-t-il ? « Il n’est jamais rentré dans le moule. Mais aussi par ses tounes, qui avaient somme toute une structure pop et qui lui permettaient de rejoindre tout le monde. » Son côté irrévérencieux, rappelle-t-il, se manifestait surtout dans ses apparitions publiques : on le constate dans les nombreuses citations qui parsèment le livre, tirées d’entrevues accordées depuis 30 ans. « Ses chansons sont ses fameux grands instants de lucidité, où il est capable de créer quelque chose de concis et structuré. »

Leloup

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Lors du concert acoustique Le fantôme de Paradis City à la salle Wilfrid-Pelletier en décembre 2015

C’est inévitable, le livre d’Olivier Boisvert-Magnen donne envie de réécouter Jean Leloup. Tout Jean Leloup. Et il en est bien content. « Au-delà de ses grands succès, il y a des perles dans tous ses albums », dit l’auteur, qui a remarqué que les cinq chansons les plus écoutées de Leloup sur Spotify proviennent de cinq albums différents. « C’est fou de voir à quel point ce n’est pas l’histoire de seulement deux albums. » Bien sûr, il aimerait savoir ce qu’il pense du livre – le chanteur était au Costa Rica pendant toute l’écriture, mais il serait revenu à Montréal au moment où il y mettait la touche finale, au printemps dernier. « Ce n’est pas un gars de nostalgie et j’ai l’impression qu’il n’aime pas vraiment les gens qui l’aiment trop. Le livre est à la base deux choses qui ne le font pas triper. » Trois ans et demi après la sortie de L’étrange pays, peut-on espérer quelque chose de nouveau ? « Je pense que oui. On sait ce qui arrive d’habitude quand il part pendant une longue période. Quand il est revenu avec Paradis City, on a su que ça ne finirait pas, qu’il allait toujours être capable, jusqu’à sa mort, de venir nous chercher avec de bonnes chansons. »

Jean Leloup – Des grands instants de lucidité

Jean Leloup – Des grands instants de lucidité

Les Malins

312 pages