C’était soir de retrouvailles mercredi entre le public montréalais et son orchestre après deux années de vaches maigres pandémiques, et les gens ont été nombreux à venir entendre ce concert gratuit et rassembleur qui en est à sa dixième édition.
Alors que la fraîcheur des nuits du mois d’août s’installait doucement, le chef a lancé la soirée de manière solennelle avec la Symphonie du Nouveau Monde de Dvořák. Mais puisque le thème de la soirée était les Amériques, il l’a fait suivre immédiatement par un poème empreint de dignité lu par l’autrice innue Natasha Kanapé Fontaine, et un émouvant chant traditionnel de Jeremy Dutcher.
Le concert a ensuite pris une tournure festive, sous la baguette dynamique de Rafael Payare, qui a choisi d’aller du côté du compositeur cubain Paquito D’Rivera et son récent Concerto venezolano. Le trompettiste invité Pacho Flores et le joueur de cuatro Héctor Molina, deux virtuoses, nous ont transportés dans leurs enlevants solos du côté de clubs de jazz cubains, ce qui leur a valu une très nourrie ovation à la fin de ce véritable morceau de bravoure.
Très beau saut ensuite du côté de Bernstein, avec un enchaînement de morceaux choisis de West Side Story, suivi de la charmante Honey and Rue du compositeur américain d’origine allemande André Previn, interprétée par la soprano de Trinité-et-Tobago Jeanine De Bique.
Le concert s’est terminé de manière grandiose avec une pièce du pianiste, chef d’orchestre et compositeur vénézuélien Evencio Castellanos, Santa Cruz de Pacairigua.
Un grand crescendo qui est venu clore sur une note enlevante cette soirée joyeuse et dansante, portée par un chef qui avait manifestement le cœur à la fête et l’envie de nous faire voyager. Pas pour rien que les Montréalais l’ont déjà adopté.
Les coulisses
10 h
Avant de monter sur la scène de l’Esplanade à 19 h 30, la journée avait été bien chargée pour Rafael Payare. C’est que ce grand concert est le coup d’envoi de la neuvième Virée classique, évènement qui jusqu’au 14 août fera rayonner la musique avec une foule d’activités gratuites et 24 concerts à petit prix… dont huit qu’il dirigera lui-même ! Nous l’avons donc retrouvé dès 10 h mercredi dans une salle située au sous-sol de la Place des Arts, où il répétait avec l’Ensemble de la Virée en vue d’un concert qui sera présenté dimanche après-midi au Théâtre Maisonneuve.
Au programme, un concerto pour cordes de Miklós Rózsa. Les musiciens ont déjà déblayé le terrain lors d’une autre répétition avec le chef assistant Adam Johnson, et c’était maintenant le temps des précisions et des nuances. Et même s’il va diriger un grand concert devant des milliers de personnes le soir même, pas question de s’économiser pour le chef à l’énergie contagieuse. Investi, il bondit et bouge beaucoup, chantonne pendant que les musiciens jouent — on peut même très bien entendre son souffle dans la grande salle —, essuie ses lunettes pendant qu’il commente l’interprétation de manière imagée et vivante, fait sourire les musiciens… mais ne néglige aucun détail.
13 h
À 13 h, le chef a rendez-vous pour une courte répétition avec un des solistes invités de la Virée classique, le pianiste argentin Sergio Tiempo, qui participera à trois concerts. Les deux hommes, qui se connaissent bien, se font l’accolade en se retrouvant. Le pianiste offre une bouteille au chef, le chef lui raconte — en espagnol bien sûr ! — son marathon musical des prochains jours. ¡Pobrecito! s’exclame Sergio Tiempo, plein d’empathie. « Non, non, ça va ! », lui répond Rafael Payare. Ils décortiquent ensemble la Rhapsody in Blue de Gershwin, s’entendent sur les tempos sans avoir vraiment besoin de terminer leurs phrases : les choses avancent rondement et dans le plaisir.
15 h
Il fait une chaleur écrasante (et surprenante) sur l’Esplanade du Parc olympique, juste au pied du Stade. C’est l’heure de la générale, qui durera jusqu’à 17 h 30 avec seulement une courte pause, mais heureusement le chef et les musiciens de l’OSM sont à l’ombre. On entend le chant des cigales à travers la musique, mais la chaleur n’a pas arrêté les irréductibles, une bonne vingtaine de personnes qui sont déjà assises sur leurs chaises pliantes devant la scène, avec leur lunch et leur parasol.
Le grand spectacle de l’Esplanade du Parc olympique est maintenant une tradition montréalaise : c’est la dixième fois qu’il y est présenté, après une pause obligée en 2020 et une version devant un public distancié d’à peine 3000 personnes en 2021. Rafael Payare avait dirigé ce concert l’an dernier, mais on peut parler d’une première grande rencontre entre le nouveau chef, arrivé à la tête de l’orchestre en pleine pandémie, et le public montréalais.
« C’est ma première Virée, mais le fantastique public montréalais m’a déjà accueilli depuis un an déjà. Dans les concerts à la Maison symphonique, dans la rue, je me sens comme chez moi », nous a confié le chef après la générale. Fatigué par cette journée marathon ? » « J’en suis à ma chemise numéro quatre ! », lance-t-il en souriant.
« C’est vrai qu’aujourd’hui c’est chaud, ajoute-t-il. Mais quand on joue, je ne suis pas fatigué, c’est plus après que je le suis. Et l’orchestre est merveilleux, je suis ravi. »
C’est un été bien rempli pour l’OSM. L’orchestre a joué plusieurs fois au festival de Lanaudière, a donné « quatre concerts fantastiques » en Corée du Sud, et « plonge » maintenant dans la Virée. Pour le chef, il était logique de prendre le relais de Kent Nagano avec la Virée classique, qui était son bébé.
« C’est important d’être fou partout avec la musique. » Il sourit. « On a maintenu la tradition, mais on a ajouté des condiments un peu différents. »
Avec un programme qui fête les Amériques, on peut dire qu’il a mis la table pour la suite de son séjour à Montréal. « Aujourd’hui, c’est comme un menu dégustation ! »
À quelques heures du concert, Rafael Payare avait surtout hâte de sentir le courant passer entre la foule et l’orchestre — sous sa baguette pour faire circuler l’électricité, il n’y avait pas trop d’inquiétude à avoir.
« Quand il y a beaucoup de gens, ça donne de l’énergie. Ce sera merveilleux. »