Exit, Dare to Care, place à Bravo musique. Après le rachat de son étiquette de disques en péril, la musicienne et femme d’affaires Cœur de pirate amorce un nouveau virage pour l’entreprise. Changement d’identité, de politiques et de vision : l’avenir est plein de promesses chez Bravo.

« Je trouvais important pour les employés de tourner la page, après des mois incertains. Dare to Care va toujours exister, mais pour une continuité saine, je trouvais important de changer de nom et d’identité », explique Béatrice Martin, alias Cœur de pirate, jointe par téléphone mardi. « On a la chance de prendre la philosophie qui existait déjà et de rendre ça à mon image », ajoute-t-elle.

« Bravo est un terme qui a quelque chose de célébratif. » Et c’est ce que souhaite la nouvelle présidente pour les artistes, actuels et futurs, de la boîte : qu’ils soient célébrés, encouragés, épaulés. « Dans ce mot, il y a aussi l’aspect de ce lien de confiance avec l’artiste. Tu veux que la personne se sente bien, que l’équipe le ou la rassure », explique-t-elle.

Bravo maintient tous ses liens avec les artistes de Dare to Care, sauf les Sœurs Boulay, qui ont claqué la porte l’été dernier et qui se sont trouvé une nouvelle gérance. Aux Jean Leloup, Émile Bilodeau, Fanny Bloom et Fred Fortin que Bravo représente, Béatrice Martin compte ajouter plusieurs nouveaux noms. Dare to Care défendait différents genres de musique, mais la femme d’affaires souhaite « aller encore plus loin », notamment en misant sur la représentativité.

« Dare to Care prenait des artistes qui n’étaient pas connus du grand public, qui étaient un peu en marge, soulève Béatrice Martin, qui se donne elle-même en exemple. Je veux garder ça. » Les talents locaux et francophones auront une place importante, comme c’était déjà le cas chez Dare to Care.

« Je veux aider des artistes qui n’auraient pas nécessairement la chance de briller autrement, ajoute-t-elle. Ce sont des paris, c’est risqué, mais on est prêts pour ça. Pendant un temps, la musique au Québec a été une chose et c’est correct, mais je veux voir où on peut aller. J’ai envie qu’on explore d’autres genres, qu’on rende pop certaines personnes. Il y a beaucoup de choses que je pense qui devraient être entendues. »

Cœur de pirate, directrice artistique

En tant que directrice artistique, la nouvelle présidente souhaite « toucher à toutes les facettes des artistes », lorsque cette collaboration sera possible. « Que ce soit le visuel, les clips, que ce soit le graphisme… La musique, c’est une chose. Mais avec Naomi, par exemple, je compose aussi. J’ai d’autres artistes dans ma ligne de mire avec lesquels je veux faire la même chose. »

Bravo veut faire « le contraire de ce qui se fait dans les maisons de disques aujourd’hui, où on regarde beaucoup les statistiques ». Plutôt que de recruter des artistes déjà relativement populaires, elle souhaite « trouver des diamants bruts, des gens qui ne savent pas encore qui ils et elles sont ». « Je veux retourner à la base. »

« Le moment opportun »

« J’aurais une DG à mon P », lance Béatrice Martin, qui laissera la direction générale à quelqu’un d’autre. Bravo annoncera plus tard cette nomination ainsi que quelques autres, nous dit-on.

Béatrice Martin est loin de partir de zéro dans ses nouvelles fonctions de présidente. On la connaît comme musicienne, certes, mais être artiste, c’est souvent aussi être entrepreneur, de nos jours. « Loin de moi l’idée de dire que je sais tout en ce moment, mais je faisais déjà pas mal d’entrepreneuriat, en tant que Cœur de pirate, depuis 12 ans », dit l’auteure-compositrice-interprète.

Et ça fait longtemps que je suis dans le milieu, je sais comment cette industrie fonctionne un peu partout dans le monde, parce que j’ai été signée dans d’autres pays. J’amène un bagage de connaissances, même si j’ai encore beaucoup à apprendre.

Cœur de pirate

Elle ne fait que ça, apprendre, depuis qu’elle a repris les rênes de la maison de disques qui lui a donné sa chance au tout début de sa carrière. « Je suis complètement dedans en ce moment. Ce n’est pas comme si j’étais en tournée. Ce sont les conditions idéales pour ça, parce qu’il y a une accalmie professionnelle », dit-elle.

Béatrice Martin ne s’imaginait pas qu’elle aurait aujourd’hui sa propre maison de disques et de gérance. Par contre, l’idée lui était déjà passée par la tête. « Ça m’est arrivé quand j’ai découvert Naomi », affirme la musicienne. La danseuse et chanteuse Naomi est la première artiste que Bravo prend sous son aile. Mais cela fait quelques années déjà que Cœur de pirate avait pris contact avec elle. Depuis, elle l’aidait « à bâtir sa confiance pour pouvoir écrire » et « l’aiguillait pour qu’elle développe son talent ». « Ma manager et moi, on l’a prise sous notre aile, mais j’ai commencé à me dire qu’on pouvait avoir une vraie structure. Et c’est là que tout est arrivé, cet été, raconte Béatrice Martin. Je ne m’y attendais pas, mais c’était le moment opportun. Je me dis que rien n’arrive pour rien dans la vie. »

Un code de conduite et un C.A.

La vague de dénonciations sur les réseaux sociaux de l’été dernier a failli faire chavirer le vaisseau Dare to Care, fondé par Éli Bissonnette. Ce dernier a dû quitter le navire, montré du doigt pour avoir ignoré et même couvert les agissements répréhensibles de Bernard Adamus, qui avait signé chez Dare to Care et accusé d’inconduites sexuelles. Mais la tempête permet maintenant de repartir à neuf. Avant, il y avait Dare to Care, maintenant, il y a Bravo. Avant, il y avait des scandales, maintenant, il y a un souhait de mieux faire.

Un protocole contre le harcèlement, « un code de conduite », a été instauré pour mieux baliser les comportements à risque. Rédigé avec une firme d’avocats, le règlement s’appliquera à tous, même aux employés externes, comme les équipes de tournées.

On veut que les gens qui travaillent pour nous représentent nos valeurs. Les entreprises ont souvent ça, mais en culture, on doit se demander où est la ligne de départ et celle de fin.

Béatrice Martin, alias Cœur de pirate, qui espère que plus de compagnies culturelles les imiteront

« C’est quoi, les lieux de travail ? Ça s’étend à plein d’affaires, du studio aux salles de concert. […] Ce qui est arrivé cet été, c’était nécessaire. J’ai envie qu’on mette les balises pour qu’on ne soit plus jamais dans ces situations-là », continue-t-elle.

Bravo aura également son propre conseil d’administration, composé de membres temporaires, un ajout à l’ancienne structure. Jan-Fryderyk Pleszczynski, qui assurait la présidence par intérim après le départ d’Éli Bissonnette, siégera notamment au C.A. « On va pouvoir inviter des membres de la direction ou autres pour parler de différents questionnements. Je trouvais que c’était important comme nouveau système de gouvernance, dit Béatrice Martin. C’est crucial pour ne pas qu’on se retrouve dans le même genre de situation. »