Marie Davidson amorce un nouveau chapitre. Le trio Marie Davidson et L’Œil Nu, formé avec son mari Pierre Guerineau et leur grand ami, Asaël R. Robitaille, propose l’album Renagade Breakdown. Un opus mêlant le rock classique à la pop, au jazz et à la chanson, formant essentiellement l’antithèse du travail antérieur de la musicienne. Et si l’album a été confectionné à six mains, l’espace de création, « en famille », a permis à Marie Davidson de composer des textes qui figurent parmi ses plus personnels à ce jour.

En joignant ses forces à celles de L’Œil Nu, Marie Davidson tire un trait sur sa carrière solo. La Montréalaise, après quatre albums et deux mini-albums en sept ans, a « la certitude d’être allée au bout de quelque chose ». « J’ai l’impression d’avoir réalisé tous mes rêves dans cette sphère-là, d’avoir dit ce que j’avais à dire dans ce langage et d’être allée au bout de ce que les machines pouvaient m’offrir », explique-t-elle.

Sur ses parutions de musique électronique et techno, Davidson a rarement chanté, présentant plutôt sa voix dans un style parlé. « De la poésie récitée », décrit-elle. Depuis longtemps, Pierre Guerineau, son conjoint et partenaire dans le duo Essaie Pas, lui suggère de donner plus de place à sa voix. C’est chose faite avec l’album Renagade Breakdown, pour lequel Davidson a même repris des cours de chants.

« On avait envie de faire un projet de chansons, de revenir au songwriting, dit Marie Davidson. Depuis 2015, on en parlait, avec Pierre et Asaël. » Le compositeur et multi-instrumentaliste Asaël R. Robitaille, que l’on retrouve derrière plusieurs projets musicaux tels Léopard et Moi ou Bataille Solaire, est un ami de très longue date du couple. Pierre et Asaël ont également donné naissance, au début des années 2010, au projet L’Œil Nu.

« En janvier 2019, on a commencé à vraiment travailler tous les trois [sur le groupe]. Au moment de choisir le nom, on a décidé que mon nom à moi allait rester et je les ai laissés choisir le leur », raconte la musicienne. Ainsi est né, tout simplement, Marie Davidson et L’Œil Nu. « C’était parfait. C’est en français et c’est poétique. »

L’écœurement

Marie Davidson et L’Œil Nu est aussi le résultat de la profonde lassitude de la meneuse face au mode de vie dicté par son projet solo et ses tendances – assumées – de workaholic. « J’étais tannée de tourner seule », dit la musicienne, dont le quotidien était devenu tributaire des tournées de clubs et de festivals. La pièce-titre de l’album, Renagade Breakdown, vient traduire son accablement. Sa profonde solitude aussi.

« Le premier brouillon du texte a été composé fin 2018, avant qu’on commence le band, même si on savait qu’on allait travailler ensemble », explique Marie Davidson. C’était pendant la tournée de son dernier album solo, Working Class Woman. Déjà sur cet opus, Marie Davidson dépeignait la dictature du travail, le tourbillon étourdissant qu’était sa vie, d’un spectacle à un autre, d’une ville à une autre, avec l’excès comme normalité, le tout traversé seule, toujours seule.

Les premiers mots de Renagade Breakdown, donc, ont été trouvés à l’aéroport.

J’étais épuisée et dégoûtée par la culture d’aéroport. J’étais seule. C’est fatigant de tourner seule avec tout mon matériel. J’étais de mauvaise humeur et je me suis dit que je haïssais être ici. Les bruits sont agressants, les gens sont désagréables, on nous demande d’acheter ci, d’acheter ça, il y a des fast-food partout et des bébés qui pleurent. J’avais un trop-plein, j’ai commencé à écrire.

Marie Davidson

Elle savait déjà qu’elle s’apprêtait à tourner la page de la musique électronique, de la scène techno-rave. « Pas parce que je n’aime plus cette musique, mais parce que je n’aime pas le mode de vie », précise-t-elle.

Le destin de Karen Carpenter

Les textes de Marie Davidson sont la ligne directrice de l’album Renagade Breakdown, dit-elle. Si, dans la forme, l’éclectisme prime – « on a réalisé un rêve de jeunesse en écrivant la musique qu’on a toujours écoutée, qui est très variée », explique Davidson –, la cohérence se trouve dans cette narration à une voix, qui aborde « les thèmes de la mort et de la renaissance ».

Toujours très honnête dans ses textes, basés sur ses sentiments et son intuition, dit-elle, Marie Davidson va un peu plus loin encore dans ses paroles pour Renagade Breakdown. Ce qu’elle a pu se permettre parce qu’elle travaille désormais avec ses proches. « Dans l’énergie du groupe, je me sens très à l’aise, très appréciée et respectée, dit-elle. Et moi aussi, je suis fan d’eux. On se connaît depuis 15 ans, on n’est pas des collègues, mais une famille. »

Pour la pièce Lead Sister, Davidson s’est laissée inspirer par l’histoire de Karen Carpenter, du duo américain The Carpenters. Une histoire tragique qui l’a particulièrement interpellée parce qu’elle s’y est retrouvée. « Karen est morte de l’anorexie et je suis une anorexique en rémission depuis plusieurs années, dit Marie Davidson. Pour moi, il a fallu plusieurs années avant que je l’accepte et que j’en parle. Pierre m’a beaucoup aidée, la thérapie aussi. Mais la rémission est lente, avec beaucoup de rechutes. [...] Cette maladie m’a enlevé beaucoup de choses, dont le plaisir de vivre à une certaine époque. La seule façon d’en tirer du positif est d’en parler pour aider d’autres à s’en sortir. »

Karen Carpenter était une musicienne de grand talent, dont la voix et les aptitudes à la batterie ont fasciné Marie Davidson. Malgré toutes les souffrances, l’image publique que l’on voyait des Carpenters était souriante, toujours joviale. Les mots, en français, de Lead Sister, parlent de ces tourments, masqués par le beau.

« Mais toutes mes chansons ne parlent pas de mes problèmes de santé ! », rappelle en riant Marie Davidson, qui signe la majorité des textes et des mélodies, tandis que Pierre et Asaël composent la musique. La somme de tous ces atouts donne à Marie Davidson et L’Oeil Nu la capacité de produire de manière autosuffisante un album fidèle à leur vision, à ce qu’ils aiment écouter. Un album délibérément plus accessible aussi. « C’était une intention qui n’est pas commerciale, précise Marie Davidson. On a fait des choses pour la scène club, Asaël fait de la musique électronique très complexe, intransigeante. Pierre aussi. Cette fois, on avait envie de faire quelque chose auquel les gens auraient plus facilement accès. »

PHOTO FOURNIE PAR BONSOUND

Pochette de l'album Renagade Breakdown, de Marie Davidson et L’Œil Nu

Électro
Renagade Breakdown
Marie Davidson et L’Œil Nu
Bonsound