Émile Bilodeau, 22 ans, aimait écouter des listes de chansons de Félix en faisant ses devoirs quand il était au secondaire. Mon Doux Saigneur, 27 ans, a pleuré en voyant sur YouTube une version de Notre sentier interprétée par son créateur. Lou-Adriane Cassidy, 21 ans, a toujours eu l'auteur du Petit Bonheur en toile de fond de sa vie familiale.

Ils n'étaient pas nés lorsque Félix est mort en 1988, mais ils participent au disque Héritage, un hommage au poète de l'île d'Orléans mené par Monique Giroux et le chef Simon Leclerc. Discussion avec de jeunes artistes inspirés autour de l'oeuvre du père de la chanson québécoise.

Aucun de vous n'a connu Félix vivant. Mais a-t-il fait partie de vos vies?

Mon Doux Saigneur: Oui. À 9 ans, je suivais des cours de guitare au primaire. C'est comme ça que je l'ai connu, en apprenant Le petit bonheur. Je connais son répertoire plus qu'avant, surtout les chansons qui se trouvent sur une performance live qu'on peut trouver sur le Net, avec des décors psychédéliques. C'est à cause de cette vidéo que j'ai choisi Notre sentier: quand je l'ai vue, j'ai braillé.

Lou-Adriane Cassidy: Vigneault était très présent chez nous, la chanson française aussi. Félix, on n'écoutait pas de CD, mais il est tellement omniprésent dans la culture! Ce qui est tripant dans ce projet, c'est qu'on a été forcés de se pencher sur des chansons qui n'étaient pas les plus connues comme Le petit bonheur, Moi, mes souliers, Le tour de l'île. C'est le fun d'aller explorer quelqu'un d'aussi présent.

Émile Bilodeau: Félix a été présent dans plusieurs étapes de ma vie. Au secondaire, je faisais mes devoirs en écoutant une playlist de ses tounes populaires sur YouTube. Ça m'aidait à me concentrer. Avant d'être contacté par Monique Giroux pour ce disque, j'étais déjà revenu dans une passe Félix. S'il était encore là, il défendrait beaucoup la cause écologique. Il y a cet amour de la nature qu'on voit dans ses chansons. J'ai pensé beaucoup à lui ces derniers temps.

Vous posez-vous la question de la transmission?

Lou-Adriane Cassidy: Ce projet vient justement de cette volonté d'adapter un répertoire qui pourrait sembler archaïque, entre gros guillemets, en quelque chose de plus moderne, mais aussi d'intemporel avec les cordes. De toute façon, les belles chansons, c'est en les transmettant et en les faisant entendre qu'elles vont se propager... dans le bon sens.

Émile Bilodeau: J'ai l'impression que c'est le rôle de l'État, hosto! Je suis extrémiste un peu, on devrait tout mettre en oeuvre pour que jamais ça ne meure. Et je pense qu'on le fait bien, avec les Félix entre autres. Après, c'est notre travail de comprendre pourquoi ça s'appelle un Félix.

Lou-Adriane Cassidy: Il y a peut-être quelque chose à faire à une échelle plus petite. Oui, c'est important d'être exposé à ce genre de répertoire, mais l'enfant de 5 ans ne va pas catcher c'est quoi, un Félix. Il faut que ses parents le lui expliquent.

C'est agréable de se retrouver dans le rôle de transmetteur?

Mon Doux Saigneur: Ça me flatte. Il y a de grands techniciens vocaux qui auraient pu chanter différemment la chanson. Mais il doit y avoir quelque chose de Félix qui nous ressemble, qui doit être juste de faire de la musique, d'écrire, d'oser se présenter avec nos chansons. C'est sûr que Félix reste quelqu'un qui nous a tous touchés un peu. Ç'a été un défi, mais ça m'a rassuré sur le fait qu'on s'attend un peu de moi que je continue à chanter.

Émile Bilodeau: «Ce projet met de l'avant des jeunes créateurs. Félix était un homme libre, il ne rendait de comptes à personne. Monique nous a donné ce cadeau parce que Félix, il serait vraiment ému de voir que des gens écrivent encore leurs propres chansons.»

Vous êtes un peu des héritiers?

Émile Bilodeau: Ouais, sans aucun doute!

Émile, avouons qu'à la base, on ne t'associe pas tout de suite à Félix...

Émile Bilodeau: Je suis un peu bizarre, mais je pourrais te faire une analyse d'au moins 40 chansons de Félix. Ce que je pense de la toune, de ce qu'il veut dire dans ses métaphores... Il a plein de chansons moins connues, et nos trois chansons, elles vivent justement dans l'ombre de beaucoup de ses singles. La toune de Lou par exemple, La vie, l'amour, la mort, c'est quatre phrases pour chaque thème, c'est bien écrit, efficace.

Lou-Adriane Cassidy: Je ne la connaissais pas. Monique me l'a envoyée, je l'ai trouvée belle, alors j'étais d'accord. Ce projet nous a forcés à nous ouvrir à d'autres trucs. En tant qu'héritiers, mettons, je trouve super enrichissant qu'on ait eu accès à ces chansons. 

Par contre, Émile, Les 100 000 façons de tuer un homme, elle est quand même connue!

Émile Bilodeau: Oui, c'est un beau cadeau que Monique m'a fait. Elle est encore d'actualité, cette chanson. Et c'est sa plus drôle et sa plus trash. Comme j'écris plutôt comique, j'étais content d'aller dans ces aspects de Félix.

Vous êtes-vous sentis écrasés par la lourdeur de la tâche? 

Émile Bilodeau: La jeunesse aide là-dedans. On se fait offrir ce cadeau et on en profite. Mais maintenant que tu me poses la question, je me demande si je suis à la hauteur ! Ma jeunesse m'a évité d'y penser...

Lou-Adriane Cassidy: «On ne prétend pas être à la hauteur de Félix. On veut juste transmettre quelque chose le mieux qu'on peut.»

Est-ce un défi d'interprète?

Lou-Adriane Cassidy: Oui.

Mon Doux Saigneur: J'ai trouvé ça le fun. Notre sentier est profonde et triste et mélancolique et je me suis retrouvé dedans. Ça me faisait penser à mes premières chansons, le moteur était souvent cet état émotionnel d'errance. Le temps, l'attente, l'amour, la séparation, cet état ne pouvait pas être mieux décrit que par le nid d'oiseau et les corbeaux. Ça m'allait.

Vous jouez sans guitares et vous êtes accompagnés d'un quintette à cordes de l'OSM. Il vous manquait quelque chose?

Émile Bilodeau: Le beat!

Mon Doux Saigneur: «Quand tu écoutes du Aznavour, ou n'importe quoi en chanson française à voix qui mise sur le texte, c'est une autre école. Les violons, c'est moins rythmique quand même. Alors, c'est un drôle d'espace quand tu es là avec le micro et que tu cherches la bonne vague pour entrer et sortir de la chanson.»

C'est important d'être conscient de l'héritage de Félix?

Émile Bilodeau: C'est un devoir. Je l'ai dit, je suis extrémiste. Mais si tu veux faire partie de ma gang, de mon Québec, il y a un petit bout de ta vie parentale qui doit être consacrée à montrer ça à ton flo. On est submergés par la musique anglophone, mais c'est bon de se rappeler où on vient. Pour qu'il y ait Hubert Lenoir ou Marc Dupré, ça prenait un Félix qui dise qu'on avait le droit de le faire.

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Héritage - Hommage à Félix Leclerc. Collectif. Avec un quintette à cordes de l'OSM. GSI Musique.

IMAGE FOURNIE PAR GSI Musique