Trois décennies après sa fondation, le zouk de Kassav n'a jamais été surpassé, ne serait-ce que pour l'impact planétaire généré depuis l'aube des années 80. Aucun groupe ou artiste des Antilles françaises n'a connu un tel rayonnement et rien ne laisse présager pareille explosion en Martinique ou en Guadeloupe. Le point sur ce zouk qui fut si contagieux.

«Notre son s'est assis, comme c'est le cas de tous les styles musicaux. Quand Bob Marley a créé le reggae, plusieurs artistes ont apporté leur couleur au genre, après quoi le style s'est installé. C'est la même chose avec le zouk.» Voilà comment Jocelyne Béroard, chanteuse et membre fondatrice de Kassav, voit l'état du zouk, style qui puise dans le patrimoine créole antillais et qui en incarne encore l'actualisation.

 

Dès les premières secondes de cette interview, on ressent chez l'artiste martiniquaise une grande fierté, le net sentiment d'avoir accompli quelque chose. On la comprendra: partout dans le monde, Kassav fête 30 ans de vie professionnelle, 30 ans d'enracinement dans l'imaginaire musical planétaire. Ce n'est pas rien. Le point culminant de cette commémoration a été le spectacle au Stade de France, le 16 mai dernier, dont Jocelyne Béroard garde un souvenir impérissable.

«Plus de 65 000 personnes s'y sont rendues, dont la moitié de souche antillaise et le reste issu de toutes les couches de France. Nous avons vécu quatre heures de concert intense, avec une foule d'invités antillais. Ce fut une grande fête, on en prépare d'ailleurs un DVD. Les célébrations du 30e vont ensuite se poursuivre en Martinique et en Guadeloupe, de gros spectacles sont aussi prévus là-bas. Kassav, il faut le rappeler, joue sur tous les continents. L'Afrique nous invite de nouveau, nous nous produisons partout.»

Précisons que le noyau de Kassav est désormais constitué de deux Guadeloupéens (Jacob Desvarieux, guitare et chant, Georges Décimus, basse) et de trois Martiniquais (Jean-Philippe Marthély, chant, Jocelyne Béroard, chant, et Jean-Claude Naimro, claviers). Sur scène, 13 musiciens font rouler cette puissante machine.

Il reste que, deux générations plus tard, le zouk ne génère plus le même buzz.

«On est petits! Plus ou moins 400 000 habitants par île, précise la chanteuse. Le cocon français ne donne pas non plus beaucoup de visibilité aux musiques de Guadeloupe et Martinique. Il faut rappeler que Kassav a dû d'abord triompher en Afrique avant que la France ne nous accepte vraiment.

«Trente ans plus tard? Les nouvelles couleurs proposées n'ont pas la force de Kassav. Il y a un zouk chanté en français (plutôt qu'en créole), un peu insipide... Chose certaine, ça n'explose pas comme Kassav a explosé. À force de vouloir créer quelque chose de neuf, on a dénaturé la base au lieu de la développer. À sa décharge, la relève est tributaire du déclin des producteurs antillais; à cause du piratage, ça ne rapporte plus, le métier se perd.»

Jocelyne Béroard rappelle que la Guadeloupe-Martinique a déjà produit annuellement de 500 à 600 albums durant la période 1985-1995, ce qui correspond à l'âge d'or du zouk. Aujourd'hui, il ne s'en fait plus qu'une dizaine par année. «Nous traversons une période un peu morte. Les artistes essaient de paraître plutôt que de créer.»

Ajoutons à cette morosité la crise récente survenue en Guadeloupe.

«Il y avait des revendications assez légitimes; depuis l'arrivée de l'euro, la situation économique était devenue intenable, ça a d'ailleurs mis du temps à exploser. En même temps, d'autres problèmes latents ont ressurgi. Du côté des artistes, il y avait aussi des revendications... Les couches populaires ont mis en relief les différences extrêmes entre leurs revenus et le coût réel de la vie. Nous étions tous d'accord avec les revendications originelles, mais on ne peut cautionner tout ce qui s'est passé par la suite.» Après les grandes célébrations du 30e, il faudra donc penser... reconstruction.

Kassav se produit dimanche, 20h, au Métropolis, dans le cadre de Nuits d'Afrique. Jacob Desvarieux et Jocelyne Béroard prendront également part au spectacle de Corneille, prévu aux FrancoFolies le jeudi 30 juillet.