Sans renoncer à la mélodie pop imparable, Chris Martin et ses complices livrent un disque audacieux, plus sombre et tortueux, nourri d'influences world et d'expérimentations inédites pour le quartette londonien. Résultat: Viva La Vida, écoulé à 1,2 million d'exemplaires dans le monde, squatte la première place des palmarès anglais et américains depuis sa sortie, le 16 juin.

Q Toutes proportions gardées, vous pensez avoir enregistré votre Sgt. Pepper's à vous?

R Jamais je n'oserais me livrer à une telle comparaison. Aucun album ne pourra jamais égaler le chef-d'oeuvre des Beatles. Mais nous avons vraiment donné le maximum pour essayer d'être plus ouverts, audacieux, éclectiques... Tant de musiques différentes nous ont inspirés pour ce disque... On a écouté Rammstein et Tinariwen, My Bloody Valentine et Gershwin, Marvin Gaye et Radiohead, une influence majeure pour nous. Il n'y avait aucune limite. Nous voulions passer du noir et blanc à la couleur. Dans ce sens, Viva La Vida est clairement inspiré par Sgt. Pepper's ou Achtung Baby de U2. Tous ces albums qui ont marqué un tournant, une nouvelle direction dans la carrière d'un groupe.

Q Vous avez souvent déclaré que le «perfectionnisme» de Coldplay était votre point faible. Là, vous semblez avoir privilégié une certaine spontanéité...

R Nous sommes toujours aussi perfectionnistes, mais nous nous soignons. Nous avons décidé de laisser pousser notre jardin sans nous soucier des herbes folles. Quelque part, on a lâché les chiens.

Q Il était urgent pour vous d'emprunter cette nouvelle voie?

R Il fallait casser le moule. Quand on est un groupe à succès, on peut rééditer la même formule et finir par lasser tout le monde. Ou profiter de ce succès pour s'entourer de gens de talents et chercher à innover, se renouveler, expérimenter. Bref, emprunter de nouvelles pistes que vous n'auriez jamais osé emprunter cinq ans plus tôt.

Q D'où le choix de Brian Eno et Markus Dravs comme producteurs. Qu'ont-ils apporté au groupe et à cet album?

R Ils ont réussi à nous sortir de notre confort et de nos habitudes. Brian et Markus nous ont à la fois désorganisés et recadrés. Surtout, ils ont eu le bon sens de nous dire «stop» au bon moment. Prenons la chanson Lost. Nous avions une version initiale sur laquelle nous avons travaillé durant neuf mois. Et finalement, Brian Eno a dit : «Nous allons prendre la première version.» Que nous avions enregistrée en 25 minutes... Et il avait raison. Sans eux, nous serions sans doute encore en train de peaufiner l'enregistrement de l'album en studio... Et Viva La Vida serait sans doute sorti aux alentours de l'année 2071.

Q Vous vous attendiez à un tel succès?

R Franchement non. La période juste avant la sortie de l'album fut très difficile, au point de devenir insomniaque. Je mourais d'impatience, je voulais le voir dans les bacs, pour de bon, pour enlever toute la pression. Que les gens l'achètent ou le téléchargent, je m'en fous, le plus important est qu'il soit apprécié...

Q Le succès de Viva La Vida a dû rassurer votre maison de disques, EMI, fragilisée par la crise de l'industrie musicale...

R Je n'en sais rien.

Q L'année dernière, vous aviez décrit les actionnaires d'EMI comme

«le grand démon de ce monde moderne» et suggéré que vous pourriez quitter EMI. Finalement, il n'en est rien...

R Nous n'avons jamais dit cela. C'était notre manager...

Q C'est la même chose...

R Oui, mais c'était une erreur, je le reconnais. Nous en faisons tous. Notre manager, et nous encore plus. Toutes les 10 minutes.

Q La dernière en date?

R Ma nouvelle coupe de cheveux. Je n'aurais jamais dû opter pour la boule à zéro. Pour en revenir à EMI... Quand nous étions gamins, nous rêvions de décrocher une signature en maison de disques. Être un artiste EMI, la maison de disque des Beatles, reste un privilège et une chance.

Q Si l'album marche bien, il a également récolté des critiques assassines. Vous avez lu l'article de The Independent qui décrit votre musique comme étant lisse et insipide et vous accuse même de plomber la pop anglaise?

R Non, mais je connais le journaliste, il nous assassine à chacun de nos albums. Heureusement, personne n'est obligé d'écouter notre musique. Beaucoup de gens nous détestent, nous considèrent comme un groupe surestimé. Et ce n'est d'ailleurs pas totalement faux. Nous sommes très forts pour pondre des tubes imparables, mais individuellement, nous ne sommes pas de si bons musiciens. Et pourtant une alchimie inexplicable nous transcende.

Q Vous êtes un artiste engagé, mais vous n'écrivez jamais de chansons politiques. L'exercice vous effraie?

R Les thèmes sont toujours les mêmes : la solitude, le sentiment d'insécurité, la place de l'homme dans la société... Mais plusieurs chansons comme Violent Hill et Vida La Vida marquent un vrai tournant. J'ose dire ce que je pense, et je ne me contente plus seulement de raconter ce que je ressens, mon feeling. C'est une première pour moi et c'est très libérateur. Ces deux chansons, on peut dire qu'elles sont politiques, sociales, conscientes, même si elles ne sont jamais explicites. Chacun peut en tirer sa propre interprétation.

Q Dans le processus d'écriture d'une chanson, le plus difficile: trouver une mélodie ou écrire des textes?

R Les textes et la mélodie sont indissociables, comme la poitrine d'une femme. Comment choisir? J'aime quand la mélodie et les paroles surgissent en même temps. Quand j'ai les paroles d'une chanson sans la mélodie, je bloque, je me retrouve dans une impasse. Et inversement. Et puis, je n'ai pas assez confiance en mes textes et ma plume. La mélodie me permet de masquer une cruelle vérité: je ne suis pas Shakespeare.

Q Votre chant, plus sombre et tortueux, a également évolué...

R J'ai suivi des cours de chant il y a deux ans. Et ma prof m'a dit: «Chris, je suis fatiguée de ta façon de chanter, je m'ennuie, tu dois évoluer». Moi je ne m'ennuyais pas, mais elle avait raison, je le savais. Donc j'ai bossé... Quand vous êtes une pop star, il est toujours embarrassant d'admettre que vous avez encore des leçons à apprendre. C'est beaucoup moins le cas dans d'autres disciplines artistiques ou dans le sport.

Q Justement, qu'elle est votre technique anti-grosse tête?

R J'écoute les albums des Beatles, de Radiohead ou du rappeur Jay Z. Et si ma tête ne désenfle pas, je peux toujours lire The Independent.

Coldplay, au Centre Bell, le 29 juillet, 19h30.