En janvier, j'ai publié une chronique sur le ressentiment envers les médias, à gauche et à droite, ici comme à l'étranger, en citant des extraits d'un essai de Catherine Dorion, Les luttes fécondes, où elle n'est pas tendre envers les journalistes. La députée de Québec solidaire a réagi à ma chronique, en m'invitant sur une vidéo de sa page Facebook à participer à une discussion dans le cadre d'une série de baladodiffusions (Nous ne sommes pas seuls) qu'elle lancera bientôt sur iTunes et YouTube. En voici des extraits.

Marc Cassivi: J'ai tiqué sur certaines choses dans ton essai, où il était question de médias. Cette manière, autant à gauche qu'à droite, d'avoir une espèce de suspicion des médias, qui nourrit le cynisme. J'avais l'impression qu'il y avait là une forme de populisme de gauche que je n'aime pas. Est-ce qu'on peut se rendre compte qu'on est un rouage essentiel, ce qui ne veut pas dire qu'on ne doit pas nous critiquer? Et tu m'as répondu...

Catherine Dorion: J'ai fait une vidéo pour dire que je ne mets pas tous les médias dans le même panier. Je sais qu'il y a toutes sortes de journalistes qui font toutes sortes de choses. Il y a des chroniqueurs, il y a de gros médias qui sont de grosses entreprises qui veulent faire de l'argent, il y en a d'autres qui ont vraiment une mission. Et je t'ai invité à en discuter.

Marc Cassivi: Et j'ai accepté très rapidement!

Catherine Dorion: Oui! Et tout le monde était content. J'aimerais ça qu'on en discute, pas en disant: est-ce la faute des politiciens ou est-ce la faute des médias? Il y a une partie de notre expérience qui est commune. On est en train de se demander à gauche, particulièrement dans mon mouvement, ce qu'on doit faire avec cette foutue question du populisme qui, associé à Trump ou à Le Pen, a été dépeint de manière extrêmement négative. Je suis en train de lire, de Chantal Mouffe, Pour un populisme de gauche. Elle ne réhabilite pas le mot, mais elle dit que le populisme...

Marc Cassivi: .... ce n'est pas nécessairement péjoratif?

Catherine Dorion: Comme ce l'est en ce moment, nous, on ne peut pas se dire populistes, parce que ce serait se tirer dans le pied! C'est vrai - je l'avoue et je le confesse - qu'avec mon expérience de 2012 [pendant la grève étudiante] et même au Sommet des Amériques, on ne retrouvait tellement pas dans les médias traditionnels ce qu'on avait vécu que la méfiance s'est installée. Puis j'ai vécu un automne où les médias se sont jetés sur moi, parce que j'étais à part et que je ne ressemblais pas à une politicienne. De manière assez violente. Psychologiquement, ç'a été un défi de ne pas me rouler en petite boule dans mon lit et rester là. Cette expérience-là développe quoi chez moi? Je le dis sans dire que c'est la bonne chose, mais je ne peux pas dépendre de ces institutions médiatiques pour m'aider à véhiculer mon message. Ou même s'ils ne voulaient pas m'aider, juste le prendre tel quel.

Marc Cassivi: Parce qu'il y a un filtre qui ne te convient pas tout le temps.

Catherine Dorion: On parle souvent en politique d'un prisme déformant où tu ne reconnais même pas ton intention. Où tu ne reconnais même pas ta pensée au bout. Tu ne reconnais rien. Je ne comprends pas, même si j'ai quelques idées, pourquoi c'est à ce point loin de la réalité.

Marc Cassivi: Je pense, comme Yves Boisvert l'a écrit dans une chronique, que tu es une aubaine pour les journalistes. Ton discours n'est pas complètement codifié. On n'a pas l'impression d'entendre la même cassette qu'on a entendue mille fois et donc on s'accroche à ce qui dépasse. Moi, par exemple, la chronique d'Yves Boisvert sur ton habillement, je la contresigne. Tu as des choses à dire et on te parle de ta tuque... Il y a un statement là aussi, évidemment.

Catherine Dorion: Oui, mais c'est sûr que je ne me suis pas dit que j'allais faire exprès. Les gens ont dit que je jouais à me déguiser, que je jouais à la populiste. Non! Je m'habille comme ça depuis toujours. Je sais qu'il y a eu un moment dans ma tête où je me suis dit: «Je devrais m'habiller chic ce soir. Mais pourquoi?» Non! Je vais à un party où je me fais élire, avec les gens qui ont travaillé avec moi, je vais être gênée d'arriver devant eux déjà en madame. Sans jugement envers les mesdames! Ma mère en a été une dans son travail de bureau. Ce geste-là de ne pas me conformer à ce que j'aurais peut-être dû faire a été vu comme une provocation par le monde médiatique. [...] La réaction de la masse sur moi a été très judgemental. Je voyais ça comme très «mononcle, curé». Face à cette expérience-là, je me suis dit qu'il fallait que je trouve une façon de communiquer directement avec le monde.

Marc Cassivi: Mais tu comprends que pour des médias, ça peut être perçu de la même manière - même si je sais que tu es aux antipodes de son idéologie - qu'un Stephen Harper qui refusait de répondre à des questions des journalistes...

Catherine Dorion: Ou PKP sur Facebook...

Marc Cassivi: Ils ont leurs propres canaux de communication et évitent les médias. On peut se demander si les élus ont des choses à cacher. Pourquoi on ne peut pas poser de questions? Ils ont des comptes à rendre.

Catherine Dorion: Ils évitent la critique...

Marc Cassivi: Ils évitent la critique, ils imposent une manière de voir. Et donc, on peut aussi penser qu'il y a un paradoxe chez Québec solidaire, qui se dit anticonformiste, qui dit ne pas vouloir contrôler le message, à donner l'impression qu'on essaie un peu de contrôler le message. En allant directement vers les gens et en évitant des questions parfois embarrassantes.

Catherine Dorion: À partir du moment où j'ai continué à parler de la même manière, à faire la même chose, à être la même personne, mais en tant que députée, j'ai eu l'impression d'être une piñata sur laquelle tout le monde fessait publiquement! Je me suis demandé pourquoi les journalistes me regardaient différemment de quand j'étais une artiste [...] et qu'il n'y avait pas de fouille obsédante, obsédée, pour trouver le truc qui va faire dire: «Ah! Elle a l'air conne! Elle a essayé de vous crosser!» Ça, c'est tough. Je me dis qu'à long terme, je vais devenir une politicienne aussi plate que les autres et ce ne sera pas entièrement de ma faute!

Marc Cassivi: J'avais l'impression dans ton essai - à l'époque, tu n'étais pas en politique active - qu'il y avait quand même dans ta manière de dire les choses une espèce de généralisation DES journalistes, qui m'a heurté.

Catherine Dorion: T'as raison. Je ne sais pas si, aujourd'hui, je l'écrirais de la même manière. Mais dans cette espèce de généralisation [...], il y a aussi une game de force. Est-ce que je peux dire ce que je pense? On va parler de liberté d'expression. Il y a la liberté de presse, mais aussi la liberté d'expression, et les deux vont ensemble. Je le sentais déjà comme artiste, et comme politicienne c'est encore pire: le poids de se sentir checkée. Il y a des affaires que je dis qui me rendent nerveuse. Je n'aime vraiment pas ça. J'aimerais que tous les politiciens puissent parler librement.

Marc Cassivi: Tout discours qui discrédite les médias peut devenir dangereux. On peut être critique, mais quand les gens se mettent à dire, comme ils disent pour les politiciens: «De toute façon, on nous ment» et que des gens se mettent à douter même que la Terre est ronde parce qu'ils ont «fait leurs recherches» sur Google, il y a un problème. C'est là où on est un peu dans le même bateau.

Catherine Dorion: Il faut un média qui est pour nous une source de référence fiable. On sait qu'il y a eu des «checks and balances» de faits. On sent qu'il y a du temps, du soin, une rigueur. [...] En ce moment, ce qui a dévalorisé tout ça, c'est autant les nouvelles sur l'internet, la multiplication des sources d'information, mais aussi un certain traitement médiatique qui est devenu militant. Peut-être que le gars de VICE ou la personne de CUTV dans les manifestations de 2012 était un militant, mais quand on regarde le traitement fait de ces mêmes manifestations à certains téléjournaux, on voyait juste du cassage et de la haine et ça ne correspondait tellement pas à ce qu'on avait vécu.

Marc Cassivi: De la même manière qu'on nourrit le cynisme vis-à-vis de la politique lorsqu'un ministre dit un jour que c'est lui qui a pris une décision, et le lendemain que ce n'est pas lui qui a pris la décision, certains discréditent la profession de journaliste en donnant des munitions aux gens pour qu'il nous tapent dessus.

Catherine Dorion: Mon regard s'est attendri pour les politiciens des autres partis. Je vois l'équipe de comm en arrière et je vois pourquoi ils disent quelque chose et pourquoi le lendemain, parce que la réaction n'est pas bonne, ils disent autre chose. Oui, ça nourrit le cynisme. Mais moi, j'ai décidé, sur des thèmes ultrasimples, full pas controversés - dans ma tête! -, cet automne, de rester sur mes positions. Et la charge était tellement grosse que, même si j'ai une forte psychologie et que je suis quelqu'un de solide, j'ai vacillé. C'est sûr qu'on finit avec des politiciens paddés avec des mots qui ne veulent plus rien dire. Ça appauvrit beaucoup [le discours|, mais la réaction est rendue tellement forte que parfois on a l'impression que c'est une machine de guerre qui est en face de nous et qu'elle va nous écraser.

Marc Cassivi: Est-ce que faire de la radio, cette fameuse chronique dont on a parlé au FM 93, c'est aussi une façon de se rapprocher des gens, d'établir un réel contact?

Catherine Dorion: C'est une question qu'on se pose. Je ne sais pas si je me rapproche ou si je me prête à un jeu où je me fais avoir! Je n'en ai aucune idée. Mais ne le sachant pas, je me suis dit: «Vas-y! Fais-toi une tête. Va voir!» Je sais à qui je parle quand je vais là. Je parle à des gens qui habitent tout près de chez moi, qui sont en banlieue autour de Québec, dans leur auto. On parle souvent de diversité culturelle, on parle de communautés culturelles, mais parfois, la gauche, on oublie que les banlieues, les chars, le service à l'auto, les stationnements, le Walmart, c'est une des cultures du Québec. C'est une des façons de vivre au Québec qui est très répandue. Et si on aime le Québec, il faut aimer ce monde-là aussi et essayer de lui parler.

Photo François Roy, La Presse

La députée de Québec solidaire Catherine Dorion et le journaliste de La Presse Marc Cassivi