Connu depuis les années 1980 comme caricaturiste au quotidien Le Soleil, André-Philippe Côté fait de la BD depuis plus longtemps encore. Dans AMA, sa première bande dessinée romanesque, il met son style dépouillé et vif au service d’une histoire bien ficelée qui raconte aussi celle de l’art au siècle dernier.

L’esprit et le trait d’André-Philippe Côté sont immédiatement reconnaissables pour les lecteurs du journal Le Soleil, où il œuvre depuis des décennies, et aussi pour ceux de La Presse, où il est régulièrement publié. Ils le sont aussi dans AMA, album ambitieux de près de 250  pages qui boucle la boucle de plus de 40 ans de pratique « bédéistique ».

En 2011, il a en effet publié L’homme aux graffitis, une œuvre – sa première – qui datait de 1980. De quoi s’agissait-il ? D’une bande dessinée sans paroles puisant dans le surréalisme. S’inspirer des grandes figures de l’art constitue l’un des pôles de sa création : en 1993, il a fait paraître Castello, une œuvre nourrie par celle de Picasso et de Giorgio di Chirico, alors que ce sont plutôt les vies des poètes Verlaine et Rimbaud qui alimentent Victor et Rivière en 2005.

On pense un peu à l’histoire de Jackson Pollock, icône de l’expressionnisme abstrait américain, et de sa compagne Lee Krasner en lisant AMA.

Plus encore au couple explosif qu’ont formé les sculpteurs Camille Claudel et Auguste Rodin en suivant la relation tumultueuse entre la jeune artiste, qui donne son nom à la bande dessinée, et les deux hommes de sa vie.

  • IMAGE TIRÉE DE L’’ALBUM AMA D’ANDRÉ-PHILIPPE CÔTÉ

  • IMAGE TIRÉE DE L’ALBUM AMA D’ANDRÉ-PHILIPPE CÔTÉ

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« Il y a un peu de ces dualités-là, reconnaît d’emblée André-Philippe Côté, mais il y a quand même plusieurs personnages croisés à l’intérieur de chacun de ces personnages. » Il a sciemment évité les références trop directes, car ce qui l’intéressait n’était pas de raconter de manière déguisée la trajectoire d’un créateur en particulier, mais celle d’une artiste qui « part des arts premiers et s’en va vers l’art contemporain ».

S’affranchir des règles

Campée dans le Québec des années 1930 aux années 1990, AMA raconte l’histoire d’une jeune métisse de Tadoussac qui, une fois à Montréal, se découvre des aspirations artistiques. Elle se sentira spontanément à l’étroit dans l’académisme incarné par Alfred Leblanc, son premier amant, et tout autant dans l’approche contemporaine du second. Ama est un esprit libre, dont l’art évoquera l’asservissement des femmes dans le Québec d’avant la Révolution tranquille et l’écologisme avant l’avènement des discours écologiques.

André-Philippe Côté a choisi de mettre en scène une femme pour marquer « la rupture avec les modèles dominants de l’art masculin ». Ce qui souligne bien évidemment les dynamiques à l’œuvre dans la société.

Ici, le contexte social n’est d’ailleurs pas qu’une toile de fond, il constitue un élément fondamental de ce récit qui déploie également une réflexion sur l’art, sur son rôle, sur la liberté et sur la nature de l’artiste.

Le bédéiste est lui-même passionné par l’art. Jeune, il a été aspiré par le talent du peintre Eugène Delacroix, dont il pouvait scruter longuement les tableaux. Il tient en haute estime les dessinateurs Hugo Pratt (Corto Maltese) et Moebius (L’incal), et admire la vision à la fois artistique et politique du Chinois Ai Weiwei. Il déplore du même coup que ce qu’on appelle aujourd’hui l’art contemporain soit devenu une espèce de cénacle très élitiste.

Même s’il n’aime pas trop Dali, il reconnaît que le fantasque peintre catalan a été visionnaire dans la façon qu’il a eue de créer son propre mythe. Il ne trouve pas grand-chose de bien intéressant dans les crânes en diamants de Damien Hirst ni dans les chiens gonflables, même géants, de Jeff Koons, icônes de l’art actuel au sujet desquelles le romancier Michel Houellebecq ironise dans son roman La carte et le territoire.

Trouver son conte

En filigrane de son récit construit comme une enquête journalistique autour d’un supposé triangle amoureux, André-Philippe Côté évoque autant la création du mythe que l’appropriation de l’œuvre par l’œil qui la regarde. Lourd, tout ça ? Absolument pas, non, car le bédéiste est un scénariste habile qui a eu la brillante idée de faire d’AMA une bande dessinée anthropomorphique, c’est-à-dire que les personnes ont des corps d’humains, mais des têtes d’animaux.

Ne souhaitant pas du tout faire une œuvre historique ni s’astreindre à une véracité architecturale, il a fait de nombreux essais plus réalistes avant de changer de cap et de se rapprocher de la BD animalière. « Ç’a été une libération complète, avoue-t-il. C’était ce que je cherchais à créer, c’est-à-dire une métaphore. Avec des personnages comme ça, on sait qu’on n’est pas dans le monde réel. On est comme dans un conte, dans un autre monde où toutes sortes de choses sont possibles. »

AMA

AMA

Moëlle Graphik

248 pages