Dans Une reine, Judith Elmaleh raconte l’histoire de sa grand-mère, mariée de force à 14 ans à un homme qui était déjà marié. Un secret qui a longtemps été gardé dans la famille et qui a marqué sa vie. Nous l’avons rencontrée.

Judith Elmaleh est émue de présenter son premier roman à Montréal, une ville si chère à ses yeux, sa deuxième maison, là où sa fille est née et habite toujours. Elle y a vécu pendant quelques années avec son frère, l’humoriste Gad Elmaleh, au début des années 1990. Elle avait 18 ans, lui 17. Ils arrivaient du Maroc et découvraient le Québec, la neige, le froid et la vie sans leurs parents. « On a vécu des années folles à Montréal, on n’a que de bons souvenirs », se rappelle-t-elle.

« Encore aujourd’hui, on utilise des expressions québécoises, Gad et moi, pour parler de certaines choses, ça fait partie de notre intimité », dit celle qui vit à Paris.

Judith Elmaleh travaille comme scénariste et autrice pour des émissions de télévision en France et collabore avec Gad à l’écriture de ses spectacles. C’est lui qui l’a poussée à écrire l’histoire de leur grand-mère. Le déclic s’est fait lors du plus récent spectacle D’ailleurs, où Gad évoque le fait que son fils a deux arrière-grands-mères : Grace Kelly et Simha de Casablanca. « Il a un incroyable arbre généalogique ! Je voulais écrire un passage sur notre grand-mère. J’ai commencé à écrire et je ne pouvais plus m’arrêter et il m’a dit : voilà le sujet de ton livre. »

Leur grand-mère Mimi (le surnom de Simha) a été mariée de force à 14 ans à un homme qui avait 26 ans de plus qu’elle et qui était déjà marié. Mais sa première femme était stérile. « Au Maroc, dans les années 1930, une loi rabbinique autorise un homme à prendre une deuxième femme si elle n’a pas réussi à avoir d’enfants au bout de 10 ans », précise Judith Elmaleh. « Ce qui est encore plus fou, c’est que c’est la première femme de mon grand-père qui a choisi Mimi comme seconde femme pour son mari ! Elle a choisi sa nièce, pour des raisons génétiques, mais aussi parce qu’elle n’avait que 14 ans et voulait avoir une emprise sur elle, même si elles vivaient séparément, dans deux maisons », raconte-t-elle.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Judith Elmaleh

Ce qui l’a marquée, c’est l’ignorance de sa grand-mère qui, un jour, arrive à une fête vêtue d’une très belle robe, sans savoir pourquoi. « Elle n’est jamais rentrée chez elle, car elle s’est mariée ce jour-là. » Elle a eu sept enfants. « Elle a dû donner ses trois premiers enfants à la première femme de mon grand-père qui les a élevés, mais au quatrième enfant, c’est là que ça a basculé, elle l’a gardé. C’est la naissance de mon père. Elle s’est affirmée et elle en a eu trois autres qu’elle a gardés et élevés complètement », explique-t-elle.

Il reste que sa grand-mère a été malheureuse. « Elle était la seconde épouse, plus belle, plus jeune, celle qui pouvait avoir des enfants, mais elle n’était pas la favorite. Avec mon grand-père, ce n’était pas de l’amour qu’il y avait entre eux, mais de l’affection. Toute sa vie, elle a adoré regarder les films romantiques à l’eau de rose parce que ça la faisait rêver. »

Humour salvateur

C’est grâce à l’humour et aux réunions familiales très animées que les sept frères et sœurs s’entendent tous très bien. « L’humour est le langage familial, c’est le moyen de communication. Tout le monde raconte des blagues, c’est notre système de valeurs, et chacun est drôle à sa manière. Mon père a fait du mime, mon frère Gad est humoriste, mon autre frère, Arié, est comédien, et moi j’écris avec Gad ses spectacles, et mes oncles aussi sont très drôles. »

L’humour est aussi une façon de dédramatiser, une manière d’enfouir les non-dits, et de noyer dans le rire les évènements plus douloureux. Judith Elmaleh a découvert très tard, à 32 ans, l’histoire de sa grand-mère. C’est son oncle qui l’a écrite dans un document qu’il a envoyé à tous les membres de la famille. « On n’en a pas parlé, c’était un secret qui était devant nous, un non-dit plus qu’un secret. J’ai toujours vu cette dame plus âgée [la première femme de son grand-père] chez mes grands-parents, on m’a toujours dit que c’était mon arrière-grand-mère, mais cette dame n’était pas la mère de ma grand-mère ni celle de mon grand-père ! », s’exclame-t-elle.

Elle a écrit ce livre pour transmettre l’histoire de la famille à ses enfants, mais aussi pour mettre en lumière l’existence de cette femme qui a vécu dans l’abnégation et qui leur a permis à tous d’exister. « On a tous une reine dans nos familles, une grand-mère qui s’est sacrifiée. C’est pour cela que j’ai appelé mon livre Une reine, car Mimi, c’est une reine parmi tant d’autres. Il y a beaucoup de femmes qui ont souffert, qui ne se plaignaient jamais et qui ont tout donné à leurs enfants. Mimi est décédée à 102 ans, et je sais que sa vie a influencé la mienne. J’ai cette culpabilité d’avoir vécu en toute liberté, contrairement à elle », conclut Judith Elmaleh.

Une reine

Une reine

Éditions Robert Laffont

266 pages