À sa neuvième année, Osheaga n'aurait probablement pas eu Outkast, sa tête d'affiche du vendredi 1er août, sans l'intervention de Coachella, l'énorme concurrent qui propose deux week-ends de musique dans le désert de la Californie en avril.

«Avec ses 90 000 spectateurs quotidiens et sa proximité de Los Angeles, Coachella est vraiment le seul festival qui peut réunir des bands qui n'existent plus, explique Nick Farkas, programmateur en chef d'Osheaga. Quand ils ont confirmé qu'ils avaient Outkast, tout le monde a été surpris, mais on s'est dit qu'on ne les verrait qu'à Coachella. Puis, leurs agents nous ont fait savoir qu'ils joueraient dans quelques festivals en Amérique du Nord. Finalement, ils en font une vingtaine, sinon une trentaine.»

Pour Osheaga, Outkast constitue une grosse prise. Big Boi et André 3000 sont déjà passés par Montréal, mais Outkast, jamais. «On a sauté sur l'occasion», dit Farkas.

De toute façon, Osheaga ne cherche pas les exclusivités à tout prix. La plupart de ses têtes d'affiche de 2014, d'Arctic Monkeys à Jack White en passant par les Replacements, Lykke Li et la jeune Lorde, se produisent dans d'autres festivals nord-américains cet été.

Outkast et Arctic Monkeys seront même de passage à Lollapalooza, à Chicago, durant le week-end d'Osheaga. En pareille situation, l'an dernier, Osheaga avait nolisé un avion pour aller chercher Mumford & Sons à Chicago le samedi soir, en prévision du concert de clôture du lendemain au parc Jean-Drapeau.

C'est dire combien les choses ont changé dans le monde merveilleux des festivals rock de ce côté-ci de l'Atlantique depuis la création d'Osheaga, en 2006. Et pas que pour le pire, au contraire.

«En 2006, on visait le modèle Coachella, mais il n'y avait pas des festivals partout en Amérique du Nord», raconte Jacques Aubé, premier vice-président et directeur général d'evenko qui produit Osheaga. «La tradition n'était pas établie comme en Europe et il fallait convaincre les artistes de sortir de leur tournée pour venir jouer dans un festival. Aujourd'hui, ils établissent leur itinéraire en fonction des festivals d'été. Ça commence à coûter un petit peu plus cher, mais c'est plus facile de les avoir.»

Une destination rock

Osheaga a connu trois premières années difficiles, mais il fait ses frais depuis 2009, l'année où Coldplay a contribué à doubler la vente de billets. Comme le Festival de jazz, les FrancoFolies ou encore son petit frère Heavy MTL, Osheaga est un organisme sans but lucratif (OSBL). Son budget est de 10 millions et le déficit accumulé les trois premières années n'a pas encore tout à fait été épongé.

Ce n'est toutefois pas une préoccupation majeure pour Osheaga qui a affiché complet en 2012 et 2013 et qui, aux dernières nouvelles, n'avait plus qu'environ 6000 laissez-passer à vendre pour les journées de vendredi et de samedi, pour un festival qui peut accueillir 145 000 spectateurs.

Osheaga n'a pas les moyens des grosses machines comme Coachella, Bonnaroo et Lollapalooza qui attirent plus de 90 000 festivaliers par jour, mais il s'est bâti une renommée qui en fait une destination de choix pour le jeune festivalier d'ailleurs. La semaine dernière, 64 % des laissez-passer avaient été vendus à des spectateurs de l'extérieur du Québec.

«Je pense qu'éventuellement, ça va revenir à 50-50, estime Nick Farkas. Mais depuis le début, on savait que pour qu'Osheaga survive, il fallait un pourcentage important de spectateurs de l'extérieur parce qu'on n'a pas un bassin de population suffisant pour soutenir un festival de 45 000 personnes sur trois jours.»

Pour accueillir ces visiteurs, Osheaga a mis sur pied un système d'hébergement qui, en trois ans, est passé de 150 à plus de 1000 chambres d'étudiants à louer à prix abordable pendant la durée du festival. «Malgré ça, le taux d'occupation continue d'être de 98 % dans les hôtels en ville», souligne Jacques Aubé.

Autre initiative: des wagons de trains de VIA Rail en provenance de Toronto et de Québec sont réservés aux clients d'Osheaga.

La marque Osheaga

Ces données, si elles font le bonheur de Tourisme Montréal et des hôteliers, font tout de même un peu tiquer les organisateurs d'Osheaga.

«Les retombées économiques sont meilleures quand c'est des touristes, mais on veut aussi qu'Osheaga soit québécois», dit Jacques Aubé.

«On veut faire rayonner la marque Osheaga à travers Montréal comme celle du Festival de jazz», ajoute Nick Farkas qui cite au passage quelques autres événements culturels auxquels la marque Osheaga est associée: le Block Party du Festival MURAL, boulevard Saint-Laurent, le lancement de la saison des terrasses, rue Saint-Denis, l'exposition Musique sur papier...

C'est aussi pour continuer à développer Osheaga et mieux le défendre face à la concurrence américaine ou même torontoise que son producteur evenko fonde beaucoup d'espoirs sur le réaménagement du Parterre de l'île Sainte-Hélène, prévu pour 2017, qui lui permettra peut-être d'accueillir 60 000 spectateurs.

Pour le moment, Toronto présente un festival électro en même temps qu'Osheaga, et même si la cousine ontarienne accueille en septembre le festival rock américain Riot Fest, qui s'arrête également à Chicago et Denver, cela n'inquiète pas vraiment les organisateurs d'Osheaga.

«Mais Toronto, c'est la troisième plus grande ville en Amérique du Nord et c'est un des marchés les plus forts en musique, rappelle Farkas. On s'attend à ce que Toronto ait un festival qui marche.»

«À Toronto, je sais qu'on parle beaucoup du succès d'Osheaga, renchérit Jacques Aubé. Mais plus on crée une bonne expérience client et on affiche complet chaque année, plus ça va être difficile de récupérer la clientèle d'Osheaga au profit d'un nouveau festival rock à Toronto.»

Déjà, disent Aubé et Farkas, Osheaga jouit d'un avantage marqué sur un futur festival torontois: son site. Aucun autre festival du genre ne mise sur un amphithéâtre naturel collé sur la ville comme le parc Jean-Drapeau. Et Osheaga propose également aux festivaliers une proximité avec les artistes impensable dans les super-festivals américains qui attirent près de 100 000 spectateurs par jour.

«Même à 45 000 spectateurs, on offre l'intimité d'un festival boutique, dit Farkas en riant. On a souvent les mêmes têtes d'affiche que les autres festivals, mais avec la moitié moins de monde.»

Les artistes aussi en redemandent: «Cette année, on a été obligés d'ajouter une sixième scène, la scène de la Vallée, parce que trop d'artistes voulaient venir à Osheaga.»

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Les 1er, 2 et 3 août au parc Jean-Drapeau.

Cinq festivals qui comptent

Les festivals de musique se sont multipliés en Amérique du Nord depuis 10 ans. Osheaga n'a pas l'envergure ni les moyens des trois festivals majeurs (Coachella, Bonnaroo, Lollapalooza), qui attirent plus 90 000 spectateurs par jour, même si les festivaliers comparent volontiers leurs programmations. Governors Ball et Outside Lands sont plus de la taille du festival montréalais.

COACHELLA

Création: 1999, puis de 2001 à nos jours

Quand: deux week-ends de trois jours, en avril

Où: Indio, dans le désert californien, à 200 km de Los Angeles

Assistance: 579 000 festivaliers en six jours

Têtes d'affiche 2014: Arcade Fire, Muse, Pharrell Williams

BONNAROO

Création: 2002

Quand: quatre jours à la mi-juin

Où: sur une ferme de Manchester, au Tennessee

Assistance: plus de 90 000 festivaliers par jour

Têtes d'affiche 2014: Kanye West, Vampire Weekend, Elton John, Lionel Richie

LOLLAPALOOZA

Création: festival itinérant créé en 1991, disparu puis implanté à Chicago depuis 2005

Quand: trois jours en août, en même temps qu'Osheaga

Où: Grant Park, au centre-ville de Chicago

Assistance: 300 000 festivaliers en 2013

Têtes d'affiche 2014: Eminem, Kings of Leon, Calvin Harris ainsi que Outkast et Arctic Monkeys

GOVERNORS BALL

Création: 2011

Quand: trois jours au début de juin

Où: Randall's Island, à New York

Assistance: environ 40 000 festivaliers par jour

Têtes d'affiche 2014: The Strokes, Disclosure, Vampire Weekend, Interpol

OUTSIDE LANDS

Création: 2008

Quand: trois jours, le troisième ou le quatrième week-end d'août

Où: San Francisco

Assistance: de 40 000 à 60 000 spectateurs

Têtes d'affiche 2014: Kanye West, Tom Petty, The Killers, Macklemore & Ryan Lewis

Photo: archives Reuters

Coachella

Les choix de l'équipe

JACK WHITE, Scène de la Rivière, samedi, 21h05

«Un prolifique auteur-compositeur, un musicien et réalisateur exceptionnel en plus d'être un guitariste virtuose. Il faut vraiment le voir sur scène!» - Jacques Aubé, premier vide-président et directeur général d'evenko

THE REPLACEMENTS, Scène de la Rivière, dimanche, 19h20

«Un de mes bands préférés au monde. Je les ai vus en concert quand j'étais beaucoup plus jeune; je les ai revus quelques fois à New York et, l'an dernier, au Riot Fest de Chicago. C'était excellent. Un band aux très bonnes chansons qui est super intéressant live.» - Nick Farkas, vice-président aux concerts et événements d'evenko

BAND OF HORSES, Scène verte, vendredi, 21h15

«Dix ans de carrière et un parcours irréprochable! Leurs harmonies et leur sens de la mélodie évoquent Neil Young et My Morning Jacket, mais ils possèdent un style bien à eux qui les différencie des autres groupes folk-rock. Je les ai vus au festival Outside Lands de San Francisco en 2009 et, depuis ce temps, je voulais absolument les booker à Osheaga. - Daniel Glick, programmateur d'Osheaga

LYKKE LI, Scène verte, dimanche, 21h55

«J'ai toujours été une grande fan de la musique de Lykke Li, et son dernier album est absolument magnifique. Chaque chanson me donne des frissons, et sa voix est impeccable. J'ai très hâte de la voir sur scène, je suis certaine que ce sera un moment inoubliable.» - Joëlle Bertrand, programmatrice d'Osheaga

SBTRKT, Scène verte, samedi, 21h50

«Osheaga 2012: le parterre de la scène Piknic est rempli jusque dans les arbres. Aaron et Sampha jouent à visage découvert pour une rarissime fois, ayant perdu leurs masques entre Lollapalooza et Montréal... Un concert improbable, magique et touchant, mais trop court! Osheaga ramène SBTRKT à l'aube de la parution d'un nouvel album. Il s'agit de la seule et unique date que le groupe de Londres a accepté de faire en Amérique du Nord cet été! - Évelyne Côté, programmatrice d'Osheaga

Photo: archives AP

The Replacements

Cinq moments marquants à Osheaga

COLDPLAY (2009)

Le plus beau samedi de l'histoire d'Osheaga au milieu d'un été très moche. L'année de Coldplay, Osheaga a reçu beaucoup plus d'appels des agents d'artistes qui étaient plus difficiles à convaincre les trois premières années. Pour la première fois, Osheaga a fait ses frais.

ARCADE FIRE (2010)

Après le succès de Coldplay l'année précédente, au tour du groupe montréalais d'être la tête d'affiche d'Osheaga. Jusque-là, Arcade Fire a boudé les grandes scènes montréalaises à l'exception de celle du Centre Bell en première partie du spectacle de U2 en 2005. Cette fois, les frères Butler, Régine Chassagne et compagnie acceptent de se produire sur la plus grande scène qui soit dans leur ville.

EMINEM (2011)

La première soirée à afficher complet dans l'histoire d'Osheaga. «Eminem a vraiment changé la donne, estime le programmateur Nick Farkas. Avant Eminem, Osheaga était plutôt un festival de niche et il a attiré du monde qui ne connaissait même pas Osheaga et qui ne serait jamais venu sur le site. Par la suite, on a connu une remontée incroyable dans la vente de billets.»

ELVIS COSTELLO (2011)

Elvis Costello aurait préféré chanter plus tôt dans la soirée que de monter sur scène en dernier, devant un public minuscule. Osheaga a compris ce soir-là que son public avait rajeuni et que sa mission n'était plus seulement de faire découvrir de nouveaux artistes, mais aussi d'en présenter de plus vieux à ce jeune public. Ainsi, l'an dernier, New Order a joué avant Mumford & Sons et ses fans et, cette année, The Replacements montera sur scène juste avant Lorde.

OF MONSTERS AND MEN (2012)

«C'était comme sur le boulevard Décarie au coin de Jean-Talon à l'heure de pointe», dit Jacques Aubé pour décrire l'embouteillage monstre pour se rendre à la scène verte où se produisait le groupe islandais. Depuis, les programmateurs d'Osheaga consultent les médias sociaux et réévaluent l'impact récent des artistes invités avant de publier leur horaire.

Photo: François Roy, La Presse

Nick Farkas, vice-président, concerts et événements, et Jacques Aubé, premier vice-président et directeur général du promoteur evenko.