« On est vraiment chez nous! » s'est exclamé Oliver Jones, visiblement ému, au terme d'une longue ovation l'ayant accueilli hier soir à la Maison symphonique. Ce pilier du jazz montréalais tirait sa révérence... pour de vrai. Il y a quelques années, il avait tenté une première sortie côté jardin, mais l'appel de la musique était trop fort, il nous était revenu. Cette fois, il faudra se résoudre à son retrait définitif.

Vous vous doutez bien que son public avait rempli l'amphithéâtre à pleine capacité, sans compter les collègues, amis, proches musiciens telle Lorraine Desmarais, la direction artistique du FIJM toujours assurée par André Ménard, enfin tout ce monde ayant suivi de près ou de loin sa carrière exemplaire. 

Élève de Daisy Peterson Sweeney, soit la soeur d'Oscar Peterson, Oliver fut sa vie durant un authentique praticien du swing pianistique, style perfectionné au plus haut point par son idole et voisin de quartier, le grand Oscar - à qui il a d'ailleurs rendu un vibrant hommage devant l'auditoire incluant la veuve et la fille de son mentor.

Après avoir passé une bonne partie de sa carrière dans les Antilles, le pianiste de la Petite Bourgogne revint à Montréal et put assouvir sa passion jazzistique. Ce retour au bercail coïncidait avec les débuts du festival de jazz dont il  fut longtemps la plus grande vedette locale et le fier ambassadeur. 

Depuis onze ans, soit depuis le retour après la pause, Oliver a formé cet excellent trio avec le contrebassiste Éric Lagacé et le batteur Jim Doxas. À les entendre jouer, on se demandait hier pourquoi fallait-il arrêter tout ça?  Le leader du trio a beau avoir 81 ans, pourtant...  l'articulation, le rythme, l'attaque, la souplesse, la force de la main gauche, bref tout ce pourquoi Oliver Jones a suscité l'admiration n'est pas diminué... assez peu, pour être précis.

Au programme, évidemment, c'était la musique des années 50, le Great American Songbook jazzifié, et des compositions originales de même type. L'Orchestre National de Jazz allait ensuite  prendre la relève du trio pour accompagner ce gentleman qui s'est produit en concert pendant ...76 ans!

Un grand merci, Oliver.

Gonzalo retourne au latin jazz fusion

Dans les années 80, une des grandes innovations du pianiste et compositeur cubain Gonzalo Rubalcaba fut d'adapter le jazz de son île à la tendance fusion très en vogue à l'époque. Une fois installé aux États-Unis, il s'était longtemps concentré sur des musiques acoustiques, question de démontrer son immense talent de jazzman. Ce qu'il a réussi magistralement, plusieurs opus en témoignent.

Ces dernières années, cependant, il est revenu à ses premières amours latines, pour ainsi mettre de l'avant des projets plus proches de ses racines, dont Volcan, présenté hier au Théâtre Maisonneuve. 

Dans ce contexte, l'impulsion de la percussion est la fois jazz et afro-antillaise (Horacio El Negro Hernandez), la basse électrique (Armando Gola) s'inscrit dans cet univers hybride entre fusion, latin jazz et afro-cubain.Cette musique est propice aux exécutions exubérantes, voire mirobolantes, de Gonzalo Rubalcaba. À l'évidence, il demeure aujourd'hui au faîte de la supravirtuosité pianistique. Précision hallucinante en haute vélocité, articulation parfaite, cet irrésistible groove latin amalgamé à une connaissance profonde du piano jazz. 

Pour étoffer la dimension texturale de ce Volcan Trio, Gonzalo disposait aussi d'un clavier électronique,  l'instrumentation rappelait les bands fusion d'un autre temps. À ce titre, l'amalgame des styles n'était pas toujours réussi. Le jeu des références de ce Volcan Trio aurait pu être mieux songé, certaines composition plus resserrées, le concept général actualisé, les séquences jazz-fusion débarrassées de leur côté suranné. D'où la défection progressive de plusieurs dizaines de spectateurs ayant perdu leurs repères. Pourtant... Malgré les irritants, malgré certains tapas mal cuisinés, n'y avait-il pas de quoi se sustenter?

Vivay et Wadada: cosmique!

L'usage simultané de l'électrique, de l'électronique et de l'acoustique est beaucoup mieux réussi chez Vijay Iyer que chez Gonzalo, force était d'observer quelques minutes plus tard au Gesù. Le choix des sons, le traitement des fréquences de synthèse, le jeu très free du piano et du Fender Rhodes illustraient l'envergure créatrice du musicien indo-américain auquel se joignait hier l'éminent trompettiste free Wadada Leo Smith.

Très inspirés, les deux concepteurs de haute volée y poursuivaient le travail précédemment enregistré ensemble sur l'album A Cosmic Rhythm With Each Stroke, paru il y a quelques mois sous étiquette ECM. Aucune pause au programme sauf le rappel, un seul et vaste tableau,  fresque de sons intégrés où le vocabulaire de l'improvisation libre se voyait enrichi d'informations neuves.

Ce que Vijay y a soumis aux claviers et ses compléments informatiques apparaisssait comme le prolongement transcendé des meilleurs praticiens du genre. Du côté de la trompette, les répliques, ponctuations, ellipses, parenthèses émises par Wadada Leo Smith contribuaient admirablement à cette  mémorable odyssée des sons.

Ainsi, nous avons investi un autre pan de l'univers exceptionnel de Vijay Iyer, cette fois associé à l'un des grands souffleurs du jazz contemporain. Autre preuve de son envergure, de ses compétences et sa créativité exceptionnelles. Cosmique! 

Ron en Chet

Pour cet hommage à Chet Baker rendu hier au Gesù en début de soirée, Ron Di Lauro avait lu une biographie de Chet Baker, il s'était vraiment préparé au point de « pouvoir donner un séminaire » sur ce musicien légendaire. Or, il n'était pas devant une classe de la faculté de musique de l'Université de Montréal, là où il enseigne et il mène les destinées d'un big band estudiantin; il a plutôt joué dans l'esprit duveteux du style bakerien... et même chanté! 

Chants et scats n'étaient pas tout à fait au point, mais reconstruction historique oblige... Chet jouait la trompette magnifiquement et chantait divinement. Au-delà de sa partie vocale, Di Lauro avait bien préparé ses collègues à l'exercice : Janis Steprans, saxos ténor et soprano,  John Roney, piano, André White, batterie, Frédéric Alarie et la fameuse contrebasse du génial Scott La Faro dont il a la responsablité par les temps qui courent. Et...oui, La Faro avait déjà accompagné Chet. 

Fair Weather, But Not For Me, Leaving,  Just Friends...

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Gonzalo Rubalcaba     

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Vijay Iyer et Wadada Leo Smith