Comment interpréter le succès confirmé de BadBadNotGood au Métropolis samedi soir ? D'abord en en constatant les liens tissés serrés avec les scènes R&B et hip-hop.

Dans un amphithéâtre plein à craquer, surtout peuplé de jeunes adultes dont la majorité absolue n'avait probablement rien à cirer du jazz jusqu'à une période récente, on a pu assister à cette rencontre très attendue entre le MC emblématique Ghostface Killah et le jeune groupe torontois enclin au jazz mais aussi au groove inspiré des musiques populaires urbaines et aussi de l'électro.

Jouissant d'un succès d'estime depuis la sortie d'un premier album en 2011, BadBadNotGood a eu l'excellente idée de fournir des trames d'accompagnement au chanteur Frank Ocean ainsi qu'à des rappeurs renommés tels Tyler, The Creator, Danny Brown et, surtout, Ghostface Killah. 

À l'instar de ses collègues plus jeunes, on pense d'abord à Kendrick Lamar et Joey Bada$$, ce membre éminent du Wu-Tang Clan et renommé artiste solo s'inscrit dans cette résurgence du jazz dans le rap. Les expériences jazz/hip hop étaient peu visibles depuis le déclin de la tendance boom-bap (A Tribe Called Quest, Digable Planets, Pharcyde, etc.) à la fin des années 90. Une décennie s'est écoulée et le jazz est redevenu un composant pour les meilleurs beatmakers.

« This is the future», a martelé le MC sur la scène du Métropolis, question de faire mousser l'apport soi-disant visionnaire de ses jeunes collègues torontois - le claviériste Matthew A. Tavares, le bassiste Chester Hansen et le batteur Alexander Sowinski, auxquel s'est joint le saxophoniste Leland Whittty.

Futuriste?  Vraiment? Euh... pas tout à fait. Les grooves de BadBadNotGood sont connus, convenus, exécutés par de bons étudiants en musique ayant bien pigé les tendances électro et hip hop du moment. Pour le vétéran du Wu-Tang Clan comme pour le band ontarien, l'association est néanmoins souhaitable car elle confère de la crédibilité aux deux parties. On peut ainsi parler d'un mélange gagnant-gagnant, du moins si l'on s'en tient à la réaction de la foule surchauffée du Métropolis.

Cela étant, on a aussi déduit que les fans de Ghostface Killah étaient plus nombreux que ceux de BadBadNotGood. Avant que le rappeur quadragénaire se pointe avec casquette rouge et veste des Phillies, reprenne quelques tubes de son vaste répertoire, invite sur scène des fans très motivés et entonne plusieurs titres de son nouvel album, la qualité de l'écoute était médiocre... pour BBNG qui avait la tâche de réchauffer la salle avec sa musique instrumentale.

On avait entre les oreilles un autre de ces puissants bourdons de voix émanant de l'auditoire, typiques des premières parties de concert à l'ère du déficit d'attention chronique. Alors? L'arrivée de Ghostface Killah nous a fait oublier tout ça.

Et tant mieux si l'ensemble torontois profite de ce lien professionnel... Il lui faut maintenant démontrer sa capacité de durer et d'innover au-delà du phénomène générationnel. Cela étant dit, on ne peut que se réjouir du retour du jazz dans le hip hop de qualité.

Abdullah Ibrahim et Ekaya : tout simplement beau!

Au Gesù, le troisième et dernier concert d'Abdullah Ibrahim fut un des meilleurs moments passé à ce FIJM. L'ensemble Ekaya, celui qu'on avait tant aimé dans les années 80, nous a permis de contempler  ses talents de mélodiste, de compositeur et d'arrangeur. Ces musiques du pianiste octogénaire étaient orchestrées pour instruments à vent (saxophones baryton, ténor, et alto, flûte, trombone) et trio acoustique (piano, contrebasse, batterie). S'y entrelaçaient les mélodies africaines, gospel, blues, jazz ou orientales. Les harmonies jazz étaient riches, typiques des années 40 et 50, inspirées de Monk ou Ellington. Les thèmes mélodiques y étaient poignants et se dégageaient d'une facture épurée. Une fois de plus, celui qu'on nommait jadis Dollar Brand nous a rappelé les vertus essentielles de la musique.

Ron Carter... inoxydable

Inutile de rappeler l'excellence de Ron Carter, qui fut le contrebassiste du grand quintette de Miles Davis dans les années 60. On connaît aussi sa résistance au changement, son immobilisme, son conservatisme. Ça n'allait pas changer samedi soir! À 78 ans, le jeu du musicien afro-américain n'en demeure pas moins impeccable, s'en dégage un classicisme jazz qu'on aime retrouver à l'occasion.  Au Monument National, en tout cas, l'occasion était belle de revoir ce grand instrumentiste entouré de l'impeccable pianiste canadienne Renee Rosness, toujours à la hauteur de la situation, ainsi que de deux percussionnistes compétents à n'en point douter - Payton Crossley et Rolando Morales-Matos.

Medeski seul au piano

Pour clore la soirée, John Medeski devait se défendre seul au piano. On connaît son inventivité à l'orgue et sur différents claviers, mais... au piano? Medeski est certes un artiste original, sa propension au groove et à l'éclectisme des genres a été maintes fois louée. On l'a observé avec le fameux trio Medeski, Martin & Wood ou encore à travers ses collaboration - notamment chez John Zorn. Au Gesù? Relativement limitée, sa technique pianistique a d'abord servi sa vision. Pas de quête virtuose  au programme, donc. Nous étions plutôt sur le territoire de la relecture, de la déconstruction et de la reconstitution d'un vaste univers musical, de Thelonious Monk à Jimi Hendrix, dont le musicien new-yorkais (originaire du Kentucky) interprétera Hey Joe au rappel.