Shakespeare considère l'art comme un miroir tendu au monde. Ce miroir, plusieurs créateurs invités au Festival TransAmériques l'ont fabriqué avec des éléments de réalité: faits divers ou historiques, témoignages, minutes de procès, etc. Y a-t-il des règles à suivre quand on joue avec la vérité?

Le monologuiste américain Mike Daisey a fait grand bruit avec un one-man show intitulé The Agony and Ecstasy of Steve Jobs. L'un des segments de ce spectacle créé en 2010, présenté comme du théâtre documentaire, faisait en effet état des conditions de travail des ouvriers chinois qui fabriquent les appareils du géant Apple. Or, Mike Daisey a pris des libertés avec la réalité...

«Quand j'ai dit que j'avais été témoin personnellement de ces choses, en fait, ce n'était pas le cas, a-t-il admis sur son blogue, après que des journalistes eurent soulevé un doute. J'ai échoué à respecter le contrat que j'avais établi avec mes spectateurs au fil des années et des spectacles.»

S'inspirer de la réalité est une chose, prétendre la rapporter en est une autre. Annabel Soutar, cofondatrice de la compagnie de théâtre documentaire Porte-parole, est catégorique: «Je n'ai jamais triché.» Sa pièce Seeds, présentée au FTA, respecte même mot à mot les transcriptions des entrevues qu'elle a elle-même effectuées et les procès verbaux qu'elle a consultés.

«Il faut toujours être transparent face au public», insiste l'auteure à laquelle on doit aussi Sexy Béton, qui s'intéressait au sort des responsables et des victimes de l'effondrement du viaduc de la Concorde. Ainsi, il est possible de s'écarter de la vérité, mais seulement si la mise en scène l'indique clairement ou si c'est dans la nature du contrat tacite passé avec l'assistance.

«Notre théâtre est à la fois documentaire et poétique, dit pour sa part Enrico Casagrande, cofondateur de la compagnie italienne Motus. On favorise toujours l'établissement de liens avec la réalité, un ancrage dans le monde actuel.» Alexis - Una tragedia greca, enquête à la fois sur un fait divers - la mort d'un jeune manifestant grec abattu par la police - et sur le mythe d'Antigone.

Aux extraits de la tragédie antique, Daniela Nicoló et lui ont ajouté le témoignage d'une femme grecque au sujet des émeutes qui ont suivi la mort de l'adolescent, ainsi que des séquences documentaires tournées à Thèbes, où Sophocle place l'action d'Antigone. Leur but avoué est de faire le pont entre ce présent bouillant et l'Antiquité.

Le droit de tricher

Transporter sur scène un passé moins ancien peut s'avérer plus explosif. C'est le cas de Maudit soit le traître à sa patrie! questionne les nationalismes qui ont mené à l'éclatement de la Yougoslavie et aux génocides. Faits divers, souvenirs de guerre et improvisations ont servi à construire la trame de ce spectacle qu'on dit brutal.

«Quand on fait une pièce où il est question de la guerre, il faut prendre des décisions claires et ne pas offenser les victimes. C'est la seule chose. Pour le reste, je crois qu'on peut opter pour une manière très directe», expose Tomaz Toporisic, dramaturg slovène impliqué dans le projet.

Tricher est toujours possible, juge Enrico Casagrande. «Tout dépend de l'urgence et de l'objectif du projet», dit-il. Tomaz Toporisic estime pour sa part que la prudence est de mise quand on veut rester proche de la réalité, bien que Maudit soit le traître à sa patrie! se veuille d'abord «une fiction qui laisse une forte impression de réalité».

«Nous marchons délibérément sur la frontière qui sépare la réalité de la fiction», insiste-t-il. Doit-on en conclure que le vrai a plus d'impact que le faux pour les spectateurs contemporains? «Oui», répond sans hésiter Enrico Casagrande, qui croit notamment que l'intégration de séquences documentaires dans Alexis permet «de parler de la Grèce, mais aussi de tout le sud de l'Europe: Italie, Espagne, Portugal.»

Annabel Soutar, elle, n'envisage par les choses sous cet angle. «Je crois qu'il y a des époques où la réalité devient plus intéressante que la fiction, où on ne peut pas inventer des histoires plus intéressantes que la réalité. On est dans une époque comme ça.»

Maudit soit le traîte à sa patrie!

Oliver Frljic, «enfant terrible» du théâtre croate, et le Théâtre Mladindsko, de Slovénie, reviennent sur les nationalismes et les conflits armés qui ont déchiré la Yougoslavie. Le dramaturg Tomaz Toporicic qualifie Maudit soit le traître à sa patrie! de charge «politiquement incorrecte».

Du 31 mai au 2 juin au Théâtre Rouge du Conservatoire

Alexis - Una tragedia greca

Enrico Casagrande et Daniela Nicoló s'interrogeaient sur la figure d'Antigone quand la mort d'un manifestant de 15 ans a mis le feu aux poudres en Grèce. Ils ont mis le cap sur Athènes et Thèbes pour explorer les liens entre le mythe ancien et l'époque contemporaine. Alexis - Una tragedia greca en découle.

Du 3 au 5 juin à la Cinquième salle de la PDA

Seeds

Seeds est le fruit d'une enquête d'Annabel Soutar, qui a voulu faire la lumière sur un procès opposant un fermier de la Saskatchewan à la multinationale Monsanto. L'enjeu? L'utilisation - légale ou non, morale ou non - de semences génétiquement modifiées. Seeds a été considérablement remaniée depuis sa création en 2005.

Du 7 au 9 juin au Théâtre d'Aujourd'hui