Avec la fin de Tout sur moi, cette fausse téléréalité sur sa vie, Macha Limonchik n'a pas eu l'impression de tourner la page et de passer à un autre appel. Seulement de continuer à exercer son métier d'actrice. Au théâtre, où elle incarne la mère d'un ado révolté dans Musique pour Rainer Maria Rilke, et à TV5, avec la série En thérapie où elle formera bientôt un couple toxique avec nul autre que Sébastien Ricard.

Interviewer des acteurs n'est pas toujours une mince affaire. Certains n'ont strictement rien à dire et forcent le pauvre scribe à ramer longtemps en déployant des trésors d'ingéniosité pour leur soutirer un semblant de contenu. D'autres ont trop de choses à dire, mais ne veulent pas se compromettre ni faire d'erreurs tactiques ou diplomatiques, et là aussi, on rame, mais d'une autre manière.

Macha Limonchik appartient probablement à la deuxième catégorie, encore que je n'en sois pas absolument certaine. Ce que je sais, par contre, avec certitude, c'est que Macha Limonchik est pour moi un mystère et un mélange contradictoire de réserve et de fronde, de pudeur et d'autodérision, de je ne sais pas quoi répondre et, de toute façon, ce n'est pas de vos affaires.

Nous voilà donc au deuxième étage du Juliette et chocolat de l'avenue Laurier, le salon de thé-chocolaterie branché de l'heure. C'est Macha qui a choisi cet endroit lumineux et il lui convient parfaitement.

Une adulescente ?

En principe, on se rencontre pour Musique pour Rainer Maria Rilke à l'affiche du Théâtre Denise Pelletier jusqu'au 8 février, une pièce conçue pour les hordes d'écoliers et d'ados agités et tapageurs qui, chaque jour, manifestent bruyamment leur appréciation. Mais la conversation sur Rilke et sur les Lettres d'un jeune poète dont la pièce est inspirée, est constamment parasitée par des images et des scènes de Tout sur moi, cette fausse téléréalité loufoque où Macha jouait son propre rôle.

Même si la série de Stéphane Bourguignon, l'amoureux de Macha, a quitté les ondes en décembre, son effet perdure comme une sorte de gaz hilarant, contaminant la réalité. À telle enseigne que bien qu'il n'y ait ni caméras ni équipe technique autour, j'ai l'impression d'être dans un épisode où Macha rencontre un journaliste qui pose les mauvaises questions et dont elle va aller se plaindre à ses amis dans la scène suivante. En même temps, si nous étions dans un épisode de Tout sur moi, c'est clair que la gaffeuse serait Macha et qu'elle ne manquerait pas de se couvrir de ridicule.

Mais nous sommes dans la vraie vie, et la Macha devant moi ressemble somme toute assez peu à la Macha, version télé. « Je suis une grande personne, j'ai 42 ans. Je suis une mère, j'ai un enfant. Or, celle que j'interprétais dans Tout sur moi correspond plus à cette période de la vie entre 20 et 30 ans quand l'adolescence se prolonge. On appelle ça l'adulescence, je crois. À cette époque, nos vies étaient pathétiques. Nous étions pathétiques, mais bon, on ne fait pas une comédie en montrant les gens sous leur meilleur jour. »

Dans Musique pour Rainer Maria Rilke monté par Martin Faucher, Macha joue pour la première fois pour un public adolescent. Elle avoue que ça l'émeut beaucoup d'imaginer dans la salle des jeunes personnes comme elle le fut elle-même, qui découvrent Rilke ou le théâtre, et dont la vie va peut-être en être transformée.

« Je me souviens de moi à cet âge-là, raconte-t-elle. Je me sentais unique au sens d'étrange, de mal adaptée. J'ai fait sciences humaines avec maths au cégep Saint-Laurent, puis je suis allée un an en socio à l'Université de Montréal, mais uniquement pour passer le temps en attendant d'être acceptée à l'École nationale de théâtre. À ce moment-là, je voulais être actrice à tout prix, j'étais persuadée qu'il n'y avait que ça dans la vie. Déjà, je savais que l'art est un guide qui fait en sorte qu'on n'est jamais seul. »

Mère adoptive

Élevée dans Côte-des-Neiges, Macha est l'aînée des deux filles de feu Abe Limonchik, un juif d'origine ukrainienne né près de la rue Saint-Urbain de Mordecai Richler, qui a grandi en anglais et qui s'est mis au français en épousant une Québécoise. Chimiste et chercheur, Abe Limonchik a fondé le Rassemblement des citoyens de Montréal (RCM) avant de devenir un des conseillers municipaux les plus appréciés de sa génération.

C'est en partie à cause de l'heureux mélange dont elle est issue, que Macha s'est tournée vers l'adoption il y plus de cinq ans et cela même si elle était tout à fait en mesure d'avoir un enfant. « Je ne ressentais aucun besoin de me reproduire. Je n'ai pas eu d'appel du ventre, raconte-t-elle. Je n'avais pas envie d'être enceinte, pas envie d'accoucher. Mais adopter, c'était autre chose. Il y avait une part d'exotisme et le sentiment que j'allais peut-être sauver une vie. Et puis, j'avais envie de perpétuer le mélange dont j'étais issue. L'adoption, ce fut un réel choix pour moi et mon seul regret, c'est de ne pas l'avoir fait plus tôt et de ne pas avoir adopté plusieurs enfants. »

Sa fille, née au Vietnam, a aujourd'hui cinq ans et demi. Macha ne regrette pas une seconde son choix, sauf pour une chose : « Mes amies actrices ont oublié de me dire que faire du théâtre et tourner des films ou des séries, ça ne marche pas du tout avec un enfant. Quand je travaille, je manque tout de la vie de ma fille : sa journée, ses repas, son bain, son dodo. Or, contrairement à bien des femmes qui sont super contentes de crisser leur camp de la maison, moi, c'est le contraire. Peut-être parce que je suis allée chercher ma fille au bout du monde, mais la quitter est toujours difficile. »

Un beau défi

Par un drôle de paradoxe, celle qui n'a jamais senti l'appel du ventre s'apprête à incarner une femme qui sort de cinq ans de clinique de fertilité, dans la version québécoise de la série américaine In treatment, réalisée par Pierre Gang pour TV5. Macha était en train de tourner la scène de l'écrasement d'avion dans l'épisode final de Tout sur moi lorsque le réalisateur lui a proposé le rôle.

« J'ai immédiatement pensé au physique de l'actrice qui l'incarne (Embeth Davidtz) et j'ai dit à Pierre : es-tu bien certain que c'est moi que tu veux ? Peut-être que tu ferais mieux de voir d'autres actrices en audition. Je sais : je suis conne d'avoir dit ça, mais c'est ce que j'ai dit. »

Avec le même Sébastien Ricard sur lequel elle fantasmait dans Tout sur moi, Macha formera un couple qui se déchire et se désintègre devant le psy. Elle décrit son personnage comme une femme mal dans sa peau, froide, méprisante, séductrice, coincée dans une relation toxique et évidemment très souffrante.

« C'est très le fun d'attaquer un personnage qu'on ne comprend pas, qui ne nous ressemble pas et de faire disparaître l'actrice pour y accéder. C'est comme une série de problèmes qu'il faut résoudre. C'est un beau défi. »

Macha tournera les épisodes d'En thérapie en mars. Elle ne sait pas ce qu'elle fera ensuite. Elle espère seulement qu'un autre auteur que Stéphane Bourguignon aura envie d'écrire pour l'actrice qu'elle est. Elle se souvient que l'année où Tout sur moi a été retiré des ondes pour finalement revenir grâce à la pression des internautes, elle a passé une année complète sans travailler. Elle n'a pas vraiment aimé le vide que ça a créé dans sa vie. Et puis, elle se rappelle que depuis sa sortie de l'École nationale, elle n'a pas vraiment manqué de rôles ni de contrats et qu'en fin de compte, rentrer à la maison et déprimer comme dans un épisode de Tout sur moi n'est plus vraiment une option.