Lorsque nous cherchons des modèles en matière d’affaires sociales ou d’aménagement urbain, notre premier réflexe est souvent de nous tourner vers des pays comme la Suède ou le Danemark. Et quand nous avons besoin de créer des échanges en matière de culture ou de promotion de la francophonie, nous pensons tout de suite à la France, parfois à la Belgique.

Et la Suisse ? Qu’en est-il de notre relation avec ce pays qui partage des défis similaires avec le Québec, notamment dans la manière de cohabiter avec les géants du numérique et d’assurer une vitalité à l’industrie cinématographique.

J’ai profité du passage à Montréal d’Alain Berset, président de la Confédération, pour approfondir ces questions. Il faut savoir qu’en plus d’assurer la présidence du Conseil fédéral, Alain Berset est également titulaire des ministères de la Culture et de la Santé, en plus d’être responsable d’une foule d’autres secteurs de son gouvernement.

L’une des raisons de sa visite à Montréal est la place d’honneur qu’occupe cette année la Suisse au Festival de films francophones Cinemania. Après la soirée d’ouverture de mercredi, Alain Berset a fait un aller-retour à Ottawa afin d’y rencontrer celui qu’il appelle simplement « Justin », de même que la gouverneure générale Mary Simon et la ministre du Patrimoine canadien, Pascale St-Onge.

« C’est tellement grand ici. Nous, ça nous effraie. Faire deux heures de voiture pour se rendre quelque part en Suisse, ce n’est pas possible », dit-il en riant.

Alain Berset est venu plusieurs fois au Canada à l’époque où il était parlementaire. Il évoque un « magnifique » séjour à Port-au-Persil. Mais étonnamment, c’est la première fois qu’un président de la Confédération suisse en exercice effectue une visite officielle chez nous. Il était temps.

Cette rencontre, où on a discuté « de relations bilatérales, de la défense du multilatéralisme et de la nécessité de promouvoir le respect du droit international », selon le message du président suisse sur X, avait aussi pour but de sceller un nouvel accord de coproduction entre la Suisse et le Canada dans le domaine de la création cinématographique.

« C’est en fait une modernisation d’un accord qui existe depuis longtemps et qui donne un cadre stable et précis pour les coproductions cinématographiques entre la Suisse et le Canada, explique le président. Cela permet aux cinéastes et aux producteurs de ne pas arriver chaque fois en terrain inconnu, de tout réinventer, de tout renégocier avec les autorités. »

La Suisse compose avec quatre langues nationales : l’allemand, le français, l’italien et le romanche. C’est dans ce contexte que la production cinématographique doit être assurée dans ce pays de 8,7 millions d’habitants. « Nous avons une longue tradition d’un soutien fédéral au cinéma, reprend Alain Berset. C’est particulier, car l’État fédéral en Suisse n’a pas comme tâche principale de s’occuper de culture. Ce sont les cantons et les villes qui sont les premiers concernés. »

À cette aide fédérale, qui est de l’ordre d’environ 32 millions d’euros, s’ajoute la contribution des cantons (30 millions d’euros), d’acteurs du secteur privé ainsi que de la télévision publique.

La nouveauté est la participation des plateformes de diffusion en continu, qui doivent maintenant verser 4 % de leurs recettes brutes dans un fonds destiné à soutenir des projets en Suisse.

Alain Berset quittera ses fonctions de président de la Confédération à la fin de l’année. L’occasion est belle de lui demander quelles sont les réalisations qui le rendent fier en matière de culture. « On a réussi avec beaucoup d’engagements à faire de la politique culturelle de la Confédération une politique de définition. […] Ça n’a pas été reçu uniquement par des applaudissements de la part des cantons qui nous disaient : “C’est nous qui faisons cela !” J’ai dit : “Je ne veux pas le faire contre vous, mais avec vous.” »

Alain Berset a annoncé son départ le 21 juin dernier, trois jours après la tenue d’un troisième référendum destiné à maintenir en place les mesures de protection prises par le gouvernement contre le coronavirus (le taux d’acceptation fut de 61,9 %).

Malgré cet exploit et sa grande popularité auprès des citoyens, Alain Berset reconnaît qu’à l’instar d’autres ministres de la Santé ou responsables de la santé publique ailleurs dans le monde, la période qui a marqué la pandémie de coronavirus a parfois été difficile pour lui.

« Ça a été très dur, dit-il. Le volume de travail, d’un jour à l’autre, est devenu extrême. La pression politique a été immense. Les conséquences des décisions que l’on prenait étaient sans commune mesure. Et puis, il y a eu une pression sécuritaire de menaces provenant de personnes qui, se sentant démunies face à cette situation, ont répondu par la violence qui me visait moi, ma famille, mes proches. Je n’en ai pas beaucoup parlé, c’est un peu tabou, je dirais… »

Au cours de cette période, Alain Berset a eu un jour des mots qui sont rapidement devenus le symbole de sa philosophie et une sorte de slogan rassembleur pour les citoyens suisses qui devaient vivre des mesures de déconfinement. Il a dit : « Aussi vite que possible, aussi lentement que nécessaire. »

« Je ne n’ai jamais pensé que cette phrase percuterait pareillement, dit Alain Berset. Je crois qu’elle a dû toucher une réalité du temps. »

Quelques jours après cette déclaration, une agence de communication a fait imprimer cette phrase sur des t-shirts qui se sont vendus comme des petits pains chauds. Les recettes de la vente ont été remises à l’organisme caritatif La chaîne du bonheur.

Avant de s’envoler pour le Canada, Alain Berset a participé au Grand soir, une émission de radio diffusée sur la Radio télévision suisse. J’y ai découvert un homme chaleureux et ouvert qui a réuni autour de lui des gens et des artistes qu’il apprécie, dont son ancien professeur de piano.

Eh oui, le président de la Suisse est aussi pianiste. D’ailleurs, quand l’animateur lui a demandé ce qu’il comptait faire après la fin de son mandat, il a dit qu’il souhaitait renouer avec la musique.

Comme quoi il y a une vie après la politique.