Luc Provost vit avec Mado Lamotte depuis 35 ans. Tous les soirs, ou presque, l’infatigable machine distributrice à bitcheries le fait monter sur scène affublé de robes affriolantes et de perruques fluo pour séduire le turbulent public des cabarets.

Mais cet automne, Luc range Mado dans un placard.

Celui qui a étudié en théâtre à l’UQAM à la fin des années 1980 monte (enfin) sur une scène pour endosser un personnage de Michel Tremblay avec lequel il avait rendez-vous depuis longtemps. Claude Lemieux, alias Hosanna, devait rencontrer Luc Provost. Cela se fera au Grand Théâtre de Québec dans Hosanna ou la Shéhérazade des pauvres qui lance la nouvelle saison du Théâtre du Trident.

Dans ce montage de la pièce et du plus récent roman de Michel Tremblay, Luc Provost incarne un Claude Lemieux vieilli et aigri qui, de son balcon, continue de lécher la plaie béante laissée le fameux soir où il a été humilié par ses amis travestis. Tout en enfilant les cigarettes et les rasades d’alcool, il raconte comment sa vie s’est arrêtée ce soir-là. À ses pieds, on voit évoluer la Hosanna qu’il a été, de même que Cuirette, la Duchesse de Langeais, l’infâme Sandra et d’autres personnages.

Je me suis entretenu avec Luc Provost alors que les répétitions, amorcées au début du mois d’août, allaient bon train. Lui qui est habitué à composer avec un seul personnage sur le principe de l’improvisation reconnaît qu’il a vécu un certain stress.

Au début, je regardais les autres comédiens et j’avais les boules. Le metteur en scène m’a beaucoup rassuré. Ça va mieux depuis quelques jours.

Luc Provost

Le public connaît le Claude Lemieux de la pièce (Jean Archambault et René-Richard Cyr l’ont marqué au fer rouge). Mais pas celui du roman. Avant d’y plonger, Luc Provost a fait un grand travail d’introspection. « Il fallait d’abord que je m’éloigne de Mado et de ses tics. Le metteur en scène me demande sans cesse d’arrêter de jouer avec mes mains. Il faut que j’amène ce Claude Lemieux à toucher le public à la fin de la pièce. »

Le monde des bars et des cabarets n’a plus de secrets pour Luc Provost. Mais il reconnaît que celui que Tremblay décrit dans la pièce ne ressemble pas à celui d’aujourd’hui. « C’est moins bitch que dans les années 1970, il y a plus d’entraide. »

De même, l’univers des drag-queens tel qu’il est depuis quelques années n’a rien à voir avec celui que Claude Lemieux a connu autrefois. « Il le dit clairement, il est un travesti, ajoute Luc Provost. D’ailleurs, il n’aime pas les drag-queens d’aujourd’hui. »

Aussi étonnant que cela puisse paraître, Luc Provost n’a pas eu la chance d’être repéré par un metteur en scène à sa sortie de l’UQAM. « J’étais trop petit pour jouer Roméo, trop drôle pour jouer du dramatique et trop jeune pour jouer un adulte. » Face à cette impasse, il a décidé de miser sur le personnage de Mado Lamotte qu’il avait créé de toutes pièces lors de ses études. « Au bout de dix ans, j’ai réalisé toute la place qu’elle prenait. J’ai accepté ça. »

Mais il est encore plus étonnant que Luc Provost n’ait jamais été invité à entrer dans l’univers de Tremblay, un monde fait pour lui. Quand Demain matin, Montréal m’attend et Sainte-Carmen de la Main ont été présentés à Montréal il y a quelques années, personne n’a pensé à lui offrir un rôle.

Le coup de téléphone tant espéré est finalement venu… de Québec. « J’avoue que celle-là, je ne la comprends pas, dit-il. Olivier Arteau, le directeur du Trident, a tout de suite pensé à moi pour ce personnage. Il en a parlé à Maxime Robin, le metteur en scène. Ils se sont dit qu’avec mon vécu, ça ne pouvait pas nuire. C’est sûr que si je m’en tire bien, il va peut-être y avoir des gens à Montréal qui vont penser à moi maintenant. »

Contrairement aux jeunes drag-queens de Montréal comme Jean-François Guèvremont (Rita Baga), Simon Gosselin (Gisèle Lullaby) ou Sébastien Potvin (Barbada), Luc Provost a toujours refusé de se montrer à la télévision sans les costumes et les maquillages de Mado Lamotte. Avec le recul, il croit que cela a peut-être empêché sa carrière d’emprunter différentes avenues. « Peut-être que les metteurs en scène se seraient dit qu’il y a un gars qui existe à l’extérieur de Mado. »

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Mado Lamotte

Le passage de Luc Provost dépouillé de Mado Lamotte à l’émission La vraie nature, en mai 2022, a été un tournant. « J’ai vraiment senti une différence dans les mois qui ont suivi, confie-t-il. D’ailleurs, l’offre du Trident est venue peu de temps après ça. »

Il est intéressant de voir que Luc Provost personnifiera un être déchu et brisé alors qu’il s’apprête à connaître un formidable élan dans sa carrière. « Je trouve ça touchant, car ce qui arrive à Claude Lemieux aurait pu m’arriver. Ce personnage me fait vivre quelque chose qui va m’empêcher de dire que j’ai raté ma carrière et que je n’ai pas pu faire tout ce que je voulais faire. »

Montréal cesse d’exister jusqu’au 7 octobre pour Luc Provost. Puis, sitôt la série de représentations terminée, il lancera une autobiographie intitulée Une Madographie. Dans cet ouvrage, il raconte son riche parcours alors que l’incontournable Mado vient mettre son grain de sel. « C’est sûr que je vais savourer pleinement cet automne. Il est important dans ma vie. Et en plus, il va faire du bien à ma peau. »

Hosanna ou la Shéhérazade des pauvres, une production du Théâtre du Trident, mise en scène de Maxime Robin, du 12 septembre au 7 octobre, à la salle Octave-Crémazie.

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