« Gros scoop à matin », raillerait assurément le sarcastique collègue Yves Boisvert, entre deux lectures de jugements palpitants de la Cour suprême du Canada.

Ouais, bon, on ne tuera pas la une avec cette révélation tout sauf choc. Cela fait quand même plusieurs années – ou décennies ? – que je tartine et beurre des chroniques avec les dualités de Louise Sigouin, les top 1-2-3 d’Occupation trouble en Martinique ou les portes ouvertes-fermées de L’île de l’amour.

J’adore la téléréalité et j’en parle avec la passion du Chris Tie Dye, c’est bien connu. Ce qui est moins connu, c’est tout ce que je n’écris pas dans cette chronique, par pudeur ou par honte, selon mon alcoolémie. Parce que oui, ma consommation de téléréalité a dérapé solide. Je pensais en avoir le plein contrôle, comme toute personne dépendante, mais je l’ai échappé depuis plusieurs lunes déjà.

La descente aux enfers a débuté avec The Real Housewives of Beverly Hills sur Slice TV, probablement la drogue téléréelle la plus accessible sur le marché. De façon instantanée, pouf !, j’ai été aspiré dans cet univers de bling-bling formaté où les héroïnes, des stars de série C sur l’Ozempic, ingurgitent des litres de « skinny margaritas » en se traitant de bitch et en potinant constamment dans le dos des absentes.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE SLICE TV

Les vedettes de The Real Housewives of Orange County

J’ai tout aimé tout de suite : la vulgarité dans l’étalage de la richesse, les faux drames qui couvent, les McManoirs décorés avec mauvais goût, le toc des intrigues, le montage extrêmement habile, ces émissions joliment emballées se dévorent en une bouchée.

Après un tel high, on recherche le prochain fix et on découvre, alléluia !, que la franchise des Real Housewives se décline dans une dizaine de villes américaines. J’ai plongé tête première dans New York (moyen), Potomac (excellent), Orange County (bof !) et Miami (ma série préférée cette année). Je n’ai pas embarqué dans New Jersey, Atlanta et Salt Lake City, heureusement, parce que je n’aurais pas dormi depuis 2007. Et je ne suis pas Gregory Charles.

Il existe aussi des séries spéciales, les « voyages ultimes de filles », où des épouses de différentes villes des Real Housewives partent en voyage ensemble, en Thaïlande ou au Maroc, où elles se garrochent des verres de chardonnay au visage en s’aspergeant d’insultes. J’ai vu tout ça. J’ai aimé tout ça.

Rendu là dans ma spirale infernale de l’abus, mes rêves commençaient tous par « précédemment dans » et se terminaient systématiquement par « plus tard, cette saison ». Je ne parlais qu’en clips punchés, la seule forme d’expression valable dans une téléréalité. Que des phrases courtes, souvent hurlées, avec un espresso martini dans la main droite et un iPhone Pro Max dans la gauche. C’est la clé pour arracher aux producteurs le plus de temps d’antenne possible.

Accoutumé au crêpage de rallonges peroxydées, toujours posées par un coiffeur qui espère devenir une vedette, il me fallait du stock plus puissant. La famille Kadarshian, qui loge maintenant sur Disney+, m’a enseigné à parler plus len-te-ment et à toujours secouer le contenant de ma salade Mandy’s avant de l’engouffrer. Merci Kim, Kourtney et Khloé, pour ces précieux « konseils ».

Le point de non-retour a été franchi quand j’ai été exposé aux téléréalités Summer House et Winter House, toujours sur Slice TV, le paradis des émissions vide-cerveau.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE BRAVO

Summer House

L’été, la caméra suit un groupe d’amis trentenaires qui louent un château dans les Hamptons. L’hiver, ils s’installent dans un chalet de parvenus de type Mont-Tremblant, mais à Stowe, dans le Vermont.

Nos amis de Summer House et Winter House organisent des fêtes costumées, s’enivrent avec des canettes de cocktails prêts à boire, provoquent des tornades dans les bars, flirtent entre eux et passent énormément de temps, en lendemain de veille, sous la couette de leurs lits. Bref, c’est du génie.

À un point aussi bas, j’ai essayé un paquet de trucs sur Netflix, sans jamais retrouver le buzz de mes premières fois. En vrac, Bling Empire, c’est vraiment ordinaire, tout comme Dubai Bling-Bling, gros bof, n’essayez pas ça à la maison. J’ai décroché depuis longtemps de Love Is Blind, Too Hot to Handle et The Circle, qui finissent par tourner en rond. En immobilier, rien n’accote Selling Sunset, ne perdez pas de temps avec Selling Tampa ou Selling the OC, le poison original reste le meilleur.

Comme un homard, je m’alimente dans les bas-fonds de la téléréalité. Et comme un homard, j’attends la rédemption et la reconnaissance.

Car avant d’être vendu à des prix de fou dans les restaurants et épiceries, le homard a longtemps été considéré comme de la nourriture de pauvre. On ne le servait qu’aux prisonniers, aux serviteurs et aux veuves.

Au XVIIe siècle, les colons européens installés sur la côte est américaine n’en mangeaient qu’en cas de famine. À cette époque, le homard, que l’on surnommait le cafard des mers, se décomposait sur les plages en dégageant une odeur pestilentielle qui écœurait à des kilomètres à la ronde.

Ce n’est qu’à l’arrivée du chemin de fer que le homard a été transporté dans les capitales gastronomiques et qu’il a été élevé au rang de mets de luxe. La téléréalité est le homard des années 2000. Longtemps snobée, elle attend son moment de gloire en sirotant une vodka-soda, tout en retouchant son maquillage pour la caméra.