Nous avons demandé à la commissaire Ji-Yoon Han de nous proposer un parcours d’introduction à la Biennale. Elle a choisi le pôle de Gaspé, dans le Mile End, qui réunit huit expos, soit le tiers de la programmation.

Centre Clark

Conçue pour le pavillon estonien de la Biennale de Venise, cette projection de Kristina Norman est en fait une trilogie dansée, qui explore le passé colonial de l’ex-république soviétique. « C’était un de mes coups de cœur à Venise », nous dit la commissaire. Parallèlement à l’histoire coloniale de l’Estonie, il y a celle de l’Indonésie, colonisée par les Pays-Bas. « Kristina s’intéresse à une botaniste estonienne, Emilie Rosalie Saal, qui, au tournant du XXsiècle, a suivi son mari dans les Indes néerlandaises. Ici, le colonisé devient colonisateur. On y découvre toute la tension entre les deux. Les relations de désir, de jalousie, de mimétisme sont traduites dans un langage chorégraphique très fort. »

PHOTO JESSE TAMAYO, FOURNIE PAR LA BIENNALE

Chris Curreri, Self Portrait with Luis Jacob, 2022. Vue d’installation de That, There, It, Contemporary Calgary.

Galerie Occurrence

L’expo de Chris Curreri, Des jeux qui se jouent à deux, est un autre exemple frappant de métamorphose. L’artiste torontois a créé une installation à partir d’une photographie du cinéaste canadien Rodney Werden, en substituant les deux personnages de la photo (prise en 1973) par son compagnon Luis Jacob et lui-même. La scène est reproduite dans le fin détail en trois dimensions, avec des mannequins en silicone, et le portrait de Warden est transformé en… autoportrait. « On y explore toute la relation de filiation entre des artistes, puisque dans la photo originale, ce sont aussi des artistes qui sont représentés », nous dit Ji-Yoon Han.

IMAGE TIRÉE DE L’INSTALLATION VIDÉO, FOURNIE PAR LA BIENNALE

Maya Watanabe, Liminal, 2019

Toujours chez Occurrence, dans une vidéo d’une heure baptisée Liminal, l’artiste péruvienne Maya Watanabe filme la terre de son pays, qui a vécu des traumatismes politiques, dont les massacres perpétrés par le mouvement terroriste maoïste Sentier lumineux en 1984 à Ayacucho et Huánuco. « La caméra filme au ras du sol ce qui est en fait un charnier, nous explique Ji-Yoon Han. Maya s’est intéressée à la limite entre l’humain et la poussière, une autre forme de métamorphose. C’est une façon de redonner une identité à ces restes humains pour que les familles puissent faire le deuil de leurs proches disparus. Et pour respecter ce moment-là, elle nous mène dans une exploration envoûtante de la surface de la Terre. »

PHOTO THE SCHUBIDU QUARTET, FOURNIE PAR LA BIENNALE

Bianca Baldi, Play-White, 2019

Diagonale

L’expo Sepia, de l’artiste sud-africaine Bianca Baldi, est basée sur sa vidéo Play-White, qui désigne les personnes métissées ou noires qui se font passer pour des Blancs. « On appelle ça le passing, mais ça peut désigner les personnes qui prétendent faire partie d’une autre classe sociale, par exemple, nous dit Ji-Yoon Han. Pour parler de cette attitude, elle a filmé une seiche, qui sait changer de couleur de peau pour se fondre dans son environnement, pendant qu’on entend, grâce à une voix hors champ, des extraits du roman Passing de l’écrivain Nella Larsen, ainsi que des chansons de Whitney Houston. Il y a vraiment plusieurs couches à cette vidéo. »

IMAGE TIRÉE DE LA VIDÉO, FOURNIE PAR LA BIENNALE

Carey Young, The Vision Machine, 2020

Dazibao

Ji-Yoon Han a voulu faire du centre d’arts Dazibao la « boîte noire » de la Biennale. D’abord en présentant le travail de l’artiste britannique Carey Young, qui présente une vidéo baptisée The Vision Machine, tournée dans les usines japonaises de SIGMA, fabricant des lentilles d’appareils photo. « Elle s’intéresse à la culture de la lentille et de l’appareil photo, mais s’est arrangée pour que tous les plans montrent des femmes au travail. Sans dire un mot, elle nous mène à contre-courant de la manière dont cette culture, dominée par les hommes, a été construite. »

PHOTO GUILLAUME SAUR, FOURNIE PAR LA BIENNALE

Anette Rose, Pattern in Motion, 2017

Également chez Dazibao, l’artiste allemande Anette Rose présente une installation vidéo à plusieurs écrans intitulée L’écheveau des regards. « C’est une expo qui découle d’un projet plus vaste d’encyclopédie des manœuvres, une façon d’établir un inventaire de la production de brosses, de tissus, de vases, etc. qui impliquent à la fois une intervention humaine et mécanique, précise Ji-Yoon Han. Comment les machines sont appelées à travailler comme des humains et les humains comme des machines… » Le tissage est au cœur de cette expo-ci, puisqu’Anette Rose a filmé des oiseaux qui tissent leurs nids au Jardin zoologique de Berlin. « Il y a un écho qui se crée entre le métier de tissage humain et animal. »

PHOTO MICHELLE MUNKI, BRAVE ART MEDIA

Lindsay Katsitsakatste Delaronde, Embodied Earth, 2018, impression numérique, dimensions variables.

Optica

L’artiste autochtone originaire de Kahnawake Lindsay Katsitsakatste Delaronde, qui vit en Colombie-Britannique, a réalisé une vidéo, Gemini : Technikhen (jumeaux-elles), qui fait référence à l’origine du monde et à la naissance de jumeaux dissemblables. « Elle s’intéresse à la figure du double, nous dit Ji-Yoon Han, donc c’est sûr qu’avec le thème de la mascarade, ça marche bien. Mais ce qui m’a le plus interpellée, c’est qu’elle ne s’intéresse pas tant à la question du sosie ou de la copie que du double différentiel, par exemple, entre la cosmologie occidentale et la cosmologie traditionnelle de sa culture kanien’keha:ka. Elle cherche donc à créer des ponts entre différents modes de pensée. »

IMAGE ANIMÉE EN 3D, FOURNIE PAR LA BIENNALE

Bianca Shonee Arroyo-Kreimes, The Pond, 2022

Bianca Shonee Arroyo-Kreimes est la plus jeune artiste de la Biennale. Son installation immersive Mirages sur l’étang, également présentée chez Optica, est composée d’écrans vidéo et d’éléments de réalité augmentée et holographique. « Elle reconstitue une forme d’écosystème numérique dans lequel les animaux sont prisonniers, nous dit Ji-Yoon Han. C’est une façon de présenter les arts numériques comme refuge face à l’extinction de la biodiversité, mais qui est forcément aussi une prison pour les créatures qui s’y trouvent… »

Consultez le site de Momenta, Biennale de l’image