Conditions de travail précaires, financement public insuffisant, désengagement des municipalités : les quelque 70 centres d’artistes autogérés du Québec sont sur la corde raide, particulièrement en région, où leur présence est souvent la seule occasion pour le public d’avoir accès à la culture. Depuis 2019, au moins trois d’entre eux ont dû fermer leurs portes.

Après avoir sonné l’alarme au mois de janvier dernier à propos des conditions salariales de ses employés, le Regroupement des centres d’artistes autogérés du Québec (RCAAQ) s’inquiète du financement de l’ensemble de ses centres.

Les centres Praxis Art actuel de Sainte-Thérèse, Action Art actuel de Saint-Jean-sur-Richelieu et le dernier en date, Atoll, de Victoriaville, ont tous fermé leurs portes, tandis que des projets de fusion se discutent en région autant qu’à Montréal, où des fermetures sont aussi imminentes.

Depuis 2017, le budget annuel du centre d’artistes autogéré Panache Art actuel, à Sept-Îles, est de 50 000 $, une somme d’argent « gelée » en 2020, ce qui a entraîné le départ de la directrice générale l’an dernier.

« La situation était tellement précaire qu’on s’apprêtait à fermer, nous dit Julie Godin, directrice générale et artistique de Panache depuis le mois d’octobre dernier. Heureusement, on a reçu une aide d’urgence de 64 000 $ du CALQ l’an dernier, mais la situation est fragile. On va avoir une réponse du CALQ en juin pour notre demande de soutien à la mission. »

Avec ce maigre budget, Panache Art actuel organise de six à huit expositions – gratuites – par année, et doit donc payer un cachet aux artistes, en plus d’offrir des résidences d’artistes en recherche et création.

Pour nous, c’est vraiment important, parce qu’on est le seul centre d’artistes autogéré de la Côte-Nord ! On couvre tout le territoire de Tadoussac à Blanc-Sablon, donc si on disparaît, il n’y a plus d’offre culturelle dans la région. Et si on ne reçoit pas les sommes demandées, c’est sûr que ça met en péril l’avenir du centre d’artistes.

Julie Godin, directrice générale et artistique du centre d’artistes Panache

« On est inquiet du développement des centres en région, mais partout au Québec, nous dit la directrice générale des RCAAQ, Catherine Bodmer. Il y a un sous-financement dans notre secteur, et on se trouve clairement dans un angle mort des gouvernements. »

Dans son dernier budget, le gouvernement québécois a accordé au Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) une enveloppe de 28 millions sur quatre ans, mais il s’agit d’une somme que devront se partager tous les secteurs : théâtre, danse, cirque, musique, littérature et arts visuels, ce qui ne donne pas beaucoup d’espoir au RCAAQ.

PHOTO FOURNIE PAR LE RCAAQ

La directrice générale du Regroupement des centres d’artistes autogérés du Québec (RCAAQ), Catherine Bodmer

« C’est nettement insuffisant, nous dit Catherine Bodmer. Il faut savoir que la moitié des centres d’artistes ont un budget de moins de 250 000 $. C’est peu quand on considère qu’il faut payer le salaire d’une ou deux personnes pour gérer le centre, mais aussi le loyer et les frais du lieu, et bien sûr les honoraires que l’on verse aux artistes. »

Dans les faits, plusieurs centres d’artistes attendent la décision du CALQ (prévue en juin) pour savoir s’ils obtiendront un financement à la mission.

Moins de 100 000 $ annuellement

Parmi ces 35 centres d’artistes qui fonctionnent avec un budget de moins de 250 000 $ par année, 11 ont un budget de moins de 100 000 $ annuellement. C’est le cas du centre d’artistes Vrille Art actuel dans la région de La Pocatière, qui, comme Panache, tire le diable par la queue.

« Pour le moment, on ne reçoit pas d’aide récurrente du CALQ, donc la situation financière est assez précaire parce qu’on reçoit un financement par projet uniquement, indique Amélie Brindamour, artiste visuelle et directrice générale par intérim de Vrille. La Ville de La Pocatière finance environ 20 % de notre budget, précise-t-elle, ce qui nous aide beaucoup, d'autant plus qu'on n’a pas d’espace d’exposition. »

Vrille Art actuel expose en effet dans des lieux non consacrés à l’art, donc dans des cours, des campings, des jardins communautaires, etc.

PHOTO RIXT DE BOER, FOURNIE PAR VRILLE

Depuis demain, installation de Nicolas Laverdière présentée en 2023 au terrain de balle au mur du collège Sainte-Anne-de-la-Pocatière.

« Notre mandat est d’organiser des résidences en recherche et création qu’on produit ensuite dans des espaces publics, précise Amélie Brindamour. On en fait de deux à quatre par année. Par exemple, l’été dernier, Nicolas Laverdière a exposé des œuvres d’art dans un ancien terrain de balle au mur de La Pocatière. »

Amélie Brindamour et sa chargée de projets combinent leurs pratiques artistiques à leur travail administratif avec Vrille.

Ça nous permet d’avoir deux salaires parce que les conditions de travail sont trop difficiles. Heureusement, les sept membres du conseil d’administration, parmi lesquels se trouvent les fondateurs du centre d’artistes, sont très engagés dans les activités du centre, mais la situation financière est précaire et sans ces personnes clés, ce serait catastrophique.

Amélie Brindamour, artiste visuelle et directrice générale par intérim au centre Vrille

Même son de cloche à Val-David, où la municipalité a réduit son financement de 30 % à l’Atelier de l’île, un centre d’artistes qui fonctionne, lui aussi, avec un budget de moins de 100 000 $ annuellement (incluant les subventions et les revenus autonomes).

Dans une étude réalisée en 2023 par le RCAAQ, le manque à gagner est évalué à 16 millions sur quatre ans. On y apprend également que le salaire horaire des directeurs de centres d’artistes commence à 18 $ de l’heure, tandis que le salaire médian est de 25 $ de l’heure. « C’est peu par rapport aux compétences qu’on exige, estime Catherine Bodmer. À ce taux horaire là, on a de la difficulté à trouver des gens et à les retenir. »

« Il faut comprendre les rôles des centres d’artistes dans notre société, poursuit Catherine Bodmer. Ce sont souvent des lieux de première ligne pour les artistes visuels. Ce sont aussi des incubateurs où ils font leurs apprentissages, donc ce sont des espaces importants pour eux, mais aussi pour le public, qui peut y accéder gratuitement. »

Lisez l’étude du RCAAQ