Le Musée d’art de Joliette (MAJ) célèbre le centenaire de naissance de Jean Paul Riopelle avec Un lieu de mémoire : Contextes d’existence, une exposition de peintures, bronzes et collages du grand maître québécois accompagnés d’œuvres de cinq artistes étrangers. Un déploiement original et inédit qui aborde la dimension du déracinement chez les artistes visuels.

Le musée lanaudois dirigé par Jean-François Bélisle a eu la bonne idée d’amorcer 2023 avec des expositions sur le thème du contexte de création des artistes. En parallèle à la magnifique expo de l’historien Laurier Lacroix sur les ateliers d’artistes au Québec1, aux spectaculaires sculptures de Moe Piuze découlant d’une idéation de l’atelier, en passant par les œuvres de sublimation d’Irene F. Whittome, le travail sur Riopelle de la commissaire Irene Campolmi – établie à Copenhague – offre une perspective extérieure fort intéressante, cette chercheuse d’origine toscane n’étant pas une spécialiste de Riopelle.

PHOTO PAUL LITHERLAND, FOURNIE PAR LE MAJ

Deux œuvres de Riopelle. À gauche, panneaux pour Le paravent, 1969, lithographie sur soie, 161,3 x 301,5 cm, et, à droite, Été indien, 1969, lithographie, 149,2 x 114,7 cm.

Le thème du contexte de vie met l’accent sur la personnalité particulière de Riopelle. Un artiste québécois, mais aussi un homme s’étant imprégné de bien des attributs de la culture française après avoir résidé longtemps dans la mère patrie. Et ce, tout en demeurant, de loin, inspiré par ses racines et le patrimoine naturel canadien. Forte de sa propre expérience de migration, Irene Campolmi met en relation des œuvres de Riopelle avec celles de Jane Jin Kaisen, Linda Lamignan, Dala Nasser, Silvia Rosi et Samara Sallam, cinq artistes contemporaines qui vivent les impacts de la mobilité.

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Été indien, 1969, Jean Paul Riopelle, lithographie, 149,2 x 114,7 cm

Les œuvres de Riopelle sont notamment des collages, ce qui… colle bien avec l’idée des identités multiples. Ainsi, beau dialogue entre ses lithographies et l’œuvre Red in Tooth [Crocs ensanglantés], de la Libanaise Dala Nasser. Une installation textile et vidéographique. Les deux tissus posés au sol ont du vécu. Saturés de cendres, poussières et traces d’humidité, ils ont été enfouis plusieurs mois par l’artiste. Pour témoigner des conditions environnementales, historiques et politiques d’un territoire du Liban du Sud constamment ravagé par des conflits reliés aux questions d’identité et de territoire. La vidéo suit le trajet d’une rivière qui coule du Liban du Sud jusqu’en Palestine. Un cours d’eau stratégique au cœur de tensions entre le Liban et Israël et qui porte les traces, dans la vidéo, de ce conflit quasi permanent.

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Red in Tooth, de Dala Nasser

On enchaîne avec une création de Samara Sallam, artiste palestinienne née à Damas, en Syrie, et qui vit à Copenhague. Son œuvre est arrivée à Joliette dans les bagages d’Irene Campolmi. Samara Sallam lui avait dit : « Mon travail peut voyager, mais pas moi, car je suis apatride et ne peux sortir du Danemark. » Cette œuvre, Floating Burial [Sépulture flottante], qu’elle transporte sur elle, exprime le fait que l’artiste est « sans terre » donc sans droit de funérailles « chez elle ». Elle prévoit donc, « à son dernier moment », de s’immerger avec sa sépulture en bois et en cuir. Un travail sur la privation de la dignité du dernier repos.

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Floating Burial, 2019, Samara Sallam, bois et cuir, 62 x 170 cm

Dans la salle suivante, Irene Campolmi présente des photographies de l’artiste italienne Silvia Rosi, née de parents togolais et qui vit entre Londres et Modène. Ses photos évoquent les tissus d’inspiration africaine qu’une société textile néerlandaise crée depuis 1846. Des œuvres dans lesquelles l’artiste se met en scène. Nous ne pouvons malheureusement en reproduire à cause d’une question de droits d’auteur.

Artiste non binaire, Linda Lamignan est née en Norvège d’une famille originaire du Nigeria et elle vit au Danemark ! D’elle, la commissaire a retenu un autre récit de migration, Les personnes qui ne voyagent pas n’arrivent jamais à destination : je ne suis pas venue seule. Une vidéo de 11 min diffusée dans une salle où elle a éparpillé des petites lampes en forme de calebasse, une sorte de courge qui a, elle aussi, une histoire de migration avec ses graines qui ont traversé les mers pour changer de continent.

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Installation de Linda Lamignan

Jane Jin Kaisen, artiste coréenne naviguant entre le Danemark et Berlin, a représenté la Corée à la Biennale de Venise en 2019, avec Community of Parting [Communauté de la séparation]. Il s’agit d’une vidéo de 75 min. Une histoire de chamanisme et de mythologie coréenne couplée à l’histoire personnelle de l’artiste sur sa migration forcée. À cause du fait que la Corée avait adopté une politique de l’enfant unique par famille, elle a été adoptée par une famille danoise à l’âge de 3 mois. L’œuvre découle de son premier retour en Corée quand elle a eu 21 ans et qu’elle a finalement découvert son pays natal et ses traditions.

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Vue de la vidéo Community of Parting, de Jane Jin Kaisen

L’exposition explore ainsi le thème du voyage, du dépaysement et du déracinement avec une belle délicatesse. On réalise que les expériences de vie nous transforment, nous nourrissent, nous construisent sous un nouveau jour. Comme Riopelle l’a expérimenté en Europe où il fut le premier artiste canadien à tisser des liens forts avec le milieu artistique local. Cette exposition d’Irene Campolmi sera présentée à l’été au Musée d’art contemporain de Baie-Saint-Paul.

Un lieu de mémoire : Contextes d’existence, au Musée d’art de Joliette, jusqu’au 14 mai.

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