Il était dessinateur, illustrateur, peintre, mais surtout véritable génie de la gravure. Cofondateur de l’Atelier circulaire, Louis-Pierre Bougie a quitté ce monde dimanche, sur la pointe des pieds, des suites d’une pneumonie. Solitaire, cet ascète de l’estampe aura marqué le monde de la gravure. Les hommages ont fusé toute la journée, mercredi.

« Je ne m’attendais pas à ce que la nouvelle s’ébruite aussi vite », a dit mercredi à La Presse Geneviève Bougie, nièce de Louis-Pierre Bougie.

> Relisez « Louis-Pierre Bougie, le génie de la taille-douce, n’est plus »

Homme discret, solitaire et voué à son œuvre, le maître graveur était admiré pour ses estampes qui émerveillent au premier regard. Le commissaire Claude Morissette, qui a organisé plusieurs expositions de Louis-Pierre Bougie — dont la dernière, à la maison de la culture Claude-Léveillé, en octobre-novembre 2019 — est bouleversé.

« Je lui avais parlé au début de cette année, tout allait bien, même si on savait qu’il était malade, dit-il. J’ai été très surpris par la nouvelle. C’est triste, c’était un grand artiste et un grand créateur de livres d’artiste. »

  • Forger l’effroi, un des livres d’artiste dans lesquels Louis-Pierre Bougie s’est investi

    PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

    Forger l’effroi, un des livres d’artiste dans lesquels Louis-Pierre Bougie s’est investi

  • Suite rouge, 1996, Louis-Pierre Bougie, pierre noire, acrylique et gesso sur papier (passage sous presse), 106 cm sur 296 cm

    PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

    Suite rouge, 1996, Louis-Pierre Bougie, pierre noire, acrylique et gesso sur papier (passage sous presse), 106 cm sur 296 cm

  • Louis-Pierre Bougie en 2013

    PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

    Louis-Pierre Bougie en 2013

  • L’ange rouge, œuvre de Louis-Pierre Bougie

    PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

    L’ange rouge, œuvre de Louis-Pierre Bougie

  • Louis-Pierre Bougie dans son atelier

    PHOTO GABOR SZILASI, FOURNIE PAR GENEVIÈVE BOUGIE

    Louis-Pierre Bougie dans son atelier

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Talent, abnégation, humanité, ces qualités de Louis-Pierre Bougie avaient été mises à profit pour la fondation de l’Atelier circulaire, en 1983, à Montréal. Un centre d’artistes en arts imprimés devenu une plaque tournante de la gravure. Une création qui découlait en partie des voyages que Louis-Pierre Bougie avait effectués en Europe, chez Lacourière-Frélaut, l’atelier parisien de gravure aujourd’hui presque centenaire, et d’autres ateliers. Pour apprendre la maîtrise de la lithographie, de la taille-douce et de l’eau-forte.

Il y avait rencontré l’imprimeur François-Xavier Marange, qui avait travaillé avec de grands artistes tels que Johnny Friedlaender, Wifredo Lam, Miró, Tàpies ou Zao Wou-Ki et qui finira par s’installer au Québec en 1982 pour, dans un premier temps, superviser la construction des grandes presses de l’Atelier circulaire.

Cette époque, c’est le début de la post-modernité. Louis-Pierre est un pionnier de la post-figuration post-moderne, un nouveau langage esthétique, un courant beaucoup plus humaniste.

Le commissaire Claude Morissette

Louis-Pierre Bougie n’hésitait pas à s’engager, à soutenir des actions, comme il l’a fait jusqu’à sa mort avec l’organisme Les Impatients. Déjà, en 1995, il était allé manifester devant le Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) avec une centaine d’artistes, dont Charles Daudelin, Edmund Alleyn et René Derouin. Les artistes estimaient que le MBAM remplissait mal son rôle de musée des beaux-arts et protestaient contre une exposition de voitures, Beauté mobile : un siècle de chefs-d’œuvre automobiles, initiée alors par le directeur Pierre Théberge.

« Ils avaient appelé le Musée des beaux-arts de Montréal, le ‟musée des beaux chars”, se souvient Bernard Lévy, ex-directeur du magazine Vie des arts. Louis-Pierre soutenait tout le temps la gravure et les graveurs, notamment quand la gravure battait de l’aile. Son engagement était de défendre la veuve et l’orphelin tout en faisant la promotion de la gravure, d’une gravure rigoureuse, car avant l’Atelier circulaire, la gravure était l’enfant pauvre des arts visuels. »

PHOTO GABOR SZILASI, FOURNIE PAR GENEVIÈVE BOUGIE

Louis-Pierre Bougie croqué par le photographe montréalais Gabor Szilasi

Louis-Pierre Bougie était aussi très proche de ses collaborateurs. L’imprimeuse Paule Mainguy a travaillé pendant près de 20 ans avec lui à l’Atelier circulaire. Exigeant, il appréciait son travail.

C’est un choc pour moi, car je ne l’avais pas vu depuis mars. Il était surprenant et atypique, un véritable artiste, libre, sans concessions, vivant simplement pour continuer à faire son travail d’artiste.

L’imprimeuse Paule Mainguy

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

Les sculptures en fer forgé de Louis-Pierre Bougie exposées en 2017 et en 2019

En 2017, Louis-Pierre Bougie était sorti de sa zone de confort. Il avait exposé des sculptures en acier à la galerie Éric Devlin. Des sculptures représentant des têtes juchées sur des échafaudages, qui évoquaient les mises en scène de masques africains dans les musées d’anthropologie.

« C’est une grosse perte pour l’art québécois, dit Éric Devlin, qui a soutenu l’œuvre de Louis-Pierre Bougie pendant des années. Il a consacré sa vie artistique au corps humain. Il était très sportif. Il courait, faisait du vélo, aimait le tennis, la boxe et adorait le corps humain à cause de sa propre vie. »

L’artiste François Vincent connaissait Louis-Pierre Bougie depuis sa jeunesse.

On a perdu quelqu’un qui avait une personnalité hors du commun.

L’artiste François Vincent

« On le voit dans le très beau documentaire de Bruno Baillargeon [L’œuvre des jours]. Il était vrai, original, ordonné, rigoureux. J’étais très admiratif de son travail et de sa constance », continue M. Vincent.

> Visionnez le film L’œuvre des jours (à la location)

Le philosophe Georges Leroux était « dévasté » mercredi. « Je le connaissais depuis les années 70, dit-il. C’était un ami très proche. Je suis catastrophé, car dans le domaine de la gravure et de la taille-douce, il était le plus grand. L’égal d’Albert Dumouchel. Il a été reconnu ici et à l’étranger. C’était un homme admirable et un véritable génie. »

PHOTO GABOR SZILASI, FOURNIE PAR GENEVIÈVE BOUGIE

Louis-Pierre Bougie dans son atelier

Avec Michaël La Chance, Georges Leroux avait rendu hommage à leur ami commun dans le catalogue de l’exposition présentée au centre d’art 1700 La Poste, en 2013.

Louis-Pierre était un ascète, il n’avait aucun désir de biens matériels. Il vivait, concentré, dans la solitude, dans son art pour nous représenter. C’était un artiste de l’existence.

Georges Leroux

« Il vivait dans son monde, un monde poétique, ajoute Isabelle de Mévius, directrice et fondatrice du 1700 La Poste. Il travaillait tous les jours. On sentait une paix intérieure en lui. Il était en accord avec lui-même. Son départ est très triste. »

Louis-Pierre Bougie aura réalisé une dizaine de livres d’artiste, notamment Le prince sans rire, en 1983, qui comprenait 12 eaux fortes et un poème de Michael La Chance, également grand ami de Louis-Pierre Bougie.

« Il appartenait à un milieu d’artistes exceptionnels à travers le monde, grâce à la gravure, dit Michaël La Chance. Par l’exemple, il nous a enrichis, nous a aidés à comprendre l’existence qui est la nôtre et à être au monde. Il adorait montrer son travail pour nous éduquer au regard, dans le silence. »

Mardi, une amie de François Vincent et Paule Mainguy est venue à leur porte et leur a montré la carte de vœux que Louis-Pierre Bougie lui avait envoyée récemment. « On a reconnu tout de suite le graveur, la force du trait, dit François Vincent. Il y avait quelque chose d’incarné, c’est vrai, une véritable authenticité. Il faudra qu’on lui rende un hommage à la hauteur de l’homme et de l’artiste exceptionnel qu’il était. »

Quelques liens de critiques de ses expositions

> (Re)lisez « Louis-Pierre Bougie : l’expression palpitante de la vie »

> (Re)lisez « Incontournable Louis-Pierre Bougie »

> (Re)lisez « Louis-Pierre Bougie : le graveur de la gravité »