Artiste majeur de la gravure québécoise, Louis-Pierre Bougie fait l'objet de deux expositions simultanées. Ses 11 livres d'artiste sont exposés au Centre d'archives de Montréal, tandis que ses eaux-fortes et ses dessins étrennent le nouveau centre d'art de Griffintown, le 1700 La Poste.

Impossible d'évoquer la dernière exposition de Louis-Pierre Bougie, Un trait... une oeuvre, sans dire un mot sur le 1700 La Poste, ce nouveau temple des arts plastiques aménagé grâce à la passion de la mécène Isabelle de Mévius et au talent de feu l'architecte Luc Laporte. L'intérieur du bâtiment, construit il y a juste 100 ans sur les plans de David Jerome Spence, a été transformé avec goût. Avec de grandes fenêtres et un éclairage approprié, les lieux honorent désormais de belle façon les oeuvres d'art en résidence.

C'est le cas de celles de Louis-Pierre Bougie. Isabelle de Mévius les collectionne, passionnée par ses livres d'artiste somptueux et ses gravures délicates que Le monde diplomatique reproduit parfois pour illustrer des articles.

Au rez-de-chaussée du 1700 La Poste, passé la porte d'entrée massive, on découvre ses oeuvres réalisées à la pierre noire, notamment Le sanguinaire, technique mixte sur papier marouflé de 2010 aux personnages volontaires, coudes à 90 degrés, comme pour une marche militaire. Et puis Les opposés (2011), sur les dialogues de sourds, ou sa Suite bleue de 1996, grande oeuvre symphonique de corps et de formes souples et enveloppantes que Bougie a mis en suspension. Pas étonnant que son peintre fétiche soit Sandro Botticelli...

Intéressante, la série d'oeuvres créées en 2004, quand il vivait dans une chambre de bonne parisienne, notamment Rue St-Maur IV et son personnage enveloppé par une main et un bras qui passent sous ses reins, magnifique mise en espace qu'on retrouve dans des oeuvres comme Fabiano, réalisée en couverture d'un cahier. Ou encore Rue St-Maur III avec la mitre d'un évêque qui se transforme en plume de stylo, la tête de l'ordonné plongeant dans l'encrier.

Belle Suite finlandaise aussi dans les doux tons de bleu qui atténuent les effets dramatiques de la pierre noire. Bougie n'est pas un coloriste, mais un dessinateur qui travaille son support, en utilisant par exemple le gesso, qui facilite l'utilisation de l'acrylique en «faisant fondre» le papier.

Rétrospective

Au sous-sol, on a placé les gravures avec un judicieux coup d'oeil rétrospectif. Des gravures de 1981-1982 font face aux trois dernières qu'il a faites. Les expériences de la vie, le geste qui prend de l'assurance et l'âme qui s'épaissit, tout est là dans les différences entre le charme suranné et référentiel de la Déclaration d'amour au père Lachaise ou de la Course des garçons de café, sa «première gravure officielle», une eau-forte et taille-douce de 1981 faite à Paris, et la modernité libertaire de son Ciel perforé, créée à Montréal il y a deux ans.

Le noir et blanc demeure toutefois identique, ce noir poussiéreux qui lui a fait aimer la gravure, un média où l'être humain est au coeur de la démarche. Une vidéo de 23 minutes, Une plante posée sur l'enclume, de Bruno Baillargeon, nous le présente dans son atelier, tuque sur la tête, burin à la main, penché sur une plaque de cuivre tandis que son chien saucisse trottine sur le plancher. La main sûre, il grave des traits bien droits, sans règle, juste avec le bord de l'index qui lui sert de guide.

L'oeuvre de Bougie est marquée par une remise en question permanente, une quête de la révélation au présent, un imaginaire qui évacue ses angoisses. Il est le graveur de la gravité. «Je suis assez bon vivant, mais "questionneux", dit-il, pince-sans-rire. Mon neurologue m'a dit que j'étais triste. Moi, je lui ai dit que ce n'était pas de ses affaires!»

Autre lieu, autre exposition

Pour compléter un survol de son travail, il faut passer au Centre d'archives de Montréal, rue Viger, voir ses 11 livres d'artiste, notamment Prince sans rire élaboré en Pologne en 1980 puis créé en équipe, notamment avec Michaël La Chance, qui signe aussi l'essai récent réalisé sur Louis-Pierre Bougie.

Le livre d'artiste, c'est ce qui lui a permis d'allier son inspiration aux mots de Michel Butor, Geneviève Letarte, Paule Marier ou Michel van Schendel. Son dernier livre d'artiste, Ainsi fait (2013), a été réalisé avec son confrère et ami François-Xavier Marange, décédé l'an dernier, le graveur français qui lui a appris à imprimer avec qualité au début des années 80, quand l'aventure de l'Atelier circulaire a débuté. Le hasard d'une rencontre qui a gravé sa voie. «Ma croyance, c'est le hasard», dit-il.

> Un trait... une oeuvre, au 1700 La Poste, jusqu'au 15 janvier.

> 30 ans de livres d'artiste au Centre d'archives de Montréal, jusqu'au 16 février.