Climat de travail tendu, comportement problématique d’un directeur, apparence de favoritisme, contournements de la convention collective… La conservatrice de l’art moderne du Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ), Anne-Marie Bouchard, qui conteste son congédiement devant le Tribunal administratif du travail (TAT), en avait long à dire, lundi, sur la direction du Musée national des beaux-arts du Québec.

Mme Bouchard, qui était une employée du musée depuis 10 ans, est une doctorante et postdoctorante en histoire de l’art, et professeure en muséologie à l’Université Laval. En plus de ses fonctions de conservatrice de l’art moderne, elle occupait – depuis 2017 – le poste de déléguée syndicale principale au musée. Elle allègue que son congédiement, survenu le 31 janvier dernier, est une mesure de représailles pour activités syndicales.

Le MNBAQ prétend de son côté qu’Anne-Marie Bouchard a usurpé la signature du directeur général de l’institution, Jean-Luc Murray, sans son autorisation, dans un document interne lié à l’emprunt de trois œuvres – dans le cadre de l’exposition Générations, dont elle est la commissaire.

Durant la première journée d’audience, lundi dernier, Anne-Marie Bouchard a longuement expliqué à la juge Caroline Gagnon comment les relations de travail patronales-syndicales se seraient dégradées à la suite du départ de la directrice des ressources humaines du musée, France Lévesque. Elle s’est aussi attardée au comportement qu’elle a décrit comme « problématique » du directeur des collections et de la recherche, Guillaume Savard.

Selon son récit des évènements, M. Savard, son supérieur immédiat, lui aurait notamment demandé de « faire évoluer le poste de registraire », occupé par Isolda Gavidia – dont le rôle consistait jusque-là à faire un suivi administratif des acquisitions, emprunts et prêts des œuvres d’art – pour qu’elle puisse également agir à titre de conservatrice de la collection Rencontres, une collection encore inexistante, mais appelée à chevaucher d’autres collections du musée.

À titre de déléguée syndicale, Anne-Marie Bouchard dit avoir avisé M. Savard que le poste devait d’abord être affiché puisqu’il s’agissait d’un « nouveau poste ». Elle lui aurait également fait part de ses inquiétudes par rapport au cumul des tâches, le poste de registraire étant un emploi à temps complet. Enfin, elle lui aurait fait part du risque de dédoublement avec les autres conservateurs et commissaires du musée.

Mme Bouchard a fini par lui proposer de donner à Mme Gavidia un mandat temporaire pour voir ce qu’elle arriverait à faire. Mais les réserves et les questions de Mme Bouchard n’auraient pas plu à M. Savard, qui aurait perdu patience lors d’une rencontre privée qu’il avait demandée.

« Le ton a monté. Il voulait qu’on crée le poste immédiatement, a indiqué Anne-Marie Bouchard dans son témoignage. Il était rouge tomate, il se levait fréquemment, il prenait des gommes à mâcher, il buvait du Benadryl à la bouteille, il était agressif, et moi j’étais super mal à l’aise. À la fin de la rencontre, il m’a dit : “On fait quoi ? J’ai vraiment besoin de ce poste pour ma direction. Est-ce qu’il faut que je me mette à genoux ?” »

À partir de ce moment-là, Anne-Marie Bouchard décide d’aborder cette question uniquement dans le cadre du Comité de relations professionnelles (CRP) entre l’employeur et le syndicat.

Quelques mois plus tard, des employés du MNBAQ apprennent que M. Savard et Mme Gavidia seraient engagés dans une relation amoureuse. Une information communiquée à Anne-Marie Bouchard, qui aborde le sujet avec la nouvelle direction des ressources humaines. Comment procéder si des employés, sous la responsabilité de Mme Gavidia, ont des récriminations contre elle ? Quelle est la politique du musée dans des cas semblables ?

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

L’exposition Générations, dont Anne-Marie Bouchard est la commissaire, est en cours ​au Musée national des beaux‑arts du Québec.

Voilà quelques questions posées par Anne-Marie Bouchard à titre de déléguée syndicale qui, selon elle, sont restées lettre morte pendant plusieurs mois jusqu’à ce qu’un premier groupe d’employés soit rencontré par la direction. Selon ce qu’a rapporté Mme Bouchard, l’employeur aurait finalement répondu qu’en cas de litige, ils devaient s’adresser au conjoint de Mme Gavidia, Guillaume Savard, son superviseur immédiat.

Mais à partir de ce moment-là, Mme Bouchard affirme que le comportement de Guillaume Savard à son égard avait changé. D’après elle, il s’est mis à l’ignorer ou à la critiquer. Il lui aurait également retiré un dossier. Elle a donc déposé une plainte pour harcèlement contre lui au printemps dernier. Une enquête externe menée par la firme Loranger Marcoux à l’endroit de M. Savard aurait toutefois conclu qu’il n’aurait commis aucune faute.

Mme Bouchard aurait refusé une offre de médiation avec Guillaume Savard. Selon elle, plusieurs personnes avaient des récriminations contre lui, mais aucune autre plainte officielle n’aurait été déposée contre M. Savard.

Les motifs du congédiement

Anne-Marie Bouchard a appris qu’elle était congédiée lors d’une rencontre Teams. Le récit des évènements ayant mené à son congédiement n’a pas encore été fait devant le Tribunal.

Le MNBAQ lui reproche d’avoir usurpé la signature du directeur général de l’institution Jean-Luc Murray lorsqu’elle a rédigé la lettre d’emprunt concernant le prêt de trois œuvres de Kent Monkman, qui se sont ajoutées à la dernière minute, juste avant le congé des Fêtes, à l’exposition Générations, dont Anne-Marie Bouchard est la commissaire.

Normalement, la lettre d’emprunt, qui est un document administratif rédigé par le commissaire de l’exposition, est envoyée au registraire, c’est-à-dire à Isolda Gavidia, qui la fait signer par le directeur général du musée, soit M. Murray (qui était en vacances à ce moment-là). Mme Gavidia, qui a témoigné lundi, a indiqué avoir reçu la lettre d’emprunt d’Anne-Marie Bouchard, mais avec la signature de Jean-Luc Murray, ce qu’elle dit avoir trouvé « louche ».

Mais Mme Gavidia a aussi avoué avoir envoyé « par erreur » à Anne-Marie Bouchard, quelques mois plus tôt, « un modèle en format Word qui contenait la signature de Jean-Luc Murray ».

Dans quelles circonstances Mme Bouchard a-t-elle rempli ce document ? La lettre a-t-elle été envoyée au prêteur avec la signature de M. Murray ? Avait-elle l’intention de créer un faux document ? C’est en tout cas ce que prétend le MNBAQ, qui conclut à « un manque d’intégrité, de franchise et de rigueur » pour justifier son congédiement immédiat (sans mesures graduelles ou avertissement), alléguant des manquements similaires lors d’une précédente exposition sur la peintre impressionniste Helen McNicoll.

Les audiences dans cette affaire se poursuivront en mai avec le contre-interrogatoire d’Isolda Gavidia, mais surtout avec la version de Mme Bouchard sur sa gestion de la fameuse lettre d’emprunt. Me Serge Belleau, l’avocat du MNBAQ, a l’intention de faire témoigner au moins quatre autres personnes, tandis que MJennifer Nadeau, qui représente Anne-Marie Bouchard, devrait, elle aussi, faire appel à d’autres témoins. Au total, ce sont au moins trois journées qui seront nécessaires pour entendre la cause.