Québec accorde à la culture, au patrimoine et à la langue française une somme de 187 millions sur cinq ans. Un budget qui inquiète le milieu des arts de la scène, qui va devoir se partager une tarte qui rapetisse, tandis que le secteur de l’audiovisuel sort gagnant, encouragé par des mesures fiscales réclamées depuis plusieurs mois.

Les milieux des arts de la scène, de la musique et des arts visuels apparaissent plus fragiles que jamais dans ce budget déficitaire présenté mardi par la Coalition avenir Québec (CAQ), qui met toutefois en place des mesures fiscales avantageuses pour le secteur de l’audiovisuel et des médias écrits.

Le gouvernement prévoit 28 millions sur quatre ans pour bonifier les programmes existants du Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) – pour tous les organismes en arts de la scène, en arts visuels et en littérature –, ce qui se traduit par un financement de 4,8 millions pour l’année 2024-2025. Au total, le budget annuel du CALQ est d’environ 160 millions.

En comparaison, la mise en place du passeport culturel numérique pour les jeunes – afin de leur donner accès à des biens et services culturels à coûts réduits – recevra à elle seule un financement de 3 millions pour l’année 2024-2025.

Les organismes culturels, menés entre autres par le Réseau indépendant des diffuseurs d’évènements artistiques unis (RIDEAU), qui réunit 350 salles de spectacles et festivals au Québec, avaient pourtant formulé des demandes beaucoup plus importantes au Ministère. Les crédits accordés au CALQ sont passés de 180 à 160 millions depuis l’an dernier, une baisse qui seraient due à la fin des mesures d’aide à la COVID.

« RIDEAU est très inquiet pour la suite des choses, nous dit sa directrice générale, Julie-Anne Richard. On prend acte que le CALQ va avoir une diminution d’environ 20 millions de ses crédits, alors que nous souhaitions que l’ensemble des dépenses projetées par le Conseil du trésor soient conservées, voire légèrement augmentées. »

Julie-Anne Richard, qui doit rencontrer le cabinet du ministre de la Culture et des Communications, Mathieu Lacombe (avec d’autres organismes culturels), dans la foulée de la publication du budget, compte bien sûr exprimer ses inquiétudes.

L’argent dont on avait besoin pour faire face aux enjeux de pénurie de main-d’œuvre, de rémunération, d’explosion des coûts, n’est pas là. On craint bien sûr que certains organismes ne passent pas au travers et on peut prévoir que le CALQ aura des choix excessivement difficiles à faire dans les prochains mois.

Julie-Anne Richard, directrice générale du Réseau indépendant des diffuseurs d’évènements artistiques unis (RIDEAU)

Les 187 millions investis en culture sont répartis de la manière suivante : 92 millions pour mettre en valeur la culture et le patrimoine québécois ; 54 millions pour soutenir les médias et la diffusion de la culture ; et 41 millions pour promouvoir et valoriser la langue française.

Cette somme est nettement inférieure à celle annoncée dans le budget précédent, qui était de 649 millions (incluant la promotion de la langue). Ce budget comportait toutefois deux mesures extraordinaires, dont un investissement de 101 millions à Télé-Québec sur cinq ans et une somme de 200 millions mise à la disposition de la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) pour la seule année 2023-2024.

De façon générale, le budget des dépenses réelles du ministère de la Culture et des Communications 2024-2025 s’établit à 939 millions, selon le cabinet du Ministère. Cette somme serait en hausse de 2,8 % par rapport à l’an dernier.

SODEC et infrastructures

De son côté, la SODEC recevra une enveloppe de 21 millions sur quatre ans. Son offre de financement sera « enrichie par de nouveaux instruments financiers » (on ne spécifie pas lesquels). Un mandat d’accompagnement visant à stimuler l’entrepreneuriat culturel est également prévu.

Le Plan québécois des infrastructures, qui a permis à plusieurs organismes de rénover leurs bâtiments, recevra une enveloppe additionnelle de 40 millions sur trois ans, notamment pour faire face à la hausse des coûts des chantiers. Cet investissement permet ainsi de prolonger les activités du Fonds du patrimoine culturel québécois.

Enfin, l’aide à la billetterie – en diminution progressive – est de 12 millions cette année. Les organismes culturels n’auront bientôt plus accès à cette aide qui s’est avérée si cruciale pendant la pandémie et dans les mois qui ont suivi.

L’industrie audiovisuelle obtient la part du lion

Pour rester compétitifs et limiter le déplacement des tournages américains ailleurs au Canada, les acteurs du milieu réclamaient une amélioration des crédits d’impôt et ils ont été entendus.

Le budget bonifie le crédit d’impôt pour la production cinématographique ou télévisuelle québécoise (CPCQ) de 50 % à 65 % des frais de production. Du même souffle, il majore le taux de base du crédit d’impôt pour services de production cinématographique (CSPC) de 20 % à 25 %, une mesure qui vise justement à « favoriser l’attraction de tournages étrangers au Québec ».

Enfin, parce que « l’arrivée du numérique a changé le paysage audiovisuel », le gouvernement prévoit aussi près de 4 millions de dollars sur deux ans pour mettre en place un chantier de révision du modèle de financement des productions audiovisuelles québécoises.

L’industrie s’est « concertée » et elle a reçu une « belle écoute » de la part du gouvernement, estime Christine Maestracci, présidente-directrice générale du Bureau du cinéma et de la télévision du Québec. « La majorité des recommandations qu’on avait déposées se retrouvent dans le budget », se réjouit-elle.

Les mesures annoncées permettront au Québec de « retrouver sa compétitivité » et de « capitaliser sur les opportunités d’affaires sur le plan des tournages étrangers », estime Mme Maestracci. « Le gouvernement reconnaît aujourd’hui que l’industrie a une contribution culturelle, mais aussi une contribution économique, et ça va nous permettre de continuer de rayonner ici et à l’international », dit-elle.

Elle soulève néanmoins qu’une décision du gouvernement suscite « beaucoup d’inquiétude » dans le secteur des effets visuels et de l’animation : celle d’ajouter un plafond aux crédits d’impôt des dépenses de main-d’œuvre. « C’est un écosystème qui a déjà été grandement impacté par la double grève aux États-Unis en 2023 », souligne Mme Maestracci, qui anticipe des mises à pied.

Enfin, Télé-Québec recevra 20 millions au cours des deux prochaines années afin de bonifier sa programmation.

Rien pour la musique

Le réseau des scènes de musique alternatives du Québec (SMAQ) a exprimé dans un communiqué publié en soirée sa « profonde déception ». « Notre inquiétude est particulièrement marquée par la négligence flagrante des besoins des lieux de diffusion indépendants dans les mesures annoncées. »

Alors que les arts de la scène reçoivent des fonds supplémentaires pour financer leurs opérations, les salles indépendantes sont injustement omises.

Le réseau des scènes de musique alternatives du Québec, dans un communiqué

De son côté, l’Association des professionnels de l’édition musicale (APEM), qui représente 830 maisons d’édition, « salue l’investissement de 49,2 millions additionnels au CALQ et à la SODEC dans un contexte qualifié d’exigeant ». Toutefois, l’organisme regrette de voir que le secteur de la musique « n’est pas mentionné dans le budget ».

Des crédits pour les médias écrits

Les médias écrits continueront de bénéficier des mesures fiscales mises en place par le gouvernement du Québec. On parle essentiellement d’une aide correspondant à 35 % des dépenses en main-d’œuvre – avec un plafond de 75 000 $ par employé. Mais aussi d’un crédit d’impôt pour la main-d’œuvre (du gouvernement fédéral) de 35 % des salaires jusqu’à concurrence de 85 000 $ pour les années 2023 à 2026.

Les crédits d’impôt pour appuyer la transformation numérique des entreprises de presse, qui prévoient une aide de 35 % sur les frais de conversion numérique, prendront fin le 31 décembre 2024.