Guy Latraverse, l’un des grands bâtisseurs de l’industrie québécoise du disque et du spectacle, est mort samedi soir des suites d’une longue maladie. Il était hospitalisé depuis un mois. Le célèbre imprésario et producteur était âgé de 84 ans. La nouvelle a été confirmée à La Presse par sa fille Zoé, dimanche après-midi.

Sa sœur Louise Latraverse était avec les membres de la famille Latraverse lorsque La Presse l’a jointe. Attristée par la mort de celui qu’elle a fait entrer dans le monde des arts, elle a quand même su trouver les mots pour lui rendre hommage. « Il était intelligent et il aimait les gens. Il a sorti les artistes québécois des cabarets et il leur a dit qu’ils avaient le droit eux aussi d’être aussi bien traités que les artistes français. Il était passionné et audacieux. Voir Diane Dufresne dans le spectacle Tiens-toé ben j’arrive et y croire, fallait le faire. Il a permis aux artistes d’ici de se dépasser. »

C’est un Robert Charlebois à la fois ébranlé et désireux de témoigner de la grandeur d’âme de son ami qui s’est entretenu avec La Presse en soirée dimanche. Il nous ramène à ses débuts, au temps de La boulée, en 1963. « C’est là qu’on s’est connu. Sa sœur Michèle avait un bureau où les tablettes tenaient avec des briques. Il m’a acheté mon premier set de drum. Après, tout s’est enchaîné. »

Robert Charlebois, qui est le parrain de Zoé, croit fermement qu’il n’aurait pas été connu sans le rôle joué par Guy Latraverse. « Il a été présent dans chacune des étapes cruciales de ma carrière. C’était un génie et un être extraordinaire avec tous les débordements que ça peut supposer. Quand il partait, il partait loin. Il en a arraché. Il y a eu des années difficiles où il était très maniaco-dépressif. Quand il était down et noir, ça paraissait. »

Celui qui a offert une tournée historique au cours des derniers mois avec Robert en CharleboisScope a vu pour la dernière fois ce pilier de la chanson québécoise il y a trois mois en compagnie d’Yvon Deschamps. « C’est quelqu’un que j’aurai dans mon cœur pour le reste de ma vie. Toute l’arrière-scène et l’avant-scène du showbiz québécois sont en deuil en ce moment. On lui doit tellement. »

Jointe en fin de soirée dimanche, Diane Dufresne ne tarissait pas d’éloges à l’égard de Guy Latraverse. « Je n’ai pas beaucoup d’amis, mais Guy fait partie de ceux-là. Il a accepté de me suivre dans mes folies. Il me disait : “Diane, vas-y !”. C’était un être passionné, même dans sa maladie. »

Lorsque Diane Dufresne accepte enfin, après de nombreuses demandes, de faire un spectacle au Stade olympique, en 1984, elle ne sait pas que son ami a une maladie qu’il garde pour lui. « C’est fou, car c’est grâce à lui que j’ai fait tout ça. C’était un homme grandiose, dans tous les sens du terme. Il n’y a pas beaucoup de gens comme lui au Québec. »

Madeleine Careau, actuelle cheffe de la direction de l’Orchestre symphonique de Montréal, a connu Guy Latraverse au milieu des années 1970 au Festival d’été de Québec, puis lors de la création de l’ADISQ en 1979. « C’était un entrepreneur-né qui n’avait pas peur de prendre des risques. Il a été le premier québécois à appliquer un modèle vertical dans le monde du spectacle comme le faisaient les multinationales. Il s’occupait de la gérance des artistes, de la production de leurs spectacles et de leurs disques. Il a même créé Kébec Films qui lui permettait de produire des émissions sur ses artistes. C’était un vrai visionnaire. »

Dans les minutes qui ont suivi l’annonce de sa mort, les hommages se sont multipliés sur les réseaux sociaux. François Legault a salué « le bâtisseur » que fut Guy Latraverse. Pour Mathieu Lacombe, ministre de la Culture et des Communications, le grand imprésario a aussi été « un homme qui a vu grand pour nos artistes et notre culture, à une époque où tout était encore à faire ».

Les débuts avec Léveillée

Guy Latraverse est né le 5 juillet 1939 à Chicoutimi. Il était l’aîné d’une famille de quatre enfants et avait un an de plus que sa sœur Louise, comédienne, autrice et metteure en scène grâce à laquelle il a mis le pied dans le monde artistique.

Impliqué dès le collège dans l’organisation d’activités sportives et culturelles, il a fait ses premiers pas comme gestionnaire professionnel lorsque Claude Léveillée, alors l’amoureux de sa sœur, lui a demandé de s’occuper de sa comptabilité au tournant des années 1960. Vite recruté par d’autres artistes peu intéressés par les chiffres, Guy Latraverse a encore pris du galon en 1962 lorsque, après avoir mené une négociation au profit de l’auteur de Frédéric, ce dernier a déclaré qu’il serait désormais son imprésario.

PHOTO RÉAL ST-JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Guy Latraverse

« Imprésario. Je ne savais pas ce que le mot voulait dire exactement, confie le producteur dans Guy Latraverse, 50 ans de showbiz québécois, livre biographique publié en 2013. À ma connaissance, personne ne portait ce titre à Montréal. »

Le « père du showbiz »

Guy Latraverse est aux premières loges du renouveau culturel qui anime le Québec à partir des années 1960 : en plus de Claude Léveillée, pour qui il organise des tournées québécoises, il travaille notamment avec Pierre Calvé, Pauline Julien, Jacques Blanchet, Jean-Pierre Ferland et sera, à partir des années 1970, l’homme derrière la carrière exceptionnelle d’Yvon Deschamps. Il étend également ses activités à l’Europe et orchestre les passages au Québec d’artistes comme Guy Béart, Léo Ferré, Petula Clark ou Charles Aznavour.

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Yvon Deschamps et Guy Latraverse en 1985

On ne dit pas de Guy Latraverse qu’il est le « père du showbiz » québécois à la légère. Il en fut, avec Gilles Talbot et Gérard Thibault, l’un des grands bâtisseurs. En plus d’avoir été impliqué dans à peu près tous les grands spectacles des années 1970 (L’Osstidcho, J’ai vu le loup, le renard, le lion, 1 fois 5, celui d’Offenbach à l’oratoire Saint-Joseph, etc.), il est l’un des fondateurs de l’ADISQ, cofondateur des Francos et a été d’une manière ou d’une autre derrière tous les galas télévisés destinés à récompenser les artisans de la culture québécoise, de la musique au cinéma en passant par le théâtre et l’humour.

Idées de grandeur

Son parcours est marqué par des idées de grandeur. Il a convaincu Claude Léveillée de faire la Place des Arts en 1964 alors qu’aucun artiste d’ici ne s’y était encore produit seul en tête d’affiche. Il est l’homme derrière les 100 soirs d’Yvon Deschamps au Théâtre Maisonneuve en 1977. Il est aussi le producteur sans peur qui a présenté Diane Dufresne au Forum en 1980 – la première artiste d’ici à s’y produire en solo – et celui qui a rendu possible son spectacle Magie rose au Stade olympique quatre ans plus tard. Aucun autre artiste d’ici n’a osé pareille affaire depuis.

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Diane Dufresne au Forum en 1980.

Sa carrière a toutefois été marquée par plusieurs échecs. Certains de ses projets (notamment la présentation du spectacle Jaune ou… de Jean-Pierre Ferland à la salle Wilfrid-Pelletier) l’ont poussé à la faillite. Trois fois plutôt qu’une. Il s’en est toujours remis, s’imposant tantôt dans le domaine du disque (Kébec Disques) ou de la télévision (Sogestalt, les Productions Samedi de rire) et, toujours, du spectacle.

Son cran et son énergie, Guy Latraverse les a paradoxalement puisés dans une maladie qui l’a aussi profondément miné : au milieu des années 1980, il a en effet reçu un diagnostic de bipolarité. « Y avait pas grand-chose qui me résistait dans ce métier-là. J’étais un bon bipolaire qui a vraiment réussi, disait-il en riant, lors d’une entrevue avec La Presse en 2013. Cette maladie m’a permis de faire des choses comme elle a permis à Churchill, à Roosevelt et à Napoléon, tous bipolaires, de faire des affaires qu’ils n’auraient jamais faites. »

Engagement social

Il fut par ailleurs l’une des premières personnalités québécoises à parler publiquement de bipolarité et à s’engager pour la santé mentale. Guy Latraverse est en effet l’un des fondateurs d’une association qui s’appelle aujourd’hui Relief (anciennement Revivre) et qui offre du soutien aux personnes souffrant d’anxiété, de dépression et de bipolarité. Son engagement social s’est aussi manifesté à travers des spectacles-bénéfices comme Tous unis contre le sida et De concert avec le Saguenay, tous deux tenus en 1996.

Un an avant de fonder les FrancoFolies de Montréal (devenues simplement les Francos) avec Alain Simard, Guy Latraverse a reçu, en 1988, le Félix hommage. Une récompense qui l’a particulièrement touché. « Cette soirée a été un des grands moments de ma vie car cet hommage venait de mes pairs, des gens qui avaient apprécié ce que j’avais fait pour l’industrie québécoise du spectacle, notre business », dit-il dans le livre biographique écrit avec l’aide de l’ex-journaliste de La Presse Daniel Lemay.

PHOTO NINON PEDNAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Daniel Lemay et Guy Latraverse

Sa carrière a été marquée par une quantité de prix et de distinctions décernés tant par les instances publiques que par des associations de professionnels de la télévision, de la musique et du spectacle. Son caractère de pilier a été reconnu une deuxième fois par l’ADISQ qui, en 2013, lui a remis un Félix hommage spécial pour ses 50 années passées à œuvrer dans l’ombre pour faire rayonner les artistes et la culture d’ici.

Guy Latraverse en 10 dates

1964, il produit Claude Léveillée, premier chanteur québécois à la Place des Arts

1968, il produit L’Osstidcho King Size en tournée

1971, il fonde Kébec Spec

1974, il produit le spectacle J’ai vu le loup, le renard, le lion avec Félix Leclerc, Gilles Vigneault et Robert Charlebois

1976, il produit le spectacle 1 fois 5 avec Yvon Deschamps, Claude Léveillée, Gilles Vigneault, Jean-Pierre Ferland et Robert Charlebois

1978, il cofonde l’ADISQ

1984, il présente Diane Dufresne dans Magie Rose au Stade olympique

1985, il fonde les Productions Samedi de rire avec Yvon Deschamps

1989, il cofonde Les FrancoFolies de Montréal

2013, il reçoit un hommage spectacle de l’ADISQ pour ses 50 ans dans le monde du spectacle

PHOTO HUGO-SEBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Hommage à Guy Latraverse au gala de l’ADISQ, en 2013