Des collaborateurs attendent de recevoir leur chèque émis par le magazine Nouveau Projet depuis des mois, voire des années.

Sarah Toussaint-Léveillé est autrice, musicienne et réalisatrice. En avril 2022, elle a gagné un concours d’essai organisé par Nouveau Projet. On lui a alors assuré qu’elle serait rémunérée lorsque son texte serait publié, en septembre, soit cinq mois plus tard. Le moment venu, aucune trace du chèque. En octobre, elle relance le magazine. Quelques jours plus tard, on lui répond qu’un délai supplémentaire de six mois pourrait être à prévoir en raison de « problèmes de liquidité ». À ce jour, soit huit mois plus tard, toujours rien.

« Mon petit doigt me disait que je n’étais pas la seule à vivre cette situation », nous a confié Sarah Toussaint-Léveillé au téléphone mercredi.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Sarah Toussaint-Léveillé

C’est dans cette optique qu’elle a décidé d’exprimer son exaspération sur Instagram plus tôt cette semaine. Nouveau Projet s’est alors empressé de lui répondre dans les commentaires : « Allô Sarah. Comme nous te l’avons dit hier, nous sommes vraiment désolé.e.s, nos délais de paiement sont plus longs que d’habitude, en ce moment. Mais tu seras bien payée, dès que nous serons rendu.e.s à toi dans la pile. »

Cette pile, ce sont des dizaines et des dizaines de personnes qui affirment avoir vécu une situation similaire.

Parmi elles, notons l’artiste et ancienne députée de Québec solidaire Catherine Dorion. Bien qu’elle se soit retirée de la vie publique l’année dernière, l’ex-politicienne a tenu à faire partager son expérience sur son compte Instagram, en publiant une copie d’un courriel qu’elle avait fait parvenir à Nouveau Projet en avril 2022 : « […] j’ai décidé que je ne collaborerais plus avec Nouveau Projet tant que je n’aurai pas reçu le cachet promis pour un article publié il y a plus de deux ans. J’ai insisté plusieurs fois par courriel auprès de la comptabilité et en ai fait mention à Nicolas il y a de nombreux mois déjà. »

Nicolas, c’est Nicolas Langelier, rédacteur en chef de Nouveau Projet. Il a lancé le magazine en 2012. La Presse n’a pas réussi à le joindre, lui qui a remporté vendredi dernier le prix du meilleur rédacteur en chef au Canada, aux Prix du magazine canadien.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, LA PRESSE

Nicolas Langelier, rédacteur en chef de Nouveau Projet

Des artistes exaspérés

« Je n’ai aucun espoir de voir la couleur de cet argent », nous a confié une photographe pigiste qui préfère garder l’anonymat. Il y a environ un an, elle a été invitée à participer au visuel d’un article. On lui a alors promis un cachet de 700 $. Après avoir envoyé ses photos et sa facture, elle a été avisée que le délai de paiement était de six mois.

Si on m’avait précisé ce délai au début, je n’aurais pas accepté le contrat. Ils ont fait preuve d’un grand manque de transparence.

Une pigiste du magazine Nouveau Projet

Aujourd’hui, soit un an plus tard, sa facture n’a toujours pas été payée, et elle n’a aucune idée du moment où elle le sera. Encore une fois, Nouveau Projet a attribué ce retard à un « sérieux problème de liquidité ».

Situation semblable pour l’illustrateur Martin Bureau, qui a illustré un article en 2017. Il a dû envoyer plusieurs rappels pour qu’on lui paie finalement sa facture de 500 $, des mois plus tard. Il espère que les nombreux témoignages qui circulent serviront à changer les choses. « L’industrie doit adopter de meilleures pratiques », soulève-t-il en entrevue.

Les illustrateurs Julien Castanié et Paul Bordeleau ainsi que l’écrivain et scénariste William S. Messier ont également manifesté leur appui à Sarah Toussaint-Léveillé sur Instagram. Eux aussi ont peiné à toucher leur paie.

  • Une partie du message sur Instagram de Sarah Toussaint-Léveillé

    SAISIE D’ÉCRAN À PARTIR DU COMPTE INSTAGRAM DE SARAH TOUSSAINT-LÉVEILLÉ

    Une partie du message sur Instagram de Sarah Toussaint-Léveillé

  • Une partie du message sur Instagram de Sarah Toussaint-Léveillé

    SAISIE D’ÉCRAN À PARTIR DU COMPTE INSTAGRAM DE SARAH TOUSSAINT-LÉVEILLÉ

    Une partie du message sur Instagram de Sarah Toussaint-Léveillé

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Des excuses, mais pas de solution

Mercredi après-midi, soit 24 heures après la publication du témoignage de Sarah Toussaint-Léveillé, Nouveau Projet s’est prononcé sur la situation sur son compte Instagram. La publication a notamment cité les coûts d’impression, qui auraient « plus que doublé en dix ans ». « Mais nous payons trop lentement, c’est vrai, a reconnu Nouveau Projet. C’est là notre plus grand regret, et nous nous excusons auprès de ceux et celles qui en souffrent assurément. »

Ces excuses n’émeuvent pas Sarah Toussaint-Léveillé. « C’est de l’abus de confiance », dit-elle en entrevue.

C’est comme se faire donner un câlin par quelqu’un qu’on aime, mais se faire murmurer à l’oreille qu’on ne vaut rien.

Sarah Toussaint-Léveillé

L’Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ) a également réagi à cette affaire par l’entremise d’un communiqué. Selon le regroupement, les retards de paiement constituent « une problématique récurrente » dans le milieu de l’édition. Ces retards peuvent être dus à plusieurs facteurs, « parfois légitimes, parfois discutables ».

L’UNEQ promet d’examiner le cas Nouveau Projet, après avoir été interpellée mercredi par l’une de ses membres.