Paul Arcand a accueilli cette semaine de nouveaux collaborateurs à Puisqu’il faut se lever, la matinale qu’il anime depuis 18 ans au 98,5 FM. L’émission la plus populaire de la radio montréalaise a battu des records d’écoute l’automne dernier, avec environ le tiers des parts de marché. Version abrégée d’une discussion sur les médias, avec le roi des ondes.

Marc Cassivi : Quand on domine les sondages comme vous le faites depuis des années, est-ce une nécessité de faire des changements pour rester en tête ou c’est simplement que vous aimez avoir de nouveaux collaborateurs ?

Paul Arcand : Je dirais que c’est un mélange des deux. C’est-à-dire que quand on est au sommet des cotes d’écoute, le danger, c’est de s’asseoir là-dessus et de surfer sur la vague. Souvent, c’est un concours de circonstances. À la chronique politique, Bernard [Drainville] a manifesté le désir de ne faire que son émission...

M. C. : Et de dormir...

P. A. : Et de dormir un peu plus longtemps ! On a regardé différents scénarios, différentes hypothèses. C’est aussi une question de timing, parce qu’il y a des gens à qui tu penses qui ne sont pas disponibles. Finalement, le choix s’est arrêté sur Jonathan [Trudeau, aussi animateur au FM93]. Depuis le début de la pandémie, on faisait appel le vendredi à des humoristes et la réaction face à Fabien [Cloutier] a été tellement forte qu’on a voulu qu’il soit là régulièrement, toutes les trois semaines environ. Dans le cas de Jean-François [Lépine], je trouvais qu’on avait une faiblesse dans l’actualité internationale. On a Fabrice de Pierrebourg pour ce qui est du volet terrorisme, mais il y a longtemps que je rêvais que Jean-François se joigne à nous. On essaie de garder une stabilité tout en bougeant les choses. Ça garde la motivation quand tu es capable de renouveler un peu l’équipe.

M. C. : Vous avez écrit sur Twitter que de garder cet équilibre entre l’information et le divertissement n’est « pas simple ». Cet équilibre fait la force de l’émission. On est à l’écoute pour les entrevues serrées et les dirigeants qui sont talonnés, mais aussi pour le fun que vous semblez avoir...

P. A. : Être à la radio quatre heures et demie par jour, cinq jours par semaine, plus de quarante semaines par année, c’est sûr qu’il faut qu’il y ait une chimie qui s’installe. On ne peut pas faire semblant qu’on s’apprécie si on ne s’apprécie pas. L’équilibre, c’est surtout en période de pandémie que je trouvais ça particulièrement difficile à maintenir. D’un côté, il y a un sujet qui s’impose et qui domine. On dit aux gens : « Voici ce que vous devriez savoir, puis voici comment on va talonner les décideurs. » En même temps, il faut créer quelque chose d’un peu plus léger ou de moins formel. Si je faisais du hard news pendant quatre heures et demie tous les jours, moi le premier, je décrocherais. On a besoin de ventiler, d’écouter un peu de musique ou des extraits comiques. C’est pas simple parce qu’il y a la réaction immédiate de l’auditoire qui dit : « Vous en parlez trop », « vous n’en parlez pas assez », « on veut entendre autre chose », « faites pas des blagues, on est en crise », etc. Les gens de l’équipe ne sont pas unidimensionnels. [Alain] Crête, ce n’est pas juste un gars de sport. Il a aussi des réflexes – comme je le dis souvent – de gars de Québec [rires]. Catherine [Brisson, chroniqueuse culturelle de l’émission], c’est une fille du Saguenay qui a du caractère. Tout ça mis ensemble crée une formule hybride.

M. C. : L’émission reste tout le temps en tête des sondages. Ça demeure une pression ?

P. A. : C’est sûr qu’il y a une pression, mais en même temps, ce n’est pas une obsession. Pas au point que ce soit paralysant.

M. C. : Trouvez-vous que le diffuseur public se soucie trop des parts de marché ? Votre concurrent à Radio-Canada, Patrick Masbourian, a dans son contrat des primes à la performance, liées aux cotes d’écoute.

P. A. : La radio publique, c’est un univers que je connais moins. Je me souviens que quand les sondages étaient particulièrement bons, les patrons de Radio-Canada en étaient bien heureux. Quand les sondages sont moins bons, ils disent que c’est la radio publique et qu’il ne faut pas avoir trop d’attentes [rires] ! C’est correct. Ce que je trouve intéressant, c’est qu’il y a quand même le matin une majorité d’auditeurs qui optent pour la radio parlée, quand on fait la somme de Radio-Canada et nous. Ça veut dire qu’il y a un intérêt pour ça, malgré tout ce qu’on peut dire sur le bashing des médias et la présence du web. Les parts de marché de Radio-Canada sont stables. Je ne sais pas pourquoi il y a des bonis. J’en suis un peu étonné. Je ne pensais pas que c’était dans le style de la maison.

M. C. : Il y a en ce moment un clivage très fort dans la population. Notamment entre les vaccinés et les non-vaccinés, et surtout les antivax. Comment ce climat tendu dicte-t-il votre façon de faire ? Je ne vous entends pas vraiment faire de compromis dans vos opinions. Est-ce qu’il y a une réflexion à faire autour de la manière dont on traite les récalcitrants ?

P. A. : Je ne me demande pas si les gens vont être d’accord ou pas d’accord avec moi. C’est sûr que je vais me faire crier des bêtises, peu importe. Il y a des gens qui trouvent qu’on ne va pas assez loin, qu’on devrait emprisonner les non-vaccinés [rires] ! Il y en a d’autres qui menacent de faire des arrestations citoyennes et de nous faire comparaître devant le prochain Nuremberg. Je n’ai pas à subir la haine des gens, et je n’ai pas à me demander chaque jour si je la provoque. Je ne fais pas exprès pour mettre le feu. Je ne me lève pas en me disant : « Ce matin, je les provoque. » Je dis ce que je pense. Je parle avec un paquet de monde tous les jours dans le réseau de la santé. Je parle à des policiers, je parle à des profs. À partir de ce que je vois et entends, je me fais une tête, puis je partage mon point de vue. Vous avez le droit de ne pas être d’accord.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Paul Arcand

M. C. : Je reviens à Radio-Canada, parce que ça fait des années que des patrons de la société d’État fantasment à l’idée de vous débaucher de la radio privée. Quels seraient pour vous les avantages et les inconvénients de faire le saut à la radio publique ?

P. A. : Quand j’ai quitté CKAC il y a environ 20 ans, j’ai eu des discussions avec Radio-Canada, mais ce n’était pas allé très loin. J’ai une parfaite liberté de faire ce que je veux, dans la mesure où ce que je dis est responsable et basé sur des faits. Jamais je ne sens de pression, même quand je sais que ce que je vais dire ne va pas nécessairement plaire à mon employeur. J’ai déjà fait une entrevue assez serrée avec le président de Cogeco, qui avait pris une position sur l’immigration [Louis Audet invitait en 2017 le gouvernement fédéral à accueillir plus d’immigrants]. Il n’était pas offusqué, parce qu’il comprend mon travail. Cette liberté-là est extraordinaire. C’est une impression, mais je ne suis pas certain que je pourrais dire les mêmes choses à Radio-Canada. Il y a des choses qui me feraient un peu peur. Je vais te donner un exemple : quand je reçois un auteur, je vais lire son livre. Je ne veux pas qu’un recherchiste le lise à ma place et m’arrive avec une feuille de questions. Je ne serais pas capable de m’en remettre totalement à quelqu’un d’autre.

M. C. : Ce fameux titre de « roi des ondes », est-ce qu’il vous fait plaisir ou est-ce qu’il vous pèse ?

P. A. : [Rires] Sérieusement, je sais que ça prend des images. Il y a aussi « le gars des vraies questions ». C’est quoi, les « vraies questions » ? Ce sont des slogans. Ça fait 31 ans que je fais ça. Je ne le ferai pas encore pendant 10 ans. Disons que je fais partie un peu des monuments, si on veut [rires] ! Ce que je trouve assez fascinant, c’est de rencontrer des auditeurs de deuxième génération, qui m’ont connu parce que leur père m’imposait dans l’auto. Chez Vito, le boucher de la rue Saint-Urbain, un monsieur italien m’a dit qu’il avait appris le français en m’écoutant. Ça, ça me touche beaucoup plus que les slogans. « Le roi des ondes », demain matin, ça ne sera peut-être plus ça. Ce sera quelqu’un d’autre. Je suis assez terre-à-terre, et j’en ai assez vu, pour que les étiquettes me laissent un peu de glace.

M. C. : Si ce n’est pas 10 ans, vous ferez ça encore combien d’années ?

P. A. : Je ne le sais pas ! C’est quand même une job accaparante. Les gens pensent qu’on arrête à 10 h, mais non. Je vais visionner un film, écouter une série, lire. Il faut que je prépare les entrevues. J’adore la radio, je trouve que c’est un médium fantastique. Je ne veux pas prendre ma retraite, mais à un moment donné, est-ce que je veux avoir un rôle moins exigeant ? On prend ça une année à la fois.

M. C. : Pour encore cinq ans ?

P. A. : Je vais réserver la surprise à mon employeur [rires] !