(Tokyo) Armée de crayons à papier et d’un plumeau pour balayer les résidus de gomme, Hitomi Tateno forme la prochaine génération d’artistes du dessin animé dans une académie japonaise financée par Netflix, alors que la demande mondiale pour ce genre explose.

Du succès fulgurant de Demon Slayer au box-office à Belle, le dernier long métrage de Mamoru Hosoda longuement applaudi au Festival de Cannes cette année, le film d’animation japonais (« anime ») s’est débarrassé de son image enfantine ou de segment de niche.

Mais le secteur peine à recruter dans l’archipel nippon, où les artistes doivent généralement s’échiner pendant des années pour des salaires dérisoires afin d’apprendre les ficelles du métier.

Netflix, le géant américain de la diffusion en continu, veut remédier à cela avec la « WIT Animator Academy », un programme de formation pour artistes, dont il prend en charge les frais de scolarité et les dépenses courantes.

George Wada, le président de la maison japonaise d’animation WIT Studio, qui pilote l’initiative, la compare aux formations accélérées existant dans d’autres domaines.

« Si vous entrez en apprentissage auprès d’un grand chef de sushis, cela vous prendra peut-être des années pour maîtriser toutes les préparations, mais vous pouvez aller à une académie de sushis et boucler le curriculum en un an », explique-t-il à l’AFP.

« Difficile d’en vivre »

La formation de six mois se concentre sur les « intervalles », ou le dessin des étapes intermédiaires entre les « images clés » qui créent l’illusion du mouvement, une étape appelée « doga » en japonais.

« Ce travail c’est comme tisser un tapis […]. C’est très délicat et cela exige de la patience », explique Mme Tateno.

Elle-même a commencé par le doga et connu une riche carrière, supervisant les poses intermédiaires de films comme Mon Voisin Totoro et Le Voyage de Chihiro du Studio Ghibli, ou Akira, l’adaptation animée du manga culte de Katsuhiro Otomo.

« Beaucoup d’aspirants animateurs veulent rapidement dessiner les images-clés, et même s’ils veulent se spécialiser dans le doga, il est difficile d’en vivre », note-t-elle.

La plupart des artistes de doga au Japon sont des travailleurs indépendants ou avec des contrats précaires : seuls 18 % d’entre eux jouissent d’un contrat à durée indéterminée. Quelque 80 % du travail de dessin d’intervalles est par ailleurs sous-traité à l’étranger, principalement en Chine et en Corée du Sud, selon l’Association japonaise des créateurs d’animation (JAniCA).

La demande est pourtant bien là : plus de 100 millions de foyers dans le monde ont regardé au moins un anime sur Netflix entre octobre 2019 et septembre 2020 selon le groupe, une augmentation de 50 % sur un an.

La WTI Animator Academy fait aussi partie de la stratégie du géant de la diffusion en continu pour contrer des concurrents comme la plateforme Crunchyroll, dont Sony a finalisé cet été le rachat pour près d’un milliard d’euros et qui possède la plus vaste collection d’anime au monde.

« Soutenir les talents »

Netflix dit espérer que l’académie « aidera les futurs animateurs à déployer leurs ailes grâce à leurs œuvres », et envisage d’offrir des formations à d’autres domaines de l’animation.  

« Nous poursuivrons nos efforts pour soutenir et renforcer les talents qui portent l’industrie », assure Taiki Sakurai, producteur en chef des anime de Netflix.

À l’issue du programme d’études de six mois, qui forme actuellement sa deuxième promotion, les diplômés doivent se voir offrir un emploi au WIT Studio ou dans l’une de ses succursales, pour participer à la production d’anime pour Netflix.

Ce débouché assuré et la prise en charge financière de la formation « m’ont donné une certaine sécurité », dit Maki Ueno, 22 ans, qui figure parmi les dix premiers diplômés de la WIT Animator Academy.

« L’une de mes connaissances, qui travaille dans un autre studio, m’a dit que le programme de formation y est beaucoup plus court et n’est pas payé ».

À terme, de telles initiatives pourraient transformer le secteur, selon Daisuke Okeda, secrétaire de la JAniCA.

« Il est bien connu que l’animation gagne en qualité si un studio garde ses artistes de doga en interne », explique-t-il. « Des studios majeurs ont commencé à investir en ce sens. L’industrie est déjà en pleine évolution ».