Je m’intéresse toujours à ce qui arrive à l’église Sacré-Cœur-de-Jésus, rue Ontario, parce qu’elle est remplie de souvenirs.

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Les cloches de l’église Sacré-Coeur-de-Jésus installées dans la nef

C’est l’église où plusieurs membres de ma famille sur plusieurs générations ont fait leurs mariages, baptêmes, premières communions, confirmations et funérailles. Moi-même, j’y ai été baptisée, et j’ai cassé la main du p’tit Jésus de la crèche de Noël quand on m’y a déposée pour prendre une photo.

Puisque ma mère m’a obligée à aller à la messe tous les dimanches jusqu’à mes 12 ans, en dépit de mes protestations et d’un penchant précoce pour l’athéisme, je connais bien l’intérieur de cette église (comme servante de messe, on a accès aux coulisses).

Alors quand j’ai entendu parler d’une répétition pour le projet un peu fou du compositeur André Pappathomas, qui a décidé de sauver les cloches de l’église et de les transformer en instruments de musique, je ne pouvais pas rater ça, et j’y ai invité mon frère, qui a aussi subi la messe.

PHOTO FOURNIE PAR ANDRÉ PAPPATHOMAS

Les cloches de l’église Sacré-Cœur-de-Jésus dans le clocher, avant leur déplacement

Comme bien des églises au Québec, Sacré-Cœur-de-Jésus est de plus en plus abîmée, dans cette province catholique où le patrimoine religieux s’en va peut-être chez le diable. C’est pourtant l’un des joyaux architecturaux du quartier Centre-Sud, dont il fut autrefois le cœur de la vie sociale. Construite en 1887, l’église a été complètement détruite par un incendie en 1922, à l’exception de la chaire en bois, ce qui a été vu comme un miracle. Cette chaire qui jure avec la pierre et le béton est toujours présente dans l’église qui a été immédiatement reconstruite selon les plans originaux de l’architecte Joseph Venne.

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La chaire en bois de l’église, qui a survécu à l’incendie de 1922.

Comme pour l’église Saint-Esprit-de-Rosemont, le clocher était en décrépitude, il fallait retirer les cinq cloches dont la plus imposante, nommée Pierre-Pie-Paul ou « le grand do », pèse 7500 lb selon Pappathomas. De quoi être admiratif de nos ancêtres qui l’ont fait grimper au ciel avec les moyens de l’époque.

> Voyez la descente du « bourdon » en décembre 2020

PHOTO FOURNIE PAR DANIEL LEROUX

Une opération complexe : l’entrée de la plus grande cloche dans l’église il y a quelques mois.

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Les socles sur lesquels sont installées les cloches ont été conçus par le sculpteur André Fournelle.

Quand le compositeur André Pappathomas a appris le sort de ces cloches qui risquaient de finir à la casse, lui qui dirige depuis 20 ans ses propres chorales dans ce lieu, il y a vu une occasion. « Je me sentais concerné, car j’ai été très présent dans cette église » explique-t-il. Et il a réussi à convaincre l’archevêché d’installer les cloches, qui ont été délogées en décembre 2020, à l’intérieur de l’église sur des socles conçus spécialement pour elles par le sculpteur André Fournelle. Bref, elles sont exposées pour la première fois à la vue de tous, après avoir passé près d’un siècle dans le clocher.

On peut observer tous les détails et les inscriptions sur ces mastodontes qui ont été créés à la célèbre fonderie Paccard, en France, toujours en activité. André Pappathomas travaille d’ailleurs en collaboration avec l’Écomusée du Fier Monde pour monter une exposition en bonne et due forme, ce qui transformera l’église, plutôt désertée, en véritable lieu culturel.

PHOTO BERNARD BRAULT, LA PRESSE

Détails de la cloche principale

Mais plus encore, André Pappathomas, qui fait partie de ces explorateurs musicaux de la Société de musique contemporaine du Québec (SMCQ), est en train de monter un concert où les cloches seront utilisées de façon tout à fait originale, quelque chose de complètement inédit, selon lui. Il a fondé le Laboratoire de recherche et de création vocales pour l’occasion.

En assistant à la répétition, j’ai pu constater que c’est plutôt impressionnant, dans l’acoustique d’une grande église. Deux solistes (Virginie Mongeau et Clayton Kennedy), deux percussionnistes (Olivier Maranda et François Gauthier) et un organiste (Daniel Leroux), dirigés par le compositeur, ont offert un étonnant mélange de musique sacrée et contemporaine, dans ce monde moderne frappé par une épidémie aux proportions bibliques. « C’est bien parti et, au bout du compte, ça va avoir de la gueule », dit Pappathomas, enthousiaste.

PHOTO BERNARD BRAULT, LA PRESSE

André Pappathomas, compositeur

On voit le potentiel instrumental et moi, j’y crois beaucoup. L’inspiration vient directement des cloches, du mystère de leurs notes et de leur tonalité.

André Pappathomas, compositeur

PHOTO BERNARD BRAULT, LA PRESSE

De gauche à droite : Olivier Maranda, Daniel Leroux, François Gauthier et André Pappathomas

Car ce que veut aussi préserver André Pappathomas, c’est un patrimoine sonore. Ces cinq cloches ont résonné et appelé les gens pendant un siècle dans le quartier Centre-Sud, après tout. En contact avec un campanologue en Europe, le musicien affirme que l’expérience est rare, car la musicalité des cloches n’est connue que lorsqu’elles sont en volée, ce qui est impensable à l’intérieur de l’église ; la vibration et le son seraient beaucoup trop intenses. Alors qu’elles sont bien installées au sol, il a fallu jouer avec elles pour en tirer des notes précises, ce qui est fait en cognant avec le poids d’haltères, pour faire résonner l’entièreté de la cloche. « C’est une utilisation qui est totalement autre, précise-t-il. Elles sont dans une immobilité complète, dans un lieu d’écho où on peut les analyser. Cette approche nouvelle est fascinante. »

PHOTO BERNARD BRAULT, LA PRESSE

Une nouvelle façon de faire sonner la cloche…

Mais, pendant qu’on y est, qu’est-ce qui remplace les cloches maintenant ? Que se passerait-il si on avait besoin de sonner le tocsin ? « De très nombreux clochers au Québec ne sonnent plus les rassemblements, répond Pappathomas. Elles sont soit remisées au loin et éventuellement fondues, ou condamnées au silence. On ne sonne plus les messes, tout simplement… ni les mariages, ni le glas des funérailles ou l’annonce des baptêmes. Par contre je prévois d’entreprendre l’installation d’un système permettant de diffuser des volées de cloches par amplification à partir de la demie tour toujours en place. Il existe maintenant, des enregistrements de volées de cloches de grande qualité. Un élément de plus dans ce grand projet. Un bout de ma vie. »

On n’est jamais certain avec les mesures sanitaires, mais André Pappathomas, qui est en recherche de financement pour l’éclairage muséal des cloches, espère présenter son concert hors norme dès la fin du mois de mai. J’avoue que ça m’a fait vibrer, j’avais l’impression d’entendre une musique de messe noire, en tout cas une trame sonore parfaite en temps de pandémie, qui donne envie de prier pour nos péchés. Mon frère et moi, derrière nos masques, avons constaté que, même si ce n’était qu’une répétition, c’était notre premier show ensemble depuis longtemps, dans l’église où nous avons été baptisés tous les deux. Je pense bien qu’on va réserver des billets.