Nommé deux fois aux prix Grammy et gagnant aux Golden Globes cette année, le jazziste louisianais Jonathan Batiste court la chance de remporter un Oscar pour la trame sonore du film Soul. Tout cela au moment où il fait paraître son huitième album, We Are. Bien plus que le musicien du Late Show de Stephen Colbert, Jon Batiste crée de la « musique sociale » pour un monde plus juste.

Vous êtes partout cette année : aux Golden Globes, aux prix Critics Choice, aux Grammy et, on vient de l’apprendre, aux Oscars aussi ! Comment se sent-on d’être honoré de cette façon ?

Je me sens béni d’avoir la chance de créer. Et je me sens vraiment heureux de constater que ce que je fais rejoint les gens. J’ai toujours voulu être excellent. Je ne savais pas quelle forme ça prendrait, mais j’ai toujours poursuivi l’excellence que je savais en moi.

L’album We Are, que vous venez de faire paraître, couvre une myriade de genres différents, du jazz à la soul en passant par la pop, le hip-hop et le gospel. Comment l’inspiration pour ce projet vous est-elle venue ?

J’ai toujours rêvé de créer une synthèse de toutes les choses que je connais dans un genre qui m’appartient. Le « genre de Jon Batiste ». Je suis inspiré par les grands musiciens qui ont pu le faire avant moi : Duke Ellington, Miles Davis, Nina Simone, Prince, Johann Sebastian Bach… [rires] La liste est infinie. On ne peut pas vraiment dire que leur musique s’inscrit dans un genre, ils créent dans leur propre genre. Et c’est ce que j’ai essayé de faire avec cet album.

Sentez-vous donc que c’est un album qui vit en vous depuis toujours ?

J’ai commencé à réaliser que je voulais le faire vers 2011, quand j’ai obtenu mon diplôme de la Juilliard, au début de ma vingtaine. Avant cela, j’absorbais le plus de musique possible en tant qu’étudiant. Mais de me rendre compte que je voulais créer mon propre genre m’a poussé à former mon groupe et à articuler ma philosophie de musique sociale, puis tout ce qui est venu ensuite. […] Cet album a commencé dans mon subconscient vers 2014, mais il n’a pas commencé officiellement avant septembre 2019, dans ma loge du [Late Show].

Vous avez le moment précis en tête ?

Oh oui ! Ç’a été une séance de six jours dans ma loge. Six jours d’écriture et d’enregistrement avec mes collaborateurs et d’autres musiciens qui venaient et repartaient, 24 heures sur 24. Après ces six jours, j’avais le plan de l’album et j’ai pris les huit mois qui ont suivi pour le finir.

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We Are est un album très lumineux. Nous traversons depuis un an une période particulièrement sombre sur plusieurs aspects. Était-il important pour vous d’offrir cette œuvre faite de lumière et de positivité ?

Absolument. Je pense que, comme le dit l’inscription que j’ai mise sur la couverture, nous sommes dans un combat constant pour ne pas sombrer complètement dans la folie. Les temps sont sombres et cela vient de nous, de ce côté sombre que nous avons tous. Nous avons ces deux côtés qui se battent sans cesse pour prendre le dessus. Je pense que la musique, l’art et l’esprit de communauté nous aident à nous connecter à notre côté lumineux. C’est pourquoi je fais de la musique : pour guider les gens dans cette direction.

Quel est le rôle particulier du jazz dans cet objectif ?

La musique jazz est l’exemple le plus flagrant de la spiritualité transférée dans la musique. Le but du musicien jazz est de traduire son monde intérieur, son cœur, son esprit, dans un son qui ne ressemblera qu’à lui. Entendre ça dans des temps difficiles, ça aide les gens à se rendre compte qu’ils ont aussi cette unicité en eux.

Le film Soul de Pixar a été un grand succès. L’histoire du personnage principal, Joe, est en partie basée sur la vôtre. Le mouvement de ses mains et de son corps lorsqu’il joue du piano est calqué sur le vôtre. Et vous avez participé à la création de la musique du film. Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous lancer dans ce projet ?

J’ai l’impression que je suis né pour faire ce film. Il s’aligne si parfaitement avec moi sur plusieurs points : mon héritage, mes croyances, la musique, bien évidemment. […] Joe vient d’une famille musicale, comme moi. Son père est un musicien et l’a introduit à la musique, tout comme moi. Il a déménagé à New York, dans le Village, et c’est là que j’ai moi-même appris à être dans un groupe.

Ce film vous ressemble beaucoup, mais il a aussi rejoint énormément de monde…

Oui, et je pense que ça montre que les gens, en 2020, avaient besoin d’être connectés à leur âme [soul]. Quelque chose pour les faire réaliser qu’ils sont humains avant tout, malgré tout ce qui se passait, l’isolement, ce qui défilait dans les nouvelles…

Après tous ces projets et les accolades des derniers mois, quels sont les projets à venir pour vous, en plus de continuer à jouer au Late Show ?

Je veux écrire une symphonie ! Je travaille là-dessus et ce sera présenté pour la première fois en mai 2022, au Carnegie Hall [de New York]. Ça s’appellera The American Symphony, une composition de 40 minutes en quatre mouvements. Je travaille également sur une comédie musicale avec la famille de Jean-Michel Basquiat.