Ils tiennent bien haut le flambeau des arts dans des écoles secondaires de la province, allumant des passions qui durent des vies entières. Rencontres avec des enseignants inspirants et des artistes dont ils ont marqué la destinée. Aujourd’hui : Christine Beaulieu nous parle de Jean Pélissier, et vice versa.

Christine Beaulieu raconte

Oubliez Juliette pleurant son Roméo ou Agnès dans L’école des femmes de Molière. Le premier rôle que Christine Beaulieu a interprété sur scène n’est pas de ceux qu’on confie d’ordinaire à une jeune première. C’est dans la peau d’un homme, celle du comte Almaviva dans Le mariage de Figaro, que l’actrice a fait ses premiers pas sur les planches devant un public qu’elle a rapidement conquis.

C’était en 1998, à l’école secondaire Chavigny, à Trois-Rivières-Ouest. Christine Beaulieu était finissante et son professeur de théâtre, Jean Pélissier, avait pensé à elle pour incarner, dans le spectacle de fin d’année, ce rôle important de la pièce de Beaumarchais.

« Je suis rentrée sur scène avec ma barbichette, se souvient l’actrice qu’on a notamment pu voir dans le film Le mirage. Je devais séduire une comtesse et j’ai fait un petit bruit avec ma bouche pour attirer son attention. Ça a eu un effet immédiat dans la salle. Les gens se sont mis à rire. J’ai été estomaquée sur scène pendant ce qui m’a semblé une éternité. Pour moi, ç’a été un choc très, très fort. »

Encore aujourd’hui, je carbure à ça, à ce rire spontané au théâtre qui est quelque chose de très puissant. Le metteur en scène de J’aime Hydro, Philippe Cyr, me dit d’ailleurs souvent de slaquer ma Poune intérieure. Parfois, je veux trop en faire…

Christine Beaulieu

Pourtant, Christine Beaulieu était tout sauf un clown au secondaire. « Je n’étais pas la plus extravertie ni la plus cool de l’école. J’étais une fille bien ordinaire, plutôt gênée, qui ne pognait pas avec les gars. »

Le théâtre est entré dans son parcours scolaire tardivement. « Je jouais du cor français dans l’harmonie de l’école et c’était exclu pour moi de lâcher la musique. Or, on ne pouvait pas avoir deux options artistiques avant la cinquième secondaire. » Ce qui l’a convaincue d’ajouter l’art dramatique à son horaire ? Son enseignant de mathématiques !

En effet, avant d’être professeur de théâtre, Jean Pélissier était — jusqu’à sa retraite en 2015 — enseignant de mathématiques à l’école Chavigny. « J’étais dans sa classe en quatrième secondaire et j’adorais son cours, se souvient l’actrice. C’est un prof super intelligent, un excellent pédagogue. D’ailleurs, je préférais les maths au français à l’école. J’aime me casser la tête, résoudre des problèmes. Je suis quelqu’un d’assez logique. Cette année à étudier le théâtre a été déterminante pour moi. »

S’il n’y avait pas eu Jean Pélissier, je ne crois pas que j’aurais pris le même chemin. Je ne sais pas ce que je ferais aujourd’hui…

Christine Beaulieu

La personnalité « très groundée » de son enseignant a énormément joué dans la décision de Christine Beaulieu de se lancer dans le théâtre scolaire.

« Jean est quelqu’un de très rationnel, très terre-à-terre. Comme moi. Je ne pense pas que je me serais lancée là-dedans avec un prof super flyé. Jean me mettait en confiance… Il me donnait le goût de me dépasser. »

Aussi, lorsque l’enseignant et son acolyte avec qui il dirigeait l’option théâtre, Michel Pilote, lui ont confié le rôle du comte Almaviva, elle n’a pas rechigné, malgré les doutes. « Je me suis dit : s’ils me donnent ce rôle, c’est que je suis capable. C’était gros pour moi, ce spectacle. Je n’étais pas celle qui avait le plus confiance en soi… »

« Même mes parents étaient étonnés de me voir sur scène, je pense. J’ai trois sœurs et elles sont toutes plus expressives que moi. Ma sœur plus vieille gagnait des concours d’art oratoire, mes sœurs plus jeunes sont des clowns sur deux pattes. »

C’est tout de même elle, la matheuse, travaillante et studieuse, qui a eu sur scène le déclic qui allait changer sa vie. À cause des rires du public devant son interprétation d’un homme à barbichette.

Encore aujourd’hui, je ne comprends pas pourquoi Jean m’a confié ce rôle important dans la pièce. Il y avait des élèves avec plus d’expérience que moi. Qu’est-ce qu’il a vu qui l’a convaincu que je serais capable de jouer cet homme ?

Christine Beaulieu

Elle n’a pas pensé lui poser la question lorsqu’elle l’a revu, le soir où elle est allée présenter J’aime Hydro pour la première fois à la salle J.-Antonio-Thompson de Trois-Rivières. « Après la représentation, je suis descendue dans le hall et j’ai vu Jean en compagnie de mon professeur de musique, Claude Sheridan, et de mon professeur de géographie, Michel Tanguay. Ces trois profs ont été les plus marquants de mon secondaire. Ils s’étaient déplacés. Ça m’émeut encore d’y penser. Eux connaissent la petite fille qui était là avant… »

Jean Pélissier raconte

PHOTO FRANÇOIS GERVAIS, LE NOUVELLISTE

Jean Pélissier, enseignant de théâtre et de mathématiques à la retraite

« Pourquoi j’ai donné le rôle du comte Almaviva à Christine ? Parce qu’elle était bonne, tout simplement, dit Jean Pélissier. Je savais aussi qu’elle accepterait le défi, que le travail serait fait avec sérieux et qu’elle saurait son texte par cœur en deux secondes. »

Ce qu’il ne savait pas, c’est à quel point Le mariage de Figaro allait être marquant dans le parcours de cette dernière.

Plus de 20 ans après les représentations, Jean Pélissier se souvient encore très bien de l’interprétation de son ex-élève. « Quand elle est arrivée sur scène, avec son pinceau au bout du menton, c’était magnifique ! Tout le monde est parti à rire. Pas par moquerie, mais par bonheur. Le public savait que la pièce serait bonne ! Mais quand même, j’ai été surpris par sa performance et par la réaction du public. »

« Elle nous amusait, avec sa façon de bouger, de parler. Comme c’est une fille intelligente, elle comprenait les intentions de jeu des autres personnages et elle réagissait. Ça prenait une enfant plus mature que les autres pour jouer ce rôle. »

La performance de Christine Beaulieu était d’autant plus étonnante que l’élève n’avait qu’une année d’expérience en jeu, contre cinq pour la plupart de ses pairs. En effet, elle avait rejoint un groupe déjà formé depuis la première secondaire. Pour gagner sa place, elle avait dû passer une audition (en interprétant une fable de La Fontaine) et réussir un examen théorique sur l’histoire du théâtre.

« L’audition servait surtout à voir l’intérêt de l’élève et son aisance sur scène. Pour Christine, tout était parfait. »

Elle était performante dans tout ce qu’elle touchait. Elle avait déjà une réputation de sportive ; tous les entraîneurs la voulaient dans leur équipe.

Jean Pélissier

Pourtant, Christine Beaulieu se décrit elle-même comme une adolescente plutôt ordinaire, qui était loin d’être certaine d’être à la hauteur du rôle que son enseignant lui avait confié… « Ce qu’elle est en train de dire, c’est qu’elle avait le trac, croit Jean Pélissier. Lorsque Christine n’était pas certaine d’être bonne, sa réponse était de travailler encore plus fort, de se remettre en question. C’était aussi une élève très sérieuse, très curieuse, et je crois que c’est par curiosité qu’elle a décidé de faire du théâtre. »

La curiosité a aussi poussé Jean Pélissier à emprunter un chemin professionnel peu orthodoxe. Ingénieur forestier de formation, il a travaillé pendant 10 ans en coopération internationale, en Tunisie notamment, avant de faire le saut en enseignement des mathématiques. Le théâtre ? « J’en avais fait au secondaire, mais aussi à l’Université Laval, en parascolaire. Et j’aimais beaucoup Les beaux dimanches ! »

Au début des années 1990, quand des élèves lui demandent d’offrir des activités de théâtre, il n’hésite pas. « À l’époque, la direction disait oui à tous les projets de fou : des descentes de rivières en canot, des sorties dans le bois, du théâtre. Je me souviens que cette année-là, on avait présenté Lysistrata d’Aristophane, dans une adaptation de Michel Tremblay. L’année suivante, la direction m’a demandé de mettre sur pied, de A à Z, un programme complet pour des cours de théâtre. La première année, il y avait 65 élèves de 3e, 4e et 5e secondaire dans le groupe et on se promenait de local en local… »

Le programme est costaud pour les apprentis comédiens : histoire du théâtre, grands dramaturges depuis le théâtre grec jusqu’au XXe siècle… En 2008, sous l’impulsion de Jean Pélissier, le théâtre est devenu une concentration scolaire en bonne et due forme. Au fil des ans, l’enseignant a engagé des professionnels du théâtre pour offrir des classes de maître et a créé « le plus grand costumier à l’est de Montréal, avec 10 000 costumes ». Chaque année depuis bientôt 12 ans, les élèves de 5e secondaire participent aussi à des festivals de théâtre étudiant à l’étranger.

Tout au long de ses 25 années de carrière en enseignement, Jean Pélissier a balancé avec un plaisir égal entre les mathématiques et le théâtre. « Je dis souvent que chez moi, le théâtre a apporté de la folie aux mathématiques et que les maths ont apporté de la rigueur au théâtre. »

La rigueur théâtrale fait aussi partie de l’ADN de Christine Beaulieu, en particulier avec la création de la pièce documentaire J’aime Hydro. « J’ai vu le spectacle et j’ai immédiatement reconnu l’élève qu’elle était, dit Jean Pélissier. Elle a pris de l’assurance depuis son comte Almaviva, mais c’est la même personne qui s’attaque à un projet avec sérieux, qui travaille fort. Elle a été approchée pour faire une pièce sur Hydro-Québec… Elle ne connaissait rien là-dedans, mais elle a décidé de le faire, de relever le défi. »

Pour le plus grand bonheur de son ancien enseignant…

La semaine prochaine : Rachel Graton