À la terreur ordinaire du monde adulte (impôts, maladie, budget, entrevues d’embauche, lunchs parfaits pour les enfants), les fans de films d’horreur opposent monstres, vampires, fantômes et maniaques à la tronçonneuse, dans le seul but d’apprivoiser cette étrange émotion qu’est la peur, à mon humble avis. Les amateurs de films d’horreur sont de grands anxieux, au fond, qui cherchent à vivre autre chose au cinéma que le rire ou les larmes. La plupart de ceux que je connais sont sensibles, pacifiques ou végétariens. Un peu mélancoliques peut-être, mais ils savent faire la différence entre la réalité et la fiction.

Apprivoiser la peur est en tout cas comment je m’explique mon intérêt. J’ai dû voir tout ce qu’il était possible de voir dans ce rayon au club vidéo, quand j’étais ado et que j’avais peur de la vie. Du pire navet au chef-d’œuvre, et je conserve mon affection pour ce genre qui change le mal de place en plaçant le mal au centre.

Maintenant que la vie ordinaire est devenue une sorte de tragi-comédie d’horreur, avec une pandémie et des élections américaines angoissantes qui tiennent les gens enfermés à la maison, mais sur le bout de leur chaise, la catharsis promise par le cinéma d’horreur semble un peu moins efficace. Mais paraît-il que ceux qui y ont carburé seraient plus aptes à s’adapter à la situation présente.

Une récente étude, citée par le magazine Vice, confirme que les fans d’horreur vivent moins de détresse et supportent mieux la réalité pandémique que ceux qui préfèrent d’autres genres de films, parce que ces cinéphiles en particulier expérimentent « des émotions négatives dans un environnement sécuritaire », ce qui leur permet d’apprendre à vivre avec la peur et à y faire face dans la vie de tous les jours (où, bien qu’un virus circule, il n’y a pas de zombies).

> Lisez l’article de Vice (en anglais)

C’est un peu une vérité de La Palice qu’imaginer le pire prépare au pire.

D’avoir vu quantité de films-catastrophe nous aide peut-être à relativiser ce qui arrive en ce moment, qui n’est pas aussi spectaculaire que, disons, une épidémie du virus Ebola ou une attaque extraterrestre. Et puisque nous sommes en plein dedans, avec sept mois d’expérience dans le corps, on sait que ça prendra fin platement, sans musique pompeuse au générique, dans un avenir rapproché.

On peut maintenant se tourner vers les élections américaines, qui vont se dérouler peu de temps après Halloween, avec une sorte de croque-mitaine à la Maison-Blanche. Devant les frasques quotidiennes du président des États-Unis, on entend souvent des commentateurs dire que c’est digne d’un « scénario hollywoodien ». Or à Hollywood, à peu près tous les films finissent bien. Quand il y en a un qui ose se terminer sur une mauvaise note, les sites de cinéma sont remplis de gens qui exigent d’être remboursés – en argent ou en heures perdues à voir le film –, ce qui me fait toujours rigoler.

IMAGE FOURNIE PAR UNIVERSAL PICTURES

Image tirée du film The Purge

J’ai un penchant pour les films d’horreur qui finissent mal. Ça me vient d’une vieille interview de Roman Polanski qui disait en gros qu’un film qui finit bien s’annule. En ce sens que nous sortons du cinéma rassurés – le méchant est mort ou va revenir dans la suite, le héros ou l’héroïne s’en sort, etc. Sa cinématographie le prouve (et, malheureusement, sa propre vie aussi) ; on reste hantés par les finales de Chinatown, Le bébé de Rosemary ou Le locataire. Enfin, si on a envie d’imaginer le pire en ce moment, on peut se tourner vers la série de films The Purge ou alors Joker, qui a fait un tabac l’an dernier.

La plupart des films d’horreur qui nous divertissent sont basés sur le canevas d’une menace extérieure. Mais c’est surtout quand la menace est intérieure que ça devient intéressant ou terrifiant (et que ça vire mal). Un peu comme dans le classique de 1979 de Fred Walton, When A Stranger Calls (Terreur sur la ligne en français), où une gardienne d’enfants harcelée par un individu au téléphone, et qui verrouille toutes les portes, finit par découvrir que les appels proviennent de l’intérieur de la maison. Voir ça à 14 ans te terrorise jusqu’à la fin de ta carrière de baby-sitter, mais c’est quand même une belle métaphore à la fois de la présidence américaine en ce moment (« il est dans la maison ») et du coronavirus.

Plus efficace encore est lorsque l’ennemi est dans son propre camp, dans son propre groupe, dans sa propre famille, voire dans sa propre tête. Les films de zombies de Romero ou la série The Walking Dead fonctionnent là-dessus. Hereditary d’Ari Aster ou Us de Jordan Peel aussi.

Un de mes films préférés à ce sujet, sous-estimé probablement parce qu’il finit mal, est The Mist de Frank Darabont, sorti en 2007, une adaptation d’une novella de Stephen King. Un groupe de gens doit se réfugier dans un supermarché quand de méchantes créatures venues d’une autre dimension envahissent leur ville. Ils pourraient tenir si la peur ne les montait pas les uns contre les autres, notamment par les discours d’une folle de Dieu qui pense que c’est le temps d’expier les fautes et de sacrifier quelques pécheurs. Je ne vous dis pas la fin, mais c’est la perte de l’espoir qui finit par perdre même les plus courageux.

En attendant le résultat des élections américaines où l’on espère, peu importe qui gagne, que ça ne se termine pas dans l’autodestruction, il ne nous reste qu’à nous faire des peurs… pour avoir moins peur.