C’est généralement comme lecteurs ou spectateurs que les mordus de sensations fortes vont assouvir leurs passions pour l’effroi. Bien sûr, les plus braves s’aventurent à participer aux rares expériences d’horreur en grandeur nature, mais la COVID-19 est malheureusement venue paralyser la majorité des jeux de rôles ou d’évasion. N’empêche, il existe d’autres outils récents qui permettent de distiller la peur en immersion presque totale.

Jouer pour avoir peur

« C’est rare de voir quelqu’un qui n’arrive pas à finir le visionnement d’un film d’horreur, mais bien des gens m’ont dit qu’ils n’avaient pas réussi à terminer Outlast. C’est parce que le stress et l’angoisse sont beaucoup plus élevés dans un jeu vidéo. »

Évidemment, Philippe Morin prêche pour sa paroisse. Mais avec plus de 15 millions d’exemplaires vendus depuis le lancement du premier Outlast, en 2013, le cofondateur du studio montréalais Red Barrels en connaît un bout sur la peur et l’horreur. « Les émotions sont plus viscérales, tu n’es pas dans un état passif, tu sais que tes actions peuvent avoir une conséquence, ça vient décupler le stress, affirme celui qui a démarré Red Barrels avec deux autres anciens de chez Ubisoft, David Châteauneuf et Hugo Dallaire. Au cinéma, tu as toujours le goût de dire au personnage de ne pas s’aventurer dans le coin sombre ; ici, c’est toi qui n’as pas le choix d’y aller pour avancer dans le jeu. On tient le joueur par les tripes. »

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Les trois cofondateurs de Red Barrels, David Châteauneuf, Hugo Dallaire et Philppe Morin, ont quitté Ubisoft expressément pour créer le jeu d'horreur Outlast, l'un des plus grands succès du genre.

C’est en effet le cas. On est happé par une ambiance glauque et oppressante dès les premières minutes du jeu, peu importe qu’il s’agisse du premier ou du deuxième volet.

« Pour le premier jeu, on a passé au moins six mois à faire des modifications à la première heure du jeu, on voulait trouver la formule idéale pour bien vendre l’atmosphère, affirme Philippe Morin. On voulait que le joueur soit aspiré dès les premières minutes. Aussi, le moins on en fait, le mieux c’est. »

Pour que l’ambiance soit efficace, il faut laisser de la place au joueur, sinon il devient trop concentré sur la mécanique, il perd l’ambiance. On insère donc plein de petits évènements, des trucs de mise en scène qui laissent le joueur s’immerger tranquillement, pour mieux le préparer à son premier “jump scare”.

Philippe Morin, cofondateur du studio Red Barrels

On utilise donc la même formule qu’au cinéma – Philippe Morin et ses complices sont d’ailleurs boulimiques de films et de livres d’horreur et se font un point d’honneur de colliger les idées qui peuvent les inspirer dans la création de scènes de jeu interactives. On veut d’ailleurs pousser encore un peu plus loin l’interactivité dans les prochains chapitres de la série Outlast Trials, qui doit sortir l’an prochain et dont les premières images viennent d’être dévoilées, va se jouer en mode coopératif, les joueurs tentant d’échapper à ce qui reste d’un centre d’expérimentations médicales secret qui a bien mal tourné.

« On est en train de travailler sur des outils de programmation qui vont permettre de réagir en fonction des actions des joueurs, explique Philippe Morin. Normalement, c’est assez linéaire, les évènements surviennent à des endroits précis ; ce qu’on développe permet de conserver une trame scénaristique précise, mais la surprise ne sera pas toujours derrière la même porte… »

Tout ça dans le but de faire peur, en prenant un malin plaisir à pousser les joueurs dans leurs derniers retranchements. « Travailler pour faire peur au monde, c’est le fun, avoue Philippe Morin en rigolant. D’ailleurs, quand on voit quelqu’un de l’équipe grincer des dents pendant le développement, on sait alors qu’on est sur la bonne piste ! »

Réalité sonore augmentée

IMAGE FOURNIE PAR RADIO-CANADA

La balado de fiction Écho, sortie le 20 octobre sur la plateforme Ohdio de Radio-Canada, a nécessité neuf jours d'enregistrement, sept semaines de montage et de conception sonores ainsi que deux semaines de mixage.

Autant le jeu vidéo répond à ses propres codes, autant la balado de fiction est en train de créer les siens, notamment grâce à l’utilisation de techniques d’enregistrement en trois dimensions qui commencent à peine à être explorées. Le réalisateur Michel Montreuil est l’un de ceux qui expérimentent avec cette technologie, et sa plus récente création montre à quel point ce nouveau média trouve sa place dans le milieu de l’épouvante.

La balado Écho, scénarisée par nul autre que le maître de l’horreur Patrick Senécal, vient d’être mise en ligne sur la plateforme Ohdio de Radio-Canada. On y plonge littéralement dans la tête d’une jeune patiente atteinte de schizophrénie et le résultat est angoissant à souhait. Pendant les neuf jours d’enregistrement, les comédiens – Céline Bonnier, Nahéma Ricci et Normand D’Amour, entre autres – ont joué leurs rôles dans des lieux réels, les micros binauraux suivant les protagonistes dans leurs mouvements comme s’il s’agissait d’une caméra. Cela permet à l’auditeur de créer dans son casque d’écoute une impressionnante image sonore virtuelle tridimensionnelle. On est donc à des années-lumière du radio-roman.

C’est comparable à un livre, mais l’auditeur a ici un rôle actif, il ne peut pas prendre son temps pour visualiser les choses, il doit imaginer à la même vitesse que ce qu’il écoute.

Le réalisateur Michel Montreuil

« Mais c’est aussi comparable avec le film, parce que je travaille avec des acteurs en mouvement, poursuite Michel Montreuil, qui se consacre à la création de balados depuis son arrivée à Radio-Canada, il y a une dizaine d’années. On fournit les voix, le rythme et les intentions, l’auditeur n’a que le visuel à créer. »

Par contre, il n’a pas voulu suivre les recettes propres au cinéma ou même au jeu vidéo, qui carburent aux surprises inattendues (jump scares) et aux montées musicales dramatiques. « On ne voulait pas que la peur soit générée par la surprise, on voulait qu’elle vienne de la situation et de l’ambiance, soutient Michel Montreuil. Quant à la musique, on est à mi-chemin entre la conception sonore et la trame musicale traditionnelle ; elle sert à donner des indices sur les réactions des personnages, c’est davantage un indicateur qu’un provocateur de tension. »

Une recette qui produit un résultat plus intime, plus intense. « Au cinéma ou à la télé, tu as la distance entre les yeux et l’écran qui te protège un peu, soutient Michel Montreuil. Avec un casque d’écoute, c’est direct, tu ne peux pas te fermer les oreilles quand tu as trop peur. Aussi, certains des grands outils de la peur au visuel sont les jeux d’ombres et de lumière ; là, on est dans le noir total, on est obligé de faire aller son imagination, et ça peut être encore plus angoissant. »

C’est pourquoi le réalisateur recommande d’écouter Écho dans l’obscurité, pour une immersion maximale. « Se faire raconter une histoire, le soir dans son lit, on ne fait plus ça ! affirme-t-il. C’est justement un des aspects qui peut être le plus épeurant ; la balado de fiction n’a pas de codes établis, j’aurais peur de savoir jusqu’où ça peut se rendre… »

Host, un tremplin pour Shudder

IMAGE FOURNIE PAR SHUDDER

Entièrement tourné sur Zoom et bouclé en 12 petites semaines par le réalisateur et producteur Rob Savage alors que le monde entier était en confinement, le film Host s’est avéré l’un des phénomènes les plus étonnants de 2020. Il est aussi devenu un tremplin inespéré pour Shudder, plateforme de diffusion consacrée à l’horreur qui vient de franchir la barre du million d’abonnés. Bien que des films semblables aient déjà été tournés, notamment Unfriended en 2015, Host est criant d’actualité – on s’imagine aisément à la place des protagonistes qui organisent pour le plaisir une séance de spiritisme en ligne. Évidemment, ça tourne plutôt mal. D’ailleurs, les créateurs et les comédiens de Host participent samedi au Shudder Fest, évènement en ligne gratuit offrant conférences et présentations spéciales en direct avec plusieurs ténors du monde de l’horreur.

Lancé il y a cinq ans, Shudder entend donc profiter du succès de Host, notamment en continuant de garnir son catalogue de plusieurs classiques du genre, mais aussi en assurant le développement de productions originales comme Creepshow – série inspirée de l’œuvre créée en 1982 par George A. Romero et Stephen King – mais aussi Horror Noire – un documentaire portant sur l’héritage afro-américain dans le domaine de l’horreur – ou encore Cursed Films, une docusérie qui se penche sur le tournage de films que l’on dit maudits, tels Poltergeist ou The Omen.

> Consultez le site de Shudder Fest (en anglais)