Sébastien Ricard et sa complice Brigitte Haentjens ont décidé de profiter du cinquantenaire de la crise d’Octobre pour mener à terme un projet qu’ils caressaient depuis des années autour des évènements de l’automne 1970. Ils lancent ce vendredi Pour en finir avec Octobre ?, balado en neuf épisodes où le duo souhaite notamment relancer le débat à propos de l’héritage laissé par ces 11 journées de crise sur le Québec d’aujourd’hui.

Sébastien Ricard est formel : 50 ans après les faits, il est encore très difficile d’aborder librement le sujet de la crise d’Octobre. « La dimension politique de notre histoire pose encore problème au Québec et les évènements d’Octobre l’illustrent de manière exemplaire. Il y a encore beaucoup d’interdits autour de la crise. On est devant un refoulement collectif… »

Il en a eu la preuve, dit-il, lors du Moulin à paroles auquel il a participé, sur les plaines d’Abraham en 2009. « On a voulu lire le manifeste du Front de libération du Québec ; aussitôt, le Parti libéral a voulu faire capoter le projet en décrivant les organisateurs comme des gens qui soutenaient le terrorisme et l’assassinat. Que la présence de ce texte puisse générer des propos comme ceux-là, ç’a été un choc ! Ç’a été un moment déterminant dans l’éveil de ma conscience politique. Même si je ne l’ai pas vécue, la crise d’Octobre est un évènement qui a considérablement teinté ma vie, mon éducation et ma conception de la société. J’en suis convaincu. Et le fait d’être né après la crise, en 1972, me donne une liberté que ceux qui l’ont vécue n’avaient pas. »

L’acteur et membre du groupe Loco Locass a donc décidé de prendre la plume et de coucher ses réflexions sur papier. Pour nourrir sa pensée, il a lu les récits des incarcérés à la suite de la promulgation de la Loi sur les mesures de guerre, a interrogé des témoins de l’époque. Il est sorti « troublé » de ces recherches, mais plus que jamais convaincu que « la narration officielle de la crise d’Octobre est partiale et partielle ».

On veut rouvrir Octobre, faire un retour sur cet évènement pour le requestionner et aussi faire découvrir à des jeunes des réalités très peu enseignées à l’école. Un aspect est souvent oblitéré par le récit officiel, et c’est tout ce qui précède la Loi sur les mesures de guerre.

Sébastien Ricard

« Il y avait à ce moment-là une prise de conscience collective qui est lumineuse pour moi. C’est un moment de lucidité collective qui est sans pareil dans l’histoire récente du Québec. C’est sûr que c’est [à rebours] du récit officiel, mais c’est ce qui m’a intéressé, ce que j’ai voulu explorer », continue-t-il.

Sébastien Ricard poursuit : « Le caractère traumatique de la crise d’Octobre, soit la mort de Pierre Laporte, contribue au tabou. Cette mort a tout absorbé, y compris le trésor de cette lucidité collective. Mais on oublie les mesures de guerre, l’occupation, les enfermements et la conséquence que ces gestes d’une extraordinaire puissance ont eue sur la société. Il n’y a pas à mon sens d’avenir politique pour le Québec sans un retour sur ces évènements-là. »

Brigitte Haentjens ajoute : « C’est un sujet difficile à aborder sur la place publique, car le débat devient vite très émotif. Pourtant, c’est un sujet immense, car il témoigne de quelque chose qui est plus profond et qui est toujours actif : une aliénation mutuelle entre le Canada et le Québec. Une impossible libération, pas forcément dans le sens de l’indépendance, mais d’une emprise dont il est difficile de se dégager… »

Des textes signés Sébastien Ricard

L’ossature de cette balado est composée en grande partie des textes de Sébastien Ricard, qui se concentrent sur 11 journées de crise, depuis l’enlèvement de James Richard Cross jusqu’à la promulgation de la Loi sur les mesures de guerre.

La balado n’est pas un document historique. Notre démarche est plus personnelle. Et c’est vraiment Sébastien, l’écrivain du projet. C’est la première fois qu’il se mouille, seul, à l’écriture. Ses textes sont denses, profonds.

Brigitte Haentjens

« Il y a dans l’écriture une sorte d’affranchissement. À l’âge que j’ai, il est temps pour moi de prendre la parole, je crois », ajoute Sébastien Ricard.

Pour varier les voix, les coidéateurs ont fait appel à quelques acteurs pour lire différents textes, notamment ceux de Francis Simard, d’Andrée Ferretti ou de Michel Garneau. Marc Béland, Marc Beaupré, Sylvie Drapeau et Mani Soleymanlou ont notamment accepté l’invitation.

Les huit premiers épisodes de la balado, d’une vingtaine de minutes chacun, seront offerts du 16 au 23 octobre sur le site web de la Scène nationale du son et de la Fabrique culturelle, ainsi que sur Apple Podcasts, Google Podcasts et Spotify. L’épilogue, quant à lui, sera capté en direct du Diamant de Québec le 24 octobre. Y participeront, outre Sébastien Ricard et Brigitte Haentjens, Jacques Leblanc, Robert Lepage et les élèves du Conservatoire d’art dramatique de Québec.

> Consultez le site de la Scène nationale du son