Le père d’André Ducharme n’est pas mort de la COVID-19, mais il s’est éteint sans sa famille dimanche, dans la zone rouge des urgences de l’hôpital Pierre-Boucher, à Longueuil. En lui rendant hommage dans un texte sur Facebook, qui lançait en passant une pointe aux « coucous » qui ne croient pas à la pandémie, André Ducharme ne pensait pas que son message allait être relayé plus de 20 000 fois. Il a refusé toutes les demandes d’entrevue, même celle de Tout le monde en parle, où il travaille pourtant comme script-éditeur avec son ami de RBO Guy A. Lepage, parce qu’il ne se sentait pas « assez solide ». Mais il a accepté de me parler, parce que nous avons vécu un peu la même chose.

J’ai perdu ma belle-mère en mai dernier dans des circonstances similaires et, s’il est déjà difficile de perdre un être cher, dans le contexte actuel, c’est crève-cœur. Chaque fois que je vois quelqu’un passer par là, ça me bouleverse, car je sais ce qu’il vit. L’angoisse, l’absurdité, l’hébétude, et le regret que nous traînerons toujours de ne pas avoir été là dans les derniers moments.

« Dans mon message, je dis que mon père est mort seul, m’explique André Ducharme au téléphone. En fait, il y avait des gens autour de lui, mais il est mort sans nous. Tu ne peux pas accompagner une personne malade à l’urgence, à moins que cette personne ne soit pas en état de parler ou si c’est un enfant. Mais cela fait en sorte aussi que nous n’avons eu aucune nouvelle de son état de santé pendant 24 heures parce que les infirmières n’ont pas le temps. Ma mère était seule dans son appartement et ne savait pas l’état de son mari. Ce qu’on a su à un moment donné, c’est qu’il était mort. C’est arrivé vite. Je ne sais pas s’il était relativement conscient quand il est décédé, mais j’imagine la peur. »

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

À la suite de la mort de son père, André Ducharme a publié un texte sur Facebook qui a été relayé plus de 20 000 fois.

Ça sert à cela, accompagner quelqu’un. Le rassurer, lui parler, lui tenir la main. Et tu ne peux pas faire ça.

André Ducharme

Le père d’André Ducharme avait 93 ans et des problèmes cardiaques. « Il y en a qui vont dire qu’il serait mort pareil, et c’est un fait, je ne remets pas ça en question, souligne-t-il. Mais comme il est arrivé avec des problèmes respiratoires, il a été placé en zone chaude. On lui a fait un test, il n’avait pas la COVID-19, c’est clair dans mon message, mais il y en a qui ne comprennent pas. Il ne sera pas une statistique de la COVID, contrairement à une des légendes qui disent que chaque personne qui meurt est COVID et que des médecins reçoivent 30 000 $ pour écrire ça sur le certificat. J’ai dû entrer en zone chaude pour le voir, je n’ai pas eu le choix. Quand je leur ai dit que ma mère, qui a 87 ans, voulait le voir aussi, ils ont été très corrects, ils l’ont déplacé en zone froide. Mais quand même, ce sont tous ces petits détails qui font la différence. »

Ce qu’André a pu voir aussi est le bouillonnement aux urgences. « Il y a une affaire qui me dérange beaucoup, ce sont ceux qui disent qu’il n’y a personne dans les hôpitaux, que les urgences sont vides. Quand j’ai mis le pied là, j’ai vu la différence avec l’an passé. Ça n’arrête pas de courir, c’est fou. »

Tout le monde souffre

Comment était Jean-Louis, le père d’André ? « Un vieux christ, lance-t-il en riant. Un homme de peu de mots, bien de son époque. Un ancien travailleur de la construction, qui a bâti entre autres le siège social d’Hydro-Québec. Avec Rock et Belles Oreilles, nous en avions fait un personnage exagéré, celui du père de la Famille d’autrefois. »

Si les réponses au message d’André Ducharme ont été à 99 % empreintes de compassion, il tient à le souligner, il y a bien sûr quelques « coucous », comme il les appelle, pour lui écrire toutes sortes d’affaires, certaines cruelles. « Je pense que ça vient beaucoup d’une incompréhension et d’une frustration. Il y a des psychologues qui expliquent bien ce phénomène. C’est simple de dire qu’il y a un virus qui fait le tour du monde et qu’il est contagieux. Mais il y a des gens qui ne croient pas à l’explication simple. C’est pour ça que je reçois des messages où on me demande combien Bill Gates m’a payé pour écrire ce statut Facebook, et la personne qui m’écrit ça, elle est convaincue que Bill Gates m’a payé, je te jure. »

« J’ai juste écrit ça en me disant qu’il fallait que je fasse quelque chose pour mon père, c’est tout, poursuit-il. Mais il y a des gens qui pensent qu’en publiant ça, je suis complice du gouvernement et que je ne remets pas en question les mesures. Je ne suis pas d’accord avec toutes les mesures qui ont été prises ! L’histoire du masque, par exemple, ça a été super mal géré, ça n’a pas de bon sens ! »

Si André Ducharme dit ça, c’est que son fils habite Hong Kong. Il était là-bas lorsqu’on a entendu parler d’un virus qui circulait en Chine. Ce qui l’a fasciné, c’est que dès le lendemain, sans aucune imposition des gouvernements, tout le monde portait un masque. « C’est la grosse différence avec nous. Ici, il faut que le gouvernement te dise de faire quelque chose pour que tu le fasses. Je trouve qu’on est dépendant en tabarouette des gouvernements. Alors qu’à Hong Kong, les gens l’ont fait spontanément, sans questionnement, sans protester. Là-bas, quand ils descendent dans la rue, c’est pour autre chose. En fait, ils ont arrêté de descendre dans les rues, il n’y a pas eu de manifestations pendant plusieurs semaines, parce que les gens savaient qu’il ne fallait pas en faire. »

L’autre difficulté d’André Ducharme est d’être éloigné de son fils et de son petit-fils, ce qui lui fait aussi mal que la mort de son père. « Je me fais beaucoup attaquer parce que je travaille à Tout le monde en parle, que je suis une personnalité – pas si grosse que ça, mais quand même. Dans l’esprit de certaines personnes, je suis un privilégié, je fais partie de la conspiration et j’en profite. Alors que moi, la pandémie, elle m’a enlevé mon show de TV [Un souper presque parfait], puis elle fait en sorte que je ne sais pas quand je vais revoir mon fils et mon petit-fils. »

Soudain, sa voix tremble et il craque, ce qui me fait craquer aussi. « Moi aussi, j’en arrache. Tout le monde en arrache. Ah oui, et mon père est mort, j’oubliais. Je me suis ramassé chez le médecin il y a un mois en braillant parce que je n’étais plus capable. »

Tout le monde vit cette détresse et c’est normal. Mais il faut se mettre ensemble, il ne faut pas blâmer l’autre, il faut vivre ça collectivement et combattre collectivement.

André Ducharme

N’est-ce pas la Dre Joanne Liu, sommité mondiale dans la lutte contre les épidémies, qui disait justement à TLMEP que les populations pardonneront tout sauf de ne pas avoir pu dire adieu à leurs proches ? « Et tu as remarqué que le gouvernement a changé sa consigne le lendemain ? me dit André Ducharme. C’est un des trucs que TLMEP a faits dans cette pandémie. »

Je ne me suis pas remise encore de la mort de la belle-mère, encore moins mon chum, parce qu’elle semble avoir disparu dans la brume et qu’on n’a pas pu encore faire de funérailles. Le fond d’écran de mon ordinateur, c’est la photo de notre amie Denise, qui a combattu la COVID-19 pendant deux semaines dans le CHSLD où elle habitait parce qu’elle était handicapée, sans qu’elle puisse parler à personne avant sa mort au printemps. Combien sommes-nous à nous demander quels ont été les derniers moments des personnes que nous aimions ? Qui ne pourrons jamais oublier les circonstances terribles de ces deuils ? Et encore moins croire que cette pandémie n’existe pas ?

Je lui ai dit de vive voix, mais je l’écris de nouveau ici : mes condoléances, André.