C’est l’hécatombe : en l’espace de six jours, Renée Claude, Monique Mercure et maintenant Michelle Rossignol nous ont quittés sur la pointe des pieds. Comme l’ont fait Andrée Lachapelle et Monique Leyrac quelques mois avant elles. Autant de grandioses interprètes de la même génération, de femmes éprises de liberté, d’artistes passionnées qui avaient en commun d’avoir à cœur la promotion de la culture québécoise. Et qui savaient bien l’exprimer avec toute la grandeur de leur âme.

Espérons qu’au-delà des hommages bien mérités qu’on leur rend ces jours-ci dans les médias, ces trésors nationaux demeureront longtemps présents dans notre mémoire collective, même si le Québec d’aujourd’hui n’aime pas particulièrement regarder dans le rétroviseur.

Précisons une chose : malgré les modes qui changent et l’âge qui avance, ces « vieilles » dames se sont toujours intéressées à la jeunesse, à la création, à la nouveauté dans leur domaine. 

Elles ont travaillé avec acharnement durant des décennies, parallèlement à leurs obligations familiales et personnelles, pour ennoblir leur métier. Elles ont tracé le chemin de leur art — l’interprétation — en le portant un peu plus haut, un peu plus loin.

Juste retour des choses, donc, de se rappeler que ces pionnières ont ouvert la voie à la liberté et à la polyvalence des artistes québécois d’aujourd’hui. Surtout durant la présente pandémie, alors qu’il est si difficile de dire adieu aux gens qu’on aime.

La beauté de notre monde

Il était une fois des égéries. Andrée, Renée, Michelle, Monique et Monique… Cinq femmes fortes et sensibles, battantes et vulnérables, douées et inquiètes, qui se sont donné, sans se concerter, une même mission : nous faire ressentir la beauté du monde. De notre monde. En portant la parole des auteurs québécois au théâtre, au cinéma, à la télévision et en chanson. Leurs voix ont interprété nos plus grands auteurs : Marcel Dubé, Michel Tremblay, Claude Gauvreau, Jean-Claude Germain, Normand Chaurette, Luc Plamondon, Stéphane Venne, chez les hommes ; et les Jovette Marchessault, Denise Boucher, Carole Fréchette, entre autres créatrices.

Le chroniqueur Mario Girard rappelait, l’an dernier dans nos pages, que Michèle Lalonde avait confié à Michelle Rossignol la première lecture publique de Speak White, en 1968, deux ans avant que la poétesse l’immortalise durant la Nuit de la poésie.

> Lisez la chronique de Mario Girard sur Speak White

Entre Racine et Gauvreau, entre Genet et Miron, le cœur de Michelle Rossignol penchait toujours du côté des Québécois. 

On lui doit d’ailleurs le déménagement du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, qui se consacre à la création de textes québécois, d’un fond de cour de l’avenue Papineau au beau lieu actuel au cœur du Plateau.

Michel Tremblay a donné à chacune d’elles des douzaines de beaux personnages féminins. L’auteur a écrit lundi sur Facebook qu’« un grand pan de notre vie créatrice s’est écroulé en vingt-quatre heures », avec la mort de Monique Mercure et Michelle Rossignol. Avant lui, à l’émission 24-60 de RDI, Clémence DesRochers, émue par le décès de Renée Claude, a souligné que toute une époque disparaissait peu à peu. Et avec elle, une certaine ferveur de la création artistique québécoise, de ces « arts vivants » dont on se demande comment ils renaîtront à la fin de la pandémie…

Pour ne pas oublier

Certes, personne n’est irremplaçable. D’autres voix vont émerger et nous émouvoir dans un avenir rapproché. C’est le cycle de la vie. Il serait dommage, toutefois, qu’on oublie ces femmes qui ont été des muses et pionnières de notre imaginaire collectif.

Heureusement, certains jeunes créateurs les gardent bien en mémoire. Lundi, le comédien, poète et auteur Dany Boudreault a rendu un magnifique hommage à Michelle Rossignol, qui a été sa professeure de jeu à l’École nationale de théâtre en 2006 et 2007. « Des fois, je m’en veux. Je nous trouve poches collectivement, moi inclus, de notre manque de curiosité envers cette génération de pionnier.es. Il y a de ces gens qui, comme des éclipses, entrent dans nos vies, y déposent quelque chose, et s’en vont », écrit-il si justement sur sa page Facebook.

Andrée, Renée, Michelle, Monique et Monique sont notre héritage. Notre chair, notre sang et notre mémoire. Leurs voix résonnent encore et toujours. On se souvient d’elles.